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LE BILAN DE RIO + 20 : Première analyse du Muséum National d'Histoire Naturelle

Sciences participatives

Rio +20 s'est terminé sur un bilan plus que mitigé... Pour clore cette semaine consacrée au sommet de Rio, nous vous proposons un bilan rédigé par Gilles Boeuf, président du MNHN,et Jean-Patrick Le Duc, Délégué aux relations internationales du MNHN !

 

LE BILAN DE RIO + 20

PREMIERE ANALYSE DU MUSEUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE

 

Le bilan de Rio+20 n’est pas très glorieux, surtout quand on considère les moyens mis en œuvre et le coût (y compris écologique !) d’une telle manifestation. La plus grande partie de la déclaration finale consiste à réaffirmer des engagements pris à Rio en 1992 ou à Johannesburg en 2002. Dans leur phase finale, les négociations n’ont pris en compte que les intérêts particuliers des Etats ou des questions géostratégiques ou économiques. La société civile (y compris la recherche scientifique) a pu s’exprimer mais n’a pratiquement pas été entendue.

La déclaration finale comprend un nombre considérable de souhaits, certes appropriés mais sans donner aucune indication sur les moyens à mettre en œuvre pour leur réalisation (le chapitre C en est un exemple particulièrement criant).

Aucun des thèmes majeurs n’a fait l’objet de propositions ambitieuses ni même adaptées au niveau des menaces même si il faut reconnaitre ici et là l’apparition de tout petits bourgeons dont on espère qu’ils pourront se développer avant d’être desséchés ou parasités.

Malgré une forte opposition des Etats-Unis et de nombreux pays en développement, il a été reconnu que des indicateurs autres que le PIB « devraient » être utilisés mais, on s’est contenté de donner un mandat à la commission des statistiques de l’ONU de « lancer » (et non pas « achever ») un programme de travail.

Le principe de responsabilité commune, mais différenciée, est reconnu  mais rapidement limité par la nécessité de rester dans le cadre de la souveraineté nationale et le refus de prendre en compte les considérations environnementales.

 

La société civile

 

Elle devrait pouvoir participer plus activement à la gouvernance rénovée (quand elle existera !). La seule originalité est la reconnaissance du rôle important de nouvelles catégories autres que les « grands groupes » qui sont désormais appelées « autres parties prenantes », notamment les collectivités locales, les groupes de bénévoles et les fondations, les migrants, les familles, les personnes âgées et les personnes handicapées. A travers ces énumérations, le système atteint certaines limites car les fonctionnaires hommes, ni jeunes, ni vieux, ni scientifiques et ni handicapés gardent eux aussi, un rôle important à jouer !

Le fait qu’un chapitre soit consacré aux aspects du travail décent et de la protection sociale est incontestablement un fait très positif mais les oppositions que cela a suscitées ne laissent pas augurer de réels progrès dans ce domaine pour les prochaines années.

En dehors du thème de l’importance du rôle de la société civile dans les débats, la conférence avait deux thèmes majeurs : l’économie verte et la gouvernance mondiale du développement durable. Elle devait également adopter un programme de travail et des objectifs et apporter des solutions à des questions sectorielles (eau, océans, pauvreté, climat, énergie, ….).

L’économie verte

L’expression est prononcée mais sans être, à aucun moment, définie ! Tout juste peut-on noter des références à l’économie sociale et solidaire. La nécessité de la protection sociale a été effleurée après avoir risqué de « passer à la trappe ».

Il est demandé aux Etats de faire appel au secteur privé pour promouvoir l’économie verte et aider à l’élimination de la pauvreté. Les entreprises sont-elles prêtes, spontanément, à accepter ce transfert de charges et de responsabilité ? L’avenir le dira !

Mais le plus grave et qui reste incontestable c’est que dans ce chapitre, il n’est fait référence, à aucun moment  à la diversité biologique. 40% de l’économie mondiale reposent sur l’utilisation de la diversité biologique et elle représente donc un facteur clef de l’économie verte. Au lieu de cela on a préféré parler de « recyclage » des déchets plutôt que leur non production, stations d’épuration plutôt que non pollution, etc.

Consacrer 19 paragraphes à un sujet qui n’est pas clairement défini n’est pas de bon augure pour sa mise en œuvre !

 

La gouvernance mondiale de l’environnement

L’idée de mettre en place une organisation mondiale de l’environnement n’a pas été adoptée et la conférence s’est contentée de recommander un renforcement du Programme des Nations Unies pour l’environnement !

Il n’y a pratiquement pas de renforcement du multilatéralisme dans le domaine de l’environnement et la coordination de l’action des accords multilatéraux relatifs à l’environnement ne connait aucun progrès significatif.

 

La gouvernance mondiale du développement durable

S’il est positif que l’on ait maintenu la distinction entre les gouvernances mondiales de l’environnement et du développement durable, cette dernière devra se contenter d’un « forum de haut niveau (sic !) »  rassemblant des ministres et qui devrait se réunir pour la première fois en septembre 2013. Il s’agit cependant d’une « décision » et pour une fois, un mandat minimal est précisé. Ce forum devrait remplacer « à terme » (lequel ?) la commission du développement durable, ce qui indique que cette dernière est maintenue.

Il est reconnu que la gouvernance mondiale doit être « améliorée et plus efficace» et que la responsabilité en incombe à l’Assemblée générale des Nations unies. Mais les conditions de ces améliorations sont d’une banalité affligeante et ne comportent aucune proposition concrète.

Objectifs de Développement durable universels

Un processus de définition a été lancé dans le cadre de la révision des Objectifs du Millénaire pour le Développement en 2015 et les transformer en  agenda des Nations unies du développement durable avec ses 3 composantes (économie, environnement et social). Leur élaboration risque cependant d’être très longue.

 

Energie

Une vraie déception : l’opposition des pays en développement (poussés par des pays pétroliers) a bloqué toute avancée. Il a été adopté un langage très édulcoré sur l’initiative du Secrétaire général des Nations Unies « énergie durable pour tous ».

 

Eau

Le droit à l’eau et à l’assainissement a finalement été reconnu malgré des oppositions fermes (dont le Canada). Cependant le problème de l’eau n’est traité que dans un cadre national, excluant pratiquement la prise en compte des bassins versants et des eaux transfrontalières.

 

Sécurité alimentaire

Une fois encore l’agriculture est ramenée à sa fonction alimentaire et aux aspects des prix agricoles. Son rôle dans la qualité du fonctionnement des écosystèmes, la limitation des conséquences des cataclysmes naturels, les activités induites, la protection de la diversité génétique… n’est absolument pas pris en compte ! Si il est mentionné la question de la qualité de la nourriture, aucun des problèmes sérieux pouvant l’affecter (intensification des cultures et des élevages, gaspillage de l’eau, rejets de polluants, usage des pesticides, questions des OGM, des agrocarburants, …) n’est abordé sérieusement.

 

Le tourisme durable

L’apparition de cette problématique dans le cadre des problèmes mondiaux du développement durable est un fait nouveau qu’il convient de souligner. Sa mention devrait permettre l’émergence d’une réflexion plus poussée dans ce domaine.

 

Océans

Ce paragraphe peut paraitre plus encourageant que d’autres dans la mesure où il comporte les mots « nous nous engageons » mais on n’en est pas encore au stade de la décision. Le fait que ces engagements correspondent à ceux pris dans le cadre de la FAO depuis de nombreuses années laisse cependant sceptique sur la valeur de l’engagement, surtout, qu’en fait il correspond à un recul par rapport à celui pris par l’objectif 6 des objectifs d’Aichi.

Un des enjeux cruciaux de cette réunion était les moyens à mettre en œuvre pour la conservation des mers et océans en dehors de la juridiction des Etats puisque le seul Droit international peut permettre d’agir. Beaucoup espéraient un mandat clair pour la révision de la convention sur le droit de la mer à laquelle nombre d’Etats, dont les Etats-Unis, n’adhèrent d’ailleurs toujours pas, de façon à lui donner la compétence dans ce domaine.

Hélas, on s’est contenté de renvoyer la question à un groupe de travail existant depuis plusieurs années et en lui demandant de faire des propositions (qu’il faudra ensuite négocier). L’avancée principale est l’introduction d’une échéance en 2014. La biodiversité marine, entre autres, a beaucoup de soucis à se faire si elle veut tenir jusque là !

Ceci est d’autant plus grave que le paragraphe 113 n’hésite pas à affirmer « Nous soulignons le rôle crucial que jouent la bonne santé des écosystèmes marins, la viabilité des pêches et celle de l’aquaculture dans la sécurité alimentaire et la nutrition, et dans la survie de millions de personnes. 

 

Biodiversité

C’est la grande oubliée de cette conférence, certes on est passé de 1 paragraphe dans le projet initial à 7 dans la version finale. Hélas aucun n’apporte d’élément nouveau ni de décision supplémentaire.

 

Les financements de la mise en œuvre

Comme traditionnellement, cet aspect a été l’objet de discussions interminables, les pays en développement faisant des demandes exorbitantes et les pays développés se masquant derrière la crise économique pour promettre de moins de moins. De toute façon, ce qui avait été promis n’a pas été réalisé.

On s’est donc contenté de reconnaitre qu’il fallait augmenter les financements, sans dire de combien, et de reconnaitre comme un outil essentiel les « financements innovants » (qui ne devraient plus l’être depuis le temps qu’on en parle !). Il a été également décidé d’établir une stratégie financière du développement durable d’ici 2014 ce qui promet de nombreuses heures de débats mais pas forcément des résultats.

 

Conclusions

En conclusion, on ne peut que regretter que le texte comporte 64 « réaffirmons », 161 « reconnaissons », « constatons », « insistons », « sommes conscients » et « prenons acte » et seulement  5 « décidons » (dont 2  sans grands détails) et 7 « convenons » ! Manque de courage et égoïsme demeurent flagrants.

Il est surprenant, alors que la lutte contre la pauvreté est un thème récurrent de la déclaration, qu’il ne soit pas fait mention du quart monde et que de nombreux paragraphes se limitent à traiter de la pauvreté dans les pays en développement.

Les problèmes évoquées pendant le Sommet ne sont pas suffisants : au delà des questions liées au réchauffement climatique, même ceux liés à l’érosion de la biodiversité,  il est urgent de s’attaquer, ici et maintenant,  à la pollution de l’air et de l’eau, qui nous empoisonnent tous au delà des frontières nationales.

La place anecdotique faite à la diversité biologique, au début de la décennie des Nations unies pour la biodiversité, et alors que toute la communauté scientifique reconnait qu’elle est un élément essentiel pour la survie de l’espèce humaine et de la planète, ne peut que provoquer de grandes inquiétudes sur le niveau de prise de conscience sur les problèmes essentiels et l’urgence à agir.

 

Nous devons prendre conscience dans les pays riches que nous sommes de plus en plus nombreux à consommer individuellement de plus en plus, dans un monde limité avec des ressources qui ne sont pas inépuisables. Cette conférence réaffirme cependant à de nombreuses occasions la nécessité de la croissance, même si on la qualifie de durable. Il faut y inclure pour cela des notions de qualité environnementale, de biodiversité respectée et de  stabilité sociale. Il reste beaucoup à faire pour convaincre les politiques de tous les Etats que la situation est plus que sérieuse et qu’on ne peut plus se contenter de reconnaitre, de constater, d’être conscient ou de prendre acte et qu’il faut, dès maintenant, décider dans un esprit de solidarité planétaire au-delà des égoïsmes nationaux. Le capital naturel ne peut indéfiniment être appauvri et nous ne pouvons nous passer des services rendus par les écosystèmes. L’humain a aussi un besoin profond de communication étroite avec la nature. Si la prise de conscience généralisée est en cours au sein des populations, nous tardons à suivre un rythme de changement de nos habitudes au moins aussi rapide que celui des changements environnementaux de tous ordres que nous déclenchons autour de nous. Les pouvoirs politiques doivent s’en persuader. Le contraste entre les deux visions du Monde à Rio entre le forum des politiques et celui des peuples était saisissant, déjà 40 km de distance physique entre les deux ! Saurons-nous pleinement justifier et enfin mériter, au cours de ce XXIème siècle,  le terme de « sapiens » dont nous nous sommes affublés ? Saurons-nous avec 9 milliards d’humains en 2050 et avec une capacité sans précédent à détruire notre « maison », assurer un mode de vie viable pour tous et qui ne soit pas dicté par la survie individuelle ?

 On ne peut plus attendre ! Le temps devrait être aux décisions et à l’action!

 

 

 

Gilles Boeuf                    Président du MNHN                                  Jean-Patrick Le Duc       Délégué aux relations internationales du MNHN

    

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