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Les bourdons peuvent s’épanouir en ville : la preuve par Détroit

Sciences participatives

Dans l’océan de pessimisme actuel, une étude vient apporter une goutte d’espoir : les bourdons, ces insectes indispensables, pourraient s’épanouir dans les grandes villes… pourvu qu’on y mette du vert ! Je vous détaille une passionnante publication américaine, disponible ici, qui mérite le détour.

Le bourdon, cette grosse abeille velue joue un rôle majeur dans le processus de pollinisation. Grâce à sa fourrure, il est capable de transporter et disséminer encore plus de pollen que l’abeille domestique – de la même famille, les Apidae. Sans lui, de nombreuses baies (fraises, framboises…), les légumes (les tomates par exemple, que les abeilles ne butinent pas !) et bien d’autres plantes auraient peine à se reproduire. Indispensable, donc.

Pourtant, le bourdonnement de ces insectes se fait de plus en plus discret. Silencieusement, à l’ombre de leurs cousines vedettes, ils disparaissent petit à petit. En 2014, 24% des espèces de bourdons d’Europe étaient  menacées d’extinction sur la Liste rouge de l’UICN ! « C’est principalement dû à la perte et à la fragmentation de leurs habitats, à l’usage des pesticides dans les champs et les villes. Tout cela leur est souvent fatal. » m'explique Audrey Muratet de Natureparif

Mais voilà que dans cet océan de pessimisme, une étude américaine vient apporter une goutte d’espoir : les bourdons pourraient s’épanouir dans les grandes villes… pourvu qu’on y mette du vert ! 

Le bourdon fébrile (Bombus Impatiens), très présent en Amérique du Nord, se reconnaît par sa fourrure blanche sur le thorax. Scott King© 

"Chasse aux bourdons" dans le Michigan

C’est une étude menée par des étudiants de l’Université du Michigan. Une bande de jeunes scientifiques sont partis « chasser » le bourdon dans cinq villes du Michigan, aux nord-est des Etats-Unis. Des villes très variées : de la petite bourgade de quelques milliers d’habitants (Dexter) à Détroit, l’énorme mégalopole. Plus précisément, ils ont jeté leurs filets et pièges à insectes dans des jardins et des fermes urbaines. En tout, 520 bourdons de dix espèces distinctes furent capturés avec une prédominance du bourdon fébrile (Bombus impatiens, 72%), une espèce assez répandue en Amérique du nord. Au lieu d'avoir le "cul-blanc" comme notre bourdon terrestre il se distingue par un abdomen tout noir, et une fourrure blanche sur le dos. Pour la petite anecdote, ce bourdon était même en lice pour devenir l’insecte emblématique du Québec (finalement c’est le papillon Amiral (Limenitis (Basilarchia) arthemis) qui a été retenu). 

Mais revenons à notre étude. Grâce à ces prélèvements d’insectes, les scientifiques ont pu comparer l’abondance des bourdons capturés avec le degré d’urbanisation dans un rayon de 2 km autour du jardin (en tenant compte de la surface de sol imperméabilisé, un indicateur classique).

La première chose que l’on constate, c’est que les bourdons n’aiment pas vraiment le tout-minéral. Les courbes sont parlantes : plus le site se trouve dans un environnement urbanisé, plus l’abondance et la diversité des individus dégringolent ! En ville, les « fébriles » n’ont jamais aussi bien porté leur nom... Pourquoi : la pollution ? le bruit ? le manque de fleurs ? Tout cela à la fois ? Il semblerait surtout, selon les chercheurs, que la question du « logement » soit à l’origine de cette vulnérabilité. Décidément, c’est un fléau qui transcende les espèces.

 

Sur les sols imperméables, les bourdons déchantent... K.p.McFarland ©

 

Crise du logement

Une spécificité des bourdons, et surtout les bourdons fébriles : ils construisent leur nid directement sur le sol ou sous terre ! C’est la reine elle-même qui, au printemps venu, déniche un abri pour pondre ses œufs et élever la colonie. Elle utilise en général des herbes hautes ou des souches d’arbres abandonnées. Parfois encore, elles « squattent » un petit terrier abandonné par un rongeur. Les bourdons sont donc bien plus « terre-à-terre » que les autres pollinisateurs.

Or, ce que nous disent les chercheurs, c’est que plus les villes se construisent, se densifient plus ces « logements » se raréfient... Que faire sur une route d’asphalte, sur un parking, sur une dalle de béton ! Du coup, lorsqu’elles ne trouvent pas où construire un nid, les pauvres reines périssent bien souvent avant d’avoir pu former une nouvelle colonie.

 

Le bourdon fébrile comme le bourdon terrestre (sur la photo) nichent sous la terre !

Les mâles perturbent les compteurs

Autre découverte notable : les bourdons mâles ne semblent pas touchés par ce déclin. En réalité, c’est lié à leur mode de vie qui diffère de celui des femelles. Les ouvrières, très liées à un site, passent leur temps à faire des allers-retours entre les fleurs et leur nid pour entretenir la colonie. Les mâles eux sont plus indépendants, leur rôle est strictement reproducteur. Leur job se limite à trouver, aux abords d’une fleur, une femelle fertile pour en faire une future reine. Du coup, selon Audrey, « comme les mâles volent plus loin, leur observation à un endroit donné n’est pas forcément révélateur de la qualité de cet endroit pour l’accueil des bourdons, les femelles seraient un bien meilleur indicateur des conditions locales… »

En écartant les mâles, les résultats nous disent une chose importante : l’urbanisation affecterait les bourdons en s’attaquant à leurs sites de nidification. Un problème qui vient s’ajouter à tout le reste… Mais attendez ! Il semblerait qu’une série de données ne réponde pas à cette tendance…

Détroit la « re-belle »

C’est une surprise : dans une ville, une seule, les bourdons n’ont pas l’air d’être affectés par cette crise du logement. Laquelle ? Détroit. Cette ville ultra-urbanisée - et même la plus de toutes dans l’étude ! – possède les plus importantes populations de Bombus

Cleveland, Baltimore, Détroit font partie de la fameuse « Rust belt » (ceinture de rouille) frappée par la désindustrialisation. Cette dernière est la plus emblématique des « shrinking cities », ces villes en pleine décroissance frappées par le chômage, l’endettement et l’exode. Autrefois 4e ville des Etats-Unis avec 1,8 million d’habitants en 1950, Détroit en possède aujourd’hui moins d’1 million… Mais depuis quelques années, au milieu des ruines, repart la croissance. La croissance… végétale cette fois !

De nombreuses friches envahissent les quartier abandonnés de Détroit. Mycophagia ©

Ici, sur les espaces abandonnés des friches végétales sortent de terre. Là, entre deux immeubles désertés, des sols nus à l’air libre. 

Voilà qui expliqueraient qu’à Détroit, malgré la densité de béton, les bourdons se portent plutôt bien. Vous imaginez pourquoi : les abris foisonnent ! En plus de trouver de nombreuses fleurs à butiner, les grandes herbes, les sols non tassés et le bois mort offrent multitude de gîtes pour les bourdons. Aussi, qui dit espace inoccupé dit aussi espace non traité. Exit donc les pesticides largement répandus dans les autres villes.

Rendez-vous compte : les chercheurs ont pu capturer autant de bourdons dans un jardin du centre-ville de Détroit (entouré de friches) que dans… un parc naturel ! Celui de Pinckney, possédant le degré d’urbanisation le plus faible de l’étude. CQFD.

 

Le graphique montre l’abondance des bourdons (à gauche) et la diversité d’espèces (à droite) en fonction de la surface imperméable. Les points rouges concernent la ville de Détroit et les bleus les autres villes.On voit qu’à Détroit, bien que très urbanisée, l'abondance et la diversité des bourdons sont importantes !

 « Do It Ourselves »

J’ai pris le temps de détailler cette étude sur les conseils et avec l’aide d’Audrey Muratet de Natureparif qui me partage son optimisme : « je pense qu’elle montre bien qu’une ville aussi dense soit-elle, peut, en laissant croitre la flore spontanée dans les espaces non minéralisés, devenir accueillante pour la biodiversité. » Le bourdon en est là un parfait exemple.

Certes bien que de plus en plus vert, tout n'est pas rose à Détroit. Il ne s’agit pas d’envier ces paysages apocalyptiques où gisent des bâtiments désaffectés et même des « quartiers fantômes » vidés de leurs populations. Mais cela démontre une chose : urbanité et biodiversité urbaine peuvent se conjuguer. Comme à Détroit, en intégrant à nos grandes villes des friches, des prairies urbaines, des jardins… la tendance peut s’inverser. Voilà ce que nous enseigne l’histoire de cette ville emblématique et cette étude en particulier.

Les détroiens l’ont bien compris : aujourd'hui, grâce à eux, leur ville renaît de ses cendres. Le film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent présente très bien cette mutation en cours. Pour donner une idée de l’ampleur de la métamorphose, l’ancienne cité industrielle compte à l’heure actuelle pas moins de 1 600 fermes urbaines ! Et des bourdons en grande forme. Alors prenons en de la graine, et comme on dit à Détroit « Do It Ourselves » !

Aidez les bourdons, observez-les ! 

Participez à l' Observatoire des bourdons , de Vigie-Nature avec l'association Estuaire. En observant les bourdons comme les scientifiques de l’étude, vous ferez avancer la science de la conservation. Et pas de panique : c'est ouvert à tout le monde !

 

 

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