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Faut-il interagir avec la nature pour en prendre soin ?

Sciences participatives

 

Cette semaine, c'est sujet « réflexion ». On quitte les observatoires de Vigie-Nature et on passe à un sujet qui nous touche au quotidien.

Une famille comme il en existe beaucoup

Hélène Cheval, jeune docteur es Sciences depuis le mercredi 06 novembre 2013 a raconté l'histoire de la famille Stereotipus modernicus lors de sa soutenance. Un couple, deux enfants. Comme 80 % de la population française, cette famille vit en ville. Lieu où la biodiversité, même si elle existe, n'est pas à son apogée. Monsieur et madame ont un emploi sans contact avec la nature et passent 90 % de leur temps à l'intérieur d'un bâtiment. Leurs enfants ne savent pas reconnaître les espèces les plus communes. D'ailleurs, en 2002, le chercheur Andrew Balmford et ses collègues montraient que les enfants identifiaient beaucoup mieux les personnages des Pokémon que les espèces de plantes et d’animaux communs.

La théorie de l'extinction de l'expérience

Vous conviendrez que cette famille est plutôt déconnectée de la biodiversité au quotidien. Cette déconnexion aurait, selon l'hypothèse de l'extinction de l'expérience, des conséquences sur nos comportements liés à la conservation de la biodiversité. Notre empathie et nos connaissances de la nature nous viendraient des relations que nous entretenons au quotidien avec elle. Ainsi, à si peu interagir avec les arbres, les plantes, les animaux sauvages ou domestiques, semaines et week-ends compris, sans toucher, sans observer, sans sentir, sans entendre les sons naturels, l'humain « perdrait » le désir de nature.

La première étude d'Hélène

C'est à cette hypothèse que s'est attelée Hélène durant sa thèse. Avant d'aller interroger les messieurs et madames sur leurs relations et leurs connaissances de la nature, elle s'est interrogée sur un de nos comportements ayant le plus d’impact sur la biodiversité : nos achats alimentaires. La grande question était : est-ce que notre lieu de vie influence notre consommation de produits bio ? En sachant que 93% des acheteurs de produits bio disent vouloir préserver leur santé et 90 %, leur environnement, elle s'est demandée si ces acheteurs sont influencés par l’environnement naturel quotidien dans lequel ils vivent. L’enseigne Leclerc s'est prêtée au jeu et Hélène a eu accès aux données de vente de chacun de leurs 480 magasins en France des laitages bio et non bio (toutes marques confondues), ces catégories étant achetées à 80% dans les supermarchés.

AB, niveau de diplôme, prix....

Après avoir étudié la répartition de la consommation en France de ces laitages, dont voici la carte,

Hélène a montré que c'est surtout le niveau de diplôme moyen des consommateurs qui agit sur la vente des produits même si leur offre et leur prix jouent également un rôle. D'après Hélène, les zones où l’on consomme le plus de laitages bio sont celles où le niveau moyen d'étude des habitants est le plus élevé.

La prise en compte de l'environnement de vie

Ensuite, Hélène a pris en compte l'environnement de vie des acheteurs, celui où ils vivent tous les jours. Elle a travaillé à l’échelle du bassin de vie : le regroupement de communes dans lequel les gens vivent, travaillent et achètent. Par exemple, Paris est un centre d’attraction si influent que son bassin de vie s’étend jusqu’à Fontainebleau. Ensuite, elle a calculé différentes variables pour qualifier l’environnement et la biodiversité qu’ils ont la possibilité d’expérimenter dans leurs lieux de vie , tel que le % de surface bâti, de surface agricole, ainsi que l’offre en biodiversité : présence d'un Parc naturel régional pour ses paysages patrimoniaux, le % de surface en « zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique » (ZNIEFF) pour la biodiversité remarquable définie par les écologues, le nombre de petites boucles de randonnées locales pour la biodiversité accessible dans un contexte récréatif et le % de maison individuelle avec un jardin pour la biodiversité accessible au quotidien.

Le rôle de la biodiversité commune et ordinaire

A l’aide de modèles mathématiques et statistiques complexes, Hélène trouve que, à niveau de diplôme moyen égal, c'est dans les bassins de vie peu urbanisés et peu agricoles que l'on achète le plus de laitages bio. Les achats bios ne seraient donc pas que l’affaire de « bo-bo » urbains ! Son autre résultat notable est que la consommation de produits bio est positivement corrélée à l'offre en biodiversité la plus accessible (boucles de randonnées et jardins individuels). La présence d'une biodiversité plus patrimoniale (avec des espèces rares) et riche (présence de très nombreuses espèces différentes) n’étant pas corrélée avec l'acte de consommation bio.

©enbalade.skynetblogs.be

Hum ! Respirer et sentir les saisons passer...

Alors oui, le fait de vivre au quotidien avec la nature ordinaire de son jardin, d'avoir la possibilité de se balader sur des chemins plus ou moins sauvages et sans prétention augmenteraient un comportement d'achat engagé pour sa préservation.

Vous trouvez que c'est tiré par les cheveux ? Dans la suite de son étude, Hélène a décidé d'aller explorer les connaissances et les comportements des citadins. Une bonne occasion de vous en parler lors d'un prochain post !

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Lisa Garnier, le lundi 9 décembre 2013

Pour s’abonner au blog, cliquer sur lgarnier@mnhn.fr

Hélène a mené ces travaux en collaboration avec Romain Julliard, professeur au Muséum national d'Histoire naturelle.

La thèse d'Hélène Cheval peut être consultée ici.

Quelques références (en anglais) : 

Balmford, A. et al., 2002. Why conservationists should heed Pokémon. Science, 295(5564)Pergams, O.R.W. & Zaradic, P.A., 2006. Is love of nature in the US becoming love of electronic media? 16-year downtrend in national park visits explained by watching movies, playing video games, internet use, and oil prices. Journal of Environmental Management, 80(4). Miller, J.R., 2005. Biodiversity conservation and the extinction of experience. Trends in Ecology and Evolution, 20(8). Turner, W.R.., Nakamura, T. & Dinetti, M., 2004. Global urbanization and the separation of humans from nature. Bioscience, 54(6)

 

Pour participer à une enquête de l'Institut Michel Serres (ENS Lyon) sur la perception des ressources naturelles, c'est ici.

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