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STOC : 30 ans de surveillance de l’état de santé des oiseaux communs

Sciences participatives

 

Changement climatique, artificialisation des sols, agriculture intensive : les pressions environnementales s’accroissent et pèsent sur la biodiversité, en particulier sur les oiseaux communs. Comment ceux-là réagissent-ils à grande échelle ?  Les réponses varient-elles selon les espèces ? Autant de questions qui animent les chercheurs en écologie depuis de nombreuses années. Si l’appauvrissement des écosystèmes crève parfois les yeux, encore faut-il être capable de le mesurer, de le quantifier à grande échelle. Car un ressenti peut s’avérer trompeur. « Voir beaucoup d’oiseaux dans son jardin ne signifie pas forcément que ces mêmes espèces se portent bien à l’échelle des populations. On ne peut pas généraliser des constats ponctuels à tout le pays » prévient Caroline Moussy, responsable des suivis oiseaux communs à la LPO lors de l’introduction du webinaire ce lundi 8 mars.

Premier thermomètre

Suivre l’évolution des populations de centaines d’espèces d’oiseaux présents en France n’a rien d’évident. Et pour cause : il est techniquement impossible de compter tous les moineaux année après année, pour savoir comment les effectifs évoluent. La solution a été imaginée et mise en œuvre dans les années 1960 aux Etats-Unis. En France, c’est en 1989 qu’une poignée d’ornithologues et de chercheurs du Muséum passent à l’action. Sur le modèle de leurs collègues d'outre-Atlantique, ils mobilisent une équipe de volontaires répartis aux quatre coins du pays. Leur mission : compter et identifier les oiseaux à la même période tous les ans, au même endroit et de la même manière. De façon à obtenir des données comparables d’une région à l’autre, d’une année sur l’autre. L’on dispose ainsi d’un échantillon représentatif des populations nationales d’espèces communes. Si l’échantillon de moineau régresse d’une année sur l’autre cela suggère que la population nationale suit la même tendance.

« Si des suivis ponctuels d’oiseaux existaient déjà, il y a eu une rupture avec le STOC, note Benoît Fontaine, actuel coordinateur du programme au MNHN. Ces données standardisées ont permis de concevoir le tout premier thermomètre pour mesurer l’état de santé des populations d’oiseaux françaises. » C’est l’époque où l’on s’intéresse à ces espèces dites communes : merles, moineaux, alouettes des champs, pigeons ramiers… Restés dans l’ombre des espèces rares et emblématiques, elles passaient sous les radars des scientifiques. Or « ces espèces aussi pâtissent des activités humaines, nous devions quantifier leur éventuel déclin. »

Le protocole de comptage n’a pas changé depuis ses débuts. Il consiste à identifier pendant 5 minutes tous les oiseaux vus ou entendus sur chacun des 10 points choisis à l’intérieur d’un carré de 2km sur 2. Et ce, à trois dates différentes : un premier passage facultatif au mois de mars pour détecter les décalages phénologiques (par exemple arrivée précoce des espèces migratrices) ; puis deux passages obligatoires, un entre le 1er avril et le 8 mai, l’autre entre le 8 mai et fin juin. Au départ, les observateurs choisissaient les zones où ils effectuaient leurs comptages. Mais depuis 2001, chacun d’entre eux se voit attribuer au hasard un carré dans un rayon de 10 km autour de chez lui. « Cela évite que les participants se rendent dans les zones les plus riches en oiseaux, précise Benoît. Les données sont ainsi plus représentatives de ce qu’il se passe en France. »

SHOC © Hugo STRUNA

Le protocole : identifier pendant 5 minutes tous les oiseaux vus ou entendus sur chacun des 10 points choisis à l’intérieur d’un carré de 2km sur 2

 

La moitié des espèces en déclin

En 30 ans, le STOC est parvenu à rassembler 2000 observateurs volontaires dans toute la France métropolitaine et en Outre-mer. Une batterie d’ornithologues amateurs, de simples amoureux des oiseaux pointant leurs jumelles sur le littoral, en montagne, en ville ou à la campagne. « Il faut simplement savoir reconnaître au chant et à l’oreille une trentaine d’espèce communes de sa région » rassure Benoît à l’endroit des néophytes très nombreux derrière leur écran. Ainsi, chaque année environ 250 espèces sont recensées. Ce qui permet de renseigner l’évolution annuelle de leurs effectifs. Comme le fait l’INSEE pour le chômage. Les chiffres ne sont d’ailleurs pas plus reluisants. La moitié des 130 espèces suivies sont en déclin, à l’image de l’Hirondelle des fenêtres qui a perdu 23% de ses effectifs en 18 ans. D’autres, à l’instar du Martin-pêcheur, affichent une relative stabilité dans le temps. Et puis il y a les grands gagnants, tel le pigeon ramier qui a doublé ses effectifs depuis 2001.

Ces résultats n’étonnent guère le spécialiste : « La rénovation des bâtiments, les ravalements de façades détruisent les sites où nichent les hirondelles. A cela s’ajoute la raréfaction des insectes due à l’utilisation massive des pesticides, qui prive l’espèce insectivore de nourriture : deux explications à l’effondrement de l’espèce ». En effet le déclin concerne surtout les espèces spécialistes de certains milieux, ayant des exigences strictes qui ne peuvent être satisfaites en cas de perturbation de ces milieux par les activités humaines. Les espèces spécialistes des milieux agricoles, par exemple, ont régressé de 38% entre 2001 et 2019.  Dans le même temps les espèces plus plastiques, adaptables augmentent de 22%. Le pigeon ramier par exemple, espèce généraliste, opportuniste, s’adapte très bien un peu partout, en milieu urbain dense comme dans les plaines d’agriculture céréalière intensives.

Ces résultats nationaux intéressent particulièrement les organismes régionaux – les antennes régionales de la LPO le plus souvent -, chargés d’animer le programme localement. Ils peuvent ainsi mettre en perspective leurs propres résultats et se situer. « Nous avons été surpris de voir une augmentation de l’hirondelle rustique chez nous, alors que ce n’est pas le cas à l’échelle nationale. Nous pensons que c’est lié à quelques biais qu’il reste à découvrir » annonce Régis Ouvrard, coordinateur du programme à la LPO Poitou-Charentes lors de sa présentation. Son secteur regroupe 157 carrés suivis sur quatre départements.

 

STOC © Maxime Fouillet (Flickr)

La moitié des 130 espèces suivies par le STOC sont en déclin, comme le Chardonneret élégant ( -35% en 18 ans)

 

Recherche et action politique

Les 4 millions de données accumulées depuis 30 ans ont alimenté de nombreux travaux de recherche. Le STOC est à l’origine de plus d’une centaine de publications scientifiques internationales, traitant essentiellement de l’impact des changements globaux sur les oiseaux communs, et des solutions pour limiter ces impacts. En 2008 en Europe, la température moyenne à un endroit donné était la même que celle d’une zone située 250 km plus au sud en 1990 : le réchauffement climatique équivaut en quelque sorte à une « remontée » des températures vers le nord. « Pour suivre ce décalage vers le nord, les communautés d’espèces se déplacent elles aussi. Le STOC et les programmes équivalents en Europe ont permis de montrer que sur la même période (1990-2008), les oiseaux étaient remontés de 37 km, contre 114 pour les papillons, explique Benoît, s’appuyant sur une étude menée en 2012. Il est intéressant de voir qu’en remontant à des vitesses différentes, les espèces ne répondent pas de la même manière à ces changements. » D’autres travaux basés sur le STOC se penchent sur les liens entre diversité des espèces dans une communauté d’oiseaux et stabilité face aux changements globaux.

Une question soulevée au cours de la soirée porte sur les actions concrètes. Une fois les constats établis, que faire pour enrayer ce déclin ? Si le STOC ne saurait fournir de plan d’action clé en main aux décideurs, les données peuvent éclairer, orienter les actions politiques. A l’échelle nationale, une étude comparative sur les oiseaux communs dans les réserves naturelles montre que celles-ci leur sont bénéfiques, et ce jusqu’à 3 km au-delà de leurs limites. Les suivis régionaux ont également montré que le scénario "vert" de la Politique Agricole Commune (mettant en place des aides à l’augmentation des zones de végétation semi-naturelle, à la préservation des prairies permanentes et à la diversification) permet un déclin moins important des oiseaux en milieux agricoles. « Cela étant, ici encore les espèces répondent de façon différente aux pratiques agricoles, en fonction de leurs exigences écologiques. Ces disparités impliquent qu’il ne peut pas y avoir une politique unique au niveau national : il faut tenir compte des particularités régionales, imaginer des scénarios, tester des mesures à petite échelle puis les combiner pour produire un plan d’action national permettant de préserver les communautés d’oiseaux. » est-il préconisé dans le bilan du programme (qui sera publié prochainement).

Ces deux soirées de webinaire ont rassemblé entre 600 et 700 personnes en ligne. Des participants et de simples curieux, intéressés par cette opportunité de mieux connaître son environnement naturel tout en contribuant à une aventure scientifique collective. Furent présentés les résultats en outre-mer, de même que ceux d'un nouveau protocole adapté aux milieux montagneux, le STOM (Suivis Temporel des Oiseaux de Montagne). Cette dynamique manifeste a probablement été renforcée par les résultats très médiatisés du printemps 2018. Le Muséum national d’Histoire naturelle et le CNRS annonçaient un printemps silencieux occasionné par l’effondrement des oiseaux des milieux agricoles. « On a eu plus de 400 articles de presse, jusque dans le New York Times et le Guardian. Les gens connaissent la situation maintenant, et cela grâce au STOC, s’enthousiasme Benoît.  C’est le commencement de la solution. Même si, évidemment, il reste du chemin. »

 

Revoir le Webinaire Oiseaux communs 

 

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