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SPIPOLL : à quoi servent vos photos d’insectes ?

Sciences participatives

 

Le SPIPOLL est un programme de science participative, et comme le nom l’indique il sert à faire de la science. Mais quelle science ? Ou plutôt quelle recherche ? Pour vous donner une idée de ce à quoi servent vos photographies d’insectes pollinisateurs, je suis allé voir trois jeunes chercheurs du Muséum, aux profils et sujets de recherche très différents. Le point commun entre François, Zakaria et Nicolas ? Ils passent la journée plongés dans la base de données pour faire parler vos clichés.
 
 

Les insectes pollinisateurs volent-ils plus tôt à cause du réchauffement ?

 

Apres deux ans de fac de biologie à Rennes et deux de master en écologie, François Duchenne se lance en novembre dernier dans une thèse en écologie et évolution. Son quotidien : lire dans la base de données du Spipoll les effets du réchauffement climatique sur les insectes.
 
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François Duchenne

 
Qu'est-ce que tu étudies ?
 
Mon travail consiste à regarder si le réchauffement climatique modifie les comportements des insectes pollinisateurs. Plus précisément ma problématique est la suivante : les abeilles, bourdons, mouches et autres papillons s'envolent-ils plus tôt lorsque les années sont plus chaudes ? Plusieurs études ont déjà montré que le réchauffement du climat avance le déclenchement de certaines fonctions biologiques des animaux : les oiseaux pondent leurs œufs un peu plus tôt, les chenilles se métamorphosent prématurément etc. Mais en ce qui concerne la réaction des abeilles, des bourdons ou des mouches on ne sait pas grand-chose. Grâce au Spipoll nous avons des informations sur la présence ou l’absence de ces insectes tout au long de l'année et sur un large territoire ! 
 
Pour commencer nous avons évalué les variations de températures d’une année sur l’autre depuis 2010 (naissance du programme). Certes en 8 ans le réchauffement climatique est difficilement perceptible à notre échelle, mais on relève tout de même des années plus chaudes que d'autres. Ce sont ces dernières qui nous intéressent : en regardant pour chaque insecte du SPIPOLL à quel moment les premières photos ont été prises dans l’année, on peut observer des changements dans les dates d’envol… J’ai fait ce travail pour chaque espèce, groupes et familles de pollinisateurs. Cela peut nous donner une idée de leur réponse face au réchauffement global du climat.
 
Que se passe-t-il pendant ces années plus « chaudes » ?
 
Les résultats préliminaires montrent que d'une manière générale les insectes volent plus tôt lors des années "chaudes". On constate même un avancement de la date de vol d'une semaine (6 jours) par degré supplémentaire ! Cette variation importante nous fait prendre conscience de l'impact d'un réchauffement, même léger. Mais attention cela reste une moyenne : suivant les espèces, les groupes ou les familles d'insectes les réactions peuvent varier. Il y a ceux qui resteront "insensibles" à ces changements, mais il y a aussi ceux qui retarderont leur date de vol. On peut dire néanmoins qu'une majorité sort plus tôt dans l'année. On remarque aussi que les espèces printanières qui prennent leur envol de mars à mai sont plus affectées que les espèces d'été ou celles qui persistent toute l'année.
 
Ensuite on peut se demander : qu'est-ce que cela pourrait avoir comme impact à terme sur les populations ? Nous ne le savons pas encore. Dans la deuxième partie de ma thèse je réaliserai des modélisations pour voir ce qu'il pourrait se passer à l'échelle des populations d'insectes et des conséquences sur les plantes si le réchauffement se poursuit. Dans notre équipe une stagiaire va aussi tenter de produire des indices d'abondances des insectes pollinisateurs sur tout le territoire. Car si nous savons aujourd'hui que l'on observe des espèces plus tôt dans l'année, cela ne nous dit rien de l’impact du réchauffement climatique sur leur nombre…
 
Nous parviendrons sûrement un jour à évaluer globalement la quantité d’insectes pollinisateurs présents chaque année. Telle espèce d’abeille s’est-elle effondrée depuis le début du programme ? Et telle famille de mouche ? Les résultats ne seront probablement pas réjouissants… Rappelons qu’il y a quelques mois une étude allemande a chiffré à 75% la perte de biomasse d’insectes volant en 30 ans et dans des zones protégées… Si ces résultats effrayants prennent en compte tous les insectes sans distinction, le Spipoll devrait nous permettre d’avoir des chiffres par espèces ! Mais il faut un peu de temps et plus de pratiquants…
 
Un petit message pour les spipolliens* ?
 
Continuez de nous envoyer vos photos, c’est grâce à vous que nous pouvons travailler sur les insectes pollinisateurs. Nous n’avons pour l'instant que 8 ans de données mais si ça se pérennise nous aurons à disposition un outil exceptionnel pour mieux les connaître et mieux les protéger.
 
Enfin si vous ne voyez rien, saisissez quand même données ! Nous avons besoin d’avoir des informations sur l’absence de pollinisateurs. C’est moins réjouissant, certes, mais une fleur sans insecte nous dit beaucoup de chose... Même cet hiver, allez-y ! Nous manquons aussi de données hivernales. Et puis avec le réchauffement climatique, vous finirez peut-être par croiser un papillon Vulcain au mois de février...
 
En dehors des chiffres, il t'arrive de voir de "vrais" pollinisateurs ?
 
C'est vrai que mon travail est essentiellement informatique : je construis des modèles et les code sous un logiciel, je fais beaucoup de statistiques. Je ne suis pas un « grand » spipollien mais j’ai pratiqué quelques fois pour me mettre à la place des participants et évaluer le protocole. Je suis aussi ornithologue à mes heures perdues. Les animaux ne sont pas que des chiffres pour moi, heureusement !
 

Comment améliorer l’identification des insectes ?

 
Il y a quelques mois encore, le docteur en intelligence artificielle algérien n'avait jamais entendu parler du Spipoll. Aujourd’hui, Zakaria Saoud connait la base de données comme sa poche. Son job : optimiser l’interaction entre les « spipolliens » pour améliorer le processus de validation des photos.
 
 
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Zakaria Saoud

 
 
Qu'est-ce que tu étudies ?
 
Lorsqu'un participant publie une photo sur le site du SPIPOLL, on lui demande d'identifier l'espèce grâce à un outil relativement simple (clé de détermination) en précisant des caractéristiques physiques comme la taille des antennes, la couleur etc. Une fois le nom de l'espèce, de la famille ou du groupe inscrit sur le site, chaque membre peut donner son avis. Il peut "émettre des doutes" quant à l'identification proposée ou en suggérer une autre. Ainsi  des débats s'engagent, les gens discutent et se rencontrent un peu à la manière d'un réseau social. Mais comment savoir qui aura le dernier mot ? Qui valide in fine le nom de l'insecte ? Pour l'instant, ce sont les entomologistes de l'Opie (Office pour les insectes et leur environnement), du Muséum national d'Histoire naturelle et un petit nombre d'amateurs expérimentés. Cela fonctionne assez bien mais maintenant nous voulons aller plus loin.
 
Notre idée est de faire en sorte qu’à terme les participants valident toutes les photos. Et c'est possible : le Spipoll est un magnifique réservoir de passionnés dont certains sont devenus experts dans l’identification d’insectes. Plus on pratique, plus on accumule de connaissances et plus on est en mesure de reconnaître les pollinisateurs. En fonction de leurs affinités, localisation ou fréquence de participation, certains peuvent reconnaître, parmi tant d'autres, une mouche bien particulière, ou un groupe d'abeille ; parfois sans même en avoir conscience!  C’est toute la force du Spipoll.
 
Comment ces « experts » aideront-ils à l’identification des insectes ?
 
Avec mon équipe et un laboratoire de Rennes nous sommes en train de créer un nouveau site internet (plateforme de crowdsourcing) pour renforcer les interactions entre spipolliens. Nous imaginons des équipes qui mélangent des débutants et des experts pour que les uns profitent du savoir des autres. Cela devrait créer une émulation, des transferts de connaissances et renforcer la communauté. L'idéal serait de parvenir à quelques experts pour chaque catégorie d'insectes : cela facilitera et améliorera l’identification des milliers d’insectes pollinisateurs.  Cette nouvelle plateforme en cours de construction est très ambitieuse. 
 
Tu te poses d'autres questions ?
 
Actuellement j'analyse les commentaires que font les participants sur les photos des autres. Il est possible en effet qu'une remarque extérieure pousse à remettre en question sa propre identification. C'est une question que je me pose : est-ce qu'il y a un lien entre les commentaires que l'on reçoit et les changements d'identification ? C'est probable...
 
Un autre chantier consistera, plus tard, à intégrer un algorithme d'apprentissage dans la base de données. En gros nous allons demander à un système de calcul complexe de reconnaître l'espèce pour nous, ou au moins nous faciliter la tâche. Ce système serait génial, notamment pour aider les participants à reconnaitre les espèces difficiles à identifier comme l'abeille Coucou qui visiblement gêne pas mal de monde...
 
Un conseil pour les spipolliens ?
 
Plus il y aura de participants réguliers, plus nous aurons d'experts de différents insectes et plus la reconnaissance d'insectes en sera facilitée. Sachez aussi que ce qui stimule le plus la participation c'est l'incroyable progression que nous offre la pratique. On peut devenir expert en quelques années de pratique à raison d'une demi-heure par mois. Donc en un mot : pratiquez. Et faites-le découvrir à votre entourage !
 
Es-tu toi-même un spipollien ?
 
Pas encore, je n'ai toujours pas d'appareil photo... Je suis arrivé en janvier et je ne connaissais pas, mais c'est prévu ! Je suis impatient de photographier le bourdon en particulier que je n'ai jamais vu en Algérie...
 

Où les insectes se sentent-ils le mieux ?

 
Après une thèse sur les pollinisateurs et une récente étude sur les participants, ce jeune chercheur associé au Muséum national d'Histoire naturelle explore la base de données depuis 5 ans. A 31 Nicolas Deguines est déjà un vétéran…
 
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Nicolas Deguines

 
 
Cela fait maintenant 5 ans que tu travailles sur le SPIPOLL... A 31 ans tu es presque un vétéran dans le programme !
 
Oui, j'ai effectivement soutenu une thèse en 2013, en partie grâce à la création du programme au début de mon doctorat. J'étais donc le premier à utiliser les données de ce programme, une chance ! Je me suis focalisé à l'époque sur les effets des changements d'occupation des sols sur les insectes pollinisateurs. On entendait souvent dire - aujourd'hui encore - que les milieux urbains leur sont bénéfiques car fleuris, à l'écart des produits phytosanitaires ; et qu'à l'inverse les milieux agricoles leur sont systématiquement 
dommageables. Grâce aux observations des spipolliens, nous avons tordu le cou à cette idée. Comment ? Autour de chaque collection, nous avons créé un indice reposant sur le calcul du pourcentage d'urbanisation, de nature ou de terres agricoles dans un rayon de 1km. Cela nous a permis de savoir si les insectes photographiés se trouvent dans une zone plutôt urbaine, naturelle ou agricole. Ensuite j'ai comparé dans quels milieux se trouvaient en moyenne les insectes.
 
Qu'as-tu découvert ?
 
Nous nous sommes rendus compte que les pollinisateurs étaient globalement plus attirées par les milieux naturels et agricoles et moins par les milieux urbanisés. Mais comme souvent en écologie tout n'est pas si simple. On peut en réalité distinguer les insectes "urbains" et les "ruraux". Ou autrement dit, les "urbanophiles" et les "urbanophobes". En effet les hyménoptères - l'ordre des abeilles - sont de cette première catégorie : ils ont une bien meilleure tolérance à la ville que les lépidoptères (papillons), les coléoptères (scarabées, longicornes, coccinelles...) et les diptères (mouches). Pourquoi ? On pense que cela provient des cycles biologiques. Les chenilles qui deviendront papillons ont besoin de plantes hôtes et d’habitats bien particuliers ; comme les larves des mouches, les chenilles sont exigeantes. A l’inverse les abeilles ont un cycle biologique plus simple qui les rend plus adaptables. Mais globalement, la ville n'est pas l'eldorado des insectes tel qu'on le pensait.
 
Tu t’es aussi récemment intéressé aux participants du SPIPOLL…
 
Oui, j'ai regardé dans la base si une pratique répétée diminuait le nombre d'erreurs d'identification des insectes. En clair, je voulais en savoir plus sur le phénomène d'apprentissage. Mais je ne peux malheureusement pas vous en dire plus pour le moment, un article scientifique sera publié prochainement... [nous vous tiendrons informés, NDLR].
 
Il paraît que tu es un "redoutable" spipollien !
 
Oui, déjà pendant ma thèse, lorsque je partais en week-end ou en vacances, je prenais mon appareil et photographiais les pollinisateurs que je croisais en chemin. Je pratique encore régulièrement, en particulier quand je rentre chez moi en Normandie, au bord de la mer. J'ai aussi fait de belles sessions à Paris. Je me souviens d'ailleurs avoir découvert, il y a quelque temps, dans une friche en Seine-Saint-Denis, une bestiole que je ne connaissais pas... C'était un papillon de la famille des Sésies qui ressemblait à s’y méprendre à une guêpe. C'est ce qui me fascine avec le Spipoll : on a beau travailler tous les jours sur les pollinisateurs, on découvre toujours des spécimens insoupçonnés.
 

 
Comme François, Zakaria et Nicolas, ils sont plus d’une dizaine de chercheurs à scruter tous les jours vos publications pour les faire parler. Ces quelques exemples de travaux vous montrent à quel point les photos que vous nous envoyez sont utiles. Et plus vous pratiquerez, plus les scientifques pourront approfondir nos connaissances sur les insectes pollinisateurs. Sans parler de ce que l'exercice vous apporte à tous individuellement : connaissances, sensibilisation à leur "état de santé", et surtout des rencontres uniques avec ces animaux fascinants. Ah ! j'allais oublier de vous transmettre un dernier message de leur part : merci à tous les spipolliens !
 
 
Hugo.
 
Toutes les informations sur le programme SPIPOLL : ICI
 
*Spipollien : participants au spipoll. Nom que la communauté s'est auto-attribuée. 
 

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