Parfois, la recherche révèle des surprises. Des résultats un peu contraires à ce que l'on s'attendait. Benoit Fontaine, notre spécialiste des papillons et des escargots, s'est trouvé dans ce cas avec Audrey Muratet de l'Observatoire Départemental de la Biodiversité Urbaine du Conseil Général de la Seine-Saint-Denis.
Une étude réalisée grâce aux observateurs des papillons et des bourdons
Tous deux ont en effet étudié l'impact de l'utilisation de produits phytosanitaires (herbicides, fongicides, insecticides, etc.) sur l’abondance des papillons et des bourdons dans les jardins des participants à l'Observatoire de la Biodiversité des Jardins. Leur article scientifique Contrasting impacts of pesticides on butterflies and bumblebees in private gardens in France vient d'être publié dans Biological Conservation (téléchargeable ici gratuitement jusqu'au 8 février 2015).
Plus le jardin est grand, plus la diversité augmente
355 326 papillons de 28 espèces ont eu le privilège d'être répertoriés dans plus de 3700 jardins entre 2009 et 2011. Côté bourdons, on a atteint 52 631 individus de 11 groupes d'espèces dans près de 1120 jardins. Sans surprise, plus la surface du jardin est grande, plus l'abondance des papillons et des bourdons augmente.
Plus il y a de diversité florale, plus il y a aussi de pollinisateurs
Comme les participants aux observatoires sont également invités à indiquer la présence des plantes communes très attirantes aux yeux des insectes, les lavandes, le Buddleia, les centaurées, les valérianes, les orties (lire ici un article du blog), le lierre (un autre là), etc., Audrey et Benoit ont également pu faire le lien entre la diversité florale et la présence des pollinisateurs. Leur résultat concorde avec d'autres études scientifiques : à savoir que plus il y a d'espèces de plantes à fleurs dans un jardin, plus il y a de pollinisateurs. Toujours sans surprise.
Passion papillons par jplx44, participant à l'Observatoire des Papillons des Jardins
Insecticides et herbicides, même peu utilisés, diminuent les abondances
Passons à l'utilisation des insecticides et des herbicides. Même lorsqu'ils sont utilisés de manière occasionnelle, ils sont liés à une diminution du nombre de pollinisateurs. Pour les papillons, l'abondance diminue de 5% avec les herbicides et 4 % avec les insecticides ; chez les bourdons de 14% avec les herbicides et 9% avec les insecticides. L'effet est d'autant plus important lorsque les jardins sont situés en zone urbaine. Isolés les uns des autres, ils ne facilitent pas la tâche aux chercheurs de nectar, qui tentent de trouver leur pitance dans un labyrinthe de béton. La recolonisation des jardins traités doit être plus lente par les pollinisateurs.
Le résultat qui n'était pas attendu
La surprise vient de l'utilisation des fongicides, bouillie bordelaise et anti-limaces. Ces produits augmentent en effet l'abondance des papillons et des bourdons. Le résultat n'était pas du tout attendu par les chercheurs ! Audrey a plusieurs fois refait les analyses avant de se rendre à l'évidence.
© Benoit Fontaine | MNHN
« Les plantes, protégées des maladies fongiques et des limaces, doivent probablement pouvoir allouer plus d'énergie à la production de fleurs et de nectar » m'a dit Benoit. « Cela a l'effet indirect de profiter aux pollinisateurs ».
Un résultat à ne pas prendre au pied de la lettre
Amis lecteurs ne vous imaginez pas utiliser ces produits pour le bien-être des papillons et des bourdons... Les pesticides ont des effets négatifs sur d’autres organismes très importants pour l’écosystème : ceux du sol. Audrey a pu montrer que les vers de terre, pourtant non ciblés, sont moins abondants dans les parcelles de blé traitées avec des herbicides, des insecticides ou des fongicides (l'article scientifique ici). Les effets de ces produits sur l’écosystème sont complexes, car ils ont des impacts même sur les organismes qu’ils ne visent pas !
Polyommatus icarus © Böhringer Friedrich | Wikimedia Commons
Quand les observations des participants remontent jusqu'à Bruxelles
Ceci dit, Benoit est allé au mois de décembre rejoindre ses confrères responsables des programmes de suivi des papillons de tous les pays d’Europe grâce à Butterfly Conservation Europe, une organisation dédiée à la protection des papillons, dont les activités vont des comptages de terrain jusqu’au lobbying à Bruxelles.
Il m'a rapporté que les études concernant les conséquences du changement climatique sur les papillons ne sont pas réjouissantes. Dans le moins mauvais des scénarios de réchauffement, 3 % des papillons d'Europe perdront 95 % de leur aire de répartition. Sinon, ce sera la moitié des espèces qui perdront presque la totalité de leur aire.
Espérons que dans ce cas, nous serons surpris... positivement.
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Lisa Garnier, le lundi 26 janvier 2015
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Pour participer à la prochaine saison :
→ L'observatoire des Papillons des Jardins avec Noé conservation
→ L'observatoire des Bourdons avec le Groupe Associatif Estuaires