Ce n’est plus un secret : les pratiques agricoles, qui s’étendent sur plus de la moitié de la surface nationale, ont un impact considérable sur la biodiversité. Si la transition vers une agriculture plus durable s’engage péniblement, les moyens d’action sont maintenant bien identifiés, du moins ceux qui pourraient redonner un peu de vie aux parcelles : diminution des pesticides, et du travail du sol, diversification des cultures et des paysages notamment. Cependant les indicateurs manquent pour mesurer, à petite et grande échelle, la biodiversité ordinaire en milieu agricole, son évolution et surtout ses liens avec les pratiques. L’OAB (Observatoire Agricole de la Biodiversité), offre justement aux agriculteurs la possibilité de suivre, au cœur de leur culture, l’abondance des vers de terre, abeilles sauvages, invertébrés et papillons. A partir des résultats compilés dans le dernier bilan, nous pouvons relever quelques facteurs assurant la bonne santé d'une parcelle.
1 - Du bio… mais pas que : la preuve par les abeilles sauvages.
Le protocole « abeilles sauvages » montre de très bons résultats dans les cultures bio. Le nombre de nids occupés double quasiment en comparaison avec les cultures « conventionnelles » ! Pour autant, de nombreuses pratiques alternatives non biologiques conduisent à des résultats meilleurs encore. Parmi elles, toute une gamme allant des agricultures raisonnée, durable, bio non labellisée, à l’agriculture de conservation, au sans labour etc. Comment l’expliquer ? « Nous avons rassemblé dans la catégorie « ni bio, ni conventionnel » des pratiques diverses et souvent très bénéfiques pour la biodiversité comme on le constate souvent en permaculture. Mais nous devons encore regarder les résultats par pratique pour identifier celles qui profitent réellement aux abeilles » explique Nora Rouillier, coordinatrice de l’OAB. Cela confirme que le bio n’a pas le monopole de la vertu, au moins en matière de biodiversité comme nous l’avait déjà démontrée une récente étude. Ajoutons que des exploitations d’excellente qualité ne peuvent parfois accéder au sacro-saint label pour plusieurs raisons - très longue durée de conversion exigée (trois ans), rigidité du cahier des charges…
Différences d’abondance moyenne d’opercules d'abeilles sauvages entre mode de production
2 - Un paysage varié : la preuve par les papillons
Plus un paysage ressemble à une « mosaïque » plus il est accueillant, non seulement pour les abeilles mais aussi pour les autres taxons suivis. La présence de haies, d’espaces naturels, de prairies, de forêts – idéalement tous associés -, contiendra d’autant plus d’habitats, de nourriture, de refuges ou de lieux de reproduction pour la faune agricole. Un phénomène flagrant pour les papillons qui dépendent de végétaux spécifiques à la fois pour manger et pondre leurs œufs, mais également des buissons ou des haies pour se réfugier. Bref, il est facile de comprendre qu’une vaste culture homogène entourée d’autres cultures tout aussi uniformes ne peut qu'être un désert de vie.
Différences d’abondance de papillons selon la structure du paysage
3 - Une culture bien entourée : la preuve par les insectes
En répartissant des planches à insectes sur leurs parcelles, les agriculteurs ont observé davantage d’invertébrés (limaces, cloportes, fourmis etc.) en bordure qu’au centre. Même raison que précédemment, liée aux structures naturelles accueillantes. Les fossés, haies, arbres ou autres qui délimitent les cultures offrent toutes sortes de trous pour se cacher, accueillir des nids, et des ressources pour se nourrir.
Relation entre travail du sol et diversité d’invertébrés selon la position de la planche. (données 2014 – 2018)
4 - Des plantations bien entourées : la preuve par les vers de terre
Mais si la parcelle doit être bien entourée, les plantations également. En arboriculture ou en viticulture, les espaces entre les rangées de ceps et d’arbres restent souvent inexploités. Or les résultats de l’OAB montrent qu’un simple couvert végétal dans les inter-rangs fait croître les populations de vers de terre. L’herbe apporte à ces petites bêtes une indispensable matière organique qui, une fois digérée et restituée, ira enrichir le sol en retour. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en arboriculture, on remarque que planter de l’herbe entre les tronc d’arbres peut apporter 50 fois plus de vers !
Différences dl’abondance des groupes écologiques de vers de terre observésselon la gestion de l’inter-rang
5 - Un sol non perturbé : la preuve par les insectes et les vers de terre
Dans les grandes cultures type céréale ou maïs, le labour est la bête noire de la biodiversité du sol. En particulier des vers de terre et des invertébrés (des cloportes aux araignées en passant par les limaces ou les fourmis). Le travail intense du sol détruit les galeries, les lieux de reproduction, la nourriture disponible… Sans surprise, ces deux groupes, indispensables à la fertilisation, s’épanouissent lorsque le travail du sol reste superficiel ou inexistant (semi direct).
Relation entre travail du sol et abondance de vers de terre et d’invertébrés en grande culture
Ces quelques résultats (il y en a d’autres) sont certes pour la plupart attendus. Mais ils confirment, années après années, que la richesse de la biodiversité est directement liée aux pratiques. Les chiffres sont là. Chiffres que l’on peut maintenant brandir pour encourager les initiatives de transition. Avec le protocole chauves-souris en cours de tests, l’OAB produira bientôt son 6ème indicateur, chacun offrant aux agriculteurs la possibilité de suivre en connaissance de cause les meilleures orientations. Preuve de la fiabilité de nos données, de nouvelles études valident aujourd’hui des tendances que nous constatons depuis longtemps. Cet été une publication de l’INRA, du CNRS et d’autres pays ont mis en évidence les bienfaits de l’hétérogénéité des cultures en matière de biodiversité. Mais au-delà de ces indicateurs, l’OAB rapproche les agriculteurs de cette faune que le productivisme a longtemps voulu occulter.