Auxiliaire des cultures, indicateur écologique : ce petit mammifère a tout pour intéresser chercheurs et agriculteurs
Proposer aux exploitants agricoles d’ « écouter » les chauves-souris sur leurs parcelles : voici le projet de l’Observatoire Agricole de la Biodiversité. En pleine phase de test, ce nouveau protocole vient grossir les rangs de l'observatoire qui en contient déjà quatre à l’heure actuelle, sur les abeilles sauvages, les vers de terres, les invertébrés et les papillons. Jusqu’à présent seuls les naturalistes de l’observatoire Vigie-Chiro mais aussi les élèves de Vigie-Nature Ecole avaient la chance de pouvoir suivre ces animaux fascinants.
Si le projet s’adresse aujourd’hui aux agriculteurs, c’est d’abord parce que les chauves-souris s’avèrent être d’excellents auxiliaires des cultures. Les bénéfices apportés par ce mammifère insectivore seraient même considérables. En témoigne une récente étude américaine (1) qui porte sur la larve d’un papillon particulièrement dévastatrice : le Ver de l'épi du maïs. En empêchant les chauves-souris d’accéder à la culture à l’aide de filets, les chercheurs ont pu constater une division des rendements... par deux ! En Europe, et en particulier chez nous en France, ces prédatrices nocturnes nous débarrassent également de nombreux petits papillons ravageurs comme la Pyrale du Maïs, l’Eudémis de la vigne ou la chenille du Carpocapse de la pomme. Leur efficacité n’étonne guère lorsqu’on connaît la voracité de l’animal : en une nuit une chauve-souris peut ingérer plus d’un tiers de son poids en insectes. Autre étude (2) tout aussi frappante, cette fois sur des rizières en Catalogne. En mettant à disposition des gîtes artificiels à disposition de Pipistrelles sopranes, leur densité a été multipliée par dix en dix ans. Pendant ce temps-là, les infections de riz par des larves de Pyrale du riz ont chuté d’un facteur cinq.
L’importance de ces insecticides naturels ne fait donc pas de doute. Mais faut-il encore que l’environnement soit accueillant. Haies, lisières ou bandes enherbées, toutes ces infrastructures agroécologiques sont autant de terrains de chasse, de routes de vol, ou de gîtes indispensables. Par conséquent, « les chauves-souris peuvent servir d’indicateurs écologique. Leur présence témoigne en effet de la richesse du paysage et de la biodiversité associée » souligne Marine Gerardin, responsable des sites de démonstration pour les établissements agricoles à l’OAB. Des indicateurs qui permettront en particulier aux agriculteurs d’établir des liens entre les observations et les pratiques mises en place. « L’idée sera aussi de savoir quelles espèces viennent chasser sur les parcelles et d’obtenir de nouvelles données sur leur abondance. » Comme de nombreuses espèces fréquentant nos campagnes, les chauves-souris semblent globalement en déclin. En cause : la disparition de lieux garde-manger comme les zones humides, les prairies, les haies ; la raréfaction des dortoirs comme les arbres creux ou encore l’utilisation des pesticides chimiques. Selon les données Vigie-Nature publiées dans l’Observatoire National de la Biodiversité, les populations françaises, tout milieux confondus, ont réduit de 38% en 10 ans.
Mais alors, comment nos agriculteurs vont-ils procéder en pratique ? « Nous avons repris un des protocoles de l’observatoire Vigie-Chiro, qui consiste à enregistrer sur un point fixe les ultrasons au milieu de la parcelle, à 50 mètres du bord. » Deux enregistrements devront être effectués entre juin et septembre sur la même parcelle. Les participants enverront ensuite leurs enregistrements qui intègreront la base de données Vigie-Chiro. Grâce à l’analyse automatique des fichiers déposés, ils découvriront enfin quelles espèces se sont aventurées chez eux ; ils pourront également se comparer aux résultats nationaux et aux autres parcelles de leur région.
« Outre quelques informations sur les pratiques, les paysages, nous demanderons également d’évaluer la proximité des mares et des étangs, source d’eau indispensables pour les chauves-souris, et celle des bâtiments » complète Marine. En effet la vie d’une chauve-souris se déroule aussi à l’intérieur des exploitations, littéralement. Selon les espèces, si l’été les arbres creux suffisent pour se réfugier, en hiver ce sont les grands bâtiments qui font office de dortoir. Des lieux frais, tranquilles, bien adaptés aux longues hibernations. D’où l’intérêt de soigner les intérieurs, d'éviter de reboucher cavités, trous, interstices. Même très discrètes, les chauves-souris font ainsi souvent partie intégrante des exploitation agricoles.
Pour le moment, les équipes de l’OAB et de Vigie-Chiro travaillent conjointement pour concevoir des outils pédagogiques sur les chauves-souris en milieux agricoles ou encore sur l’utilisation des enregistreurs. La phase test avec une dizaine de volontaires s’étalera de juin à septembre 2019 avant un lancement prévu courant 2020.
Hugo.
(1) Bats initiate vital agroecological interactions. Josiah J. Maine, Justin G. Boyles
(2) PUIG-MONTSERRAT X., TORRE I., LOPEZ-BAUCELLS A., GUERRIERI E., MONTI M.M., RAFOLS-GARCIA R., FERRER X., GISBERT O. & FLAQUER C., 2015. Pest control service provided by bats in Mediterranean rice paddies : linking agroecosystems structure to ecological functions. Mammalian Biology, 80, 237-245 55. WANGER T. C., DARRAS K., BUMRUNGSRI S., TSCHARNTKET T. & KLEIN A.-M., 2014. Bat pest control contributes to food security in Thailand. Biological Conservation, 171, 220-223