« La nature reprend ses droits » répétaient en boucle les médias lors du premier confinement au printemps 2020. Si la formule reposait sur une appréciation très exagérée de la réalité, une récente publication américaine nous apprend que la réduction drastique des activités humaines a bel et bien eu un impact sur la biodiversité, en l’occurrence sur les oiseaux communs. Les scientifiques se sont appuyés sur la gigantesque base de données participatives américaine, eBird. Entre 2017 et 2020, plus de quatre millions d’oiseaux ont été signalés au Canada et aux Etats Unis par les milliers de bénévoles. Des comptages massifs qui se sont poursuivis tant bien que mal selon les états au printemps 2020 malgré les restrictions de circulation.
L’objectif de l’étude : mesurer l’impact de la baisse des activités humaines sur les oiseaux dans les zones où le contraste était le plus flagrant. Aéroports, routes, centres-villes ont vu ces réductions atteindre 25% par rapport aux années précédentes, tel que le montre un indicateur choisi par les auteurs, tenant compte de plusieurs paramètres (circulation automobile, bruit ambiant, collisions routières).
Reconquête des milieux
Quelle fut donc la réponse des oiseaux entre mars et mai 2020, à la fois période de migration et mise en place des premières mesures sanitaires ? Les données des observateurs montrent que de nombreuses espèces se sont livrées à une véritable reconquête. Durant le printemps pandémique, le nombre de colibris à gorge rubis a triplé près des aéroports ; celui des troglodytes de Caroline plus que doublé près des routes. Au-delà de ces quelques résultats spectaculaires, 80% des espèces suivies ont vu leur quantité croître dans ces zones alors nettement plus accueillantes ! L’Hirondelle rustique suit la même tendance. « Contrairement au troglodyte de Caroline, l’hirondelle rustique, également présente chez nous, chasse haut et consomme du plancton aérien. On ne s’attend pas à trouver un si gros impact » analyse Grégoire Loïs, Co-Directeur de Vigie-Nature.
«Ces augmentations locales d'effectifs sont sans doute dues à des déplacements de populations, qui ont trouvé des habitats favorables pendant le confinement, sans augmentation global des effectifs» précise Benoît Fontaine, reponsable des observatoires naturalistes à Vigie-Nature. D'autant que toutes les espèces n'ont pas participé à cette recolonisation des routes et autres aéroports comme l'admettent les chercheurs : « Les recherches futures devraient permettre de savoir si ces effets des confinements sur les oiseaux ont été causés par une diminution du bruit, de la mortalité routière, de la pollution de l'air ou par d'autres changements. Cela nous aiderait à mieux comprendre pourquoi certaines espèces ont augmenté et d’autres ont diminué ».
Autre constatation des scientifiques : la fréquence des haltes en milieu urbain des oiseaux migrateurs s'est accrue pendant la pandémie. Cette dynamique générale de reconquête en dit long sur sur l'étendue des pressions pesant en temps normal sur les populations d'oiseaux. D'un autre côté, à l'heure où la perte des habitats demeure la principale menace qui pèse sur la biodiversité, de tels résultats témoignent du caractère reversible de la situation.
Variation du nombre d'oiseaux (pour 5 espèces) liées aux déclins de l'activité humaine pour les périodes pandémique et prépandémiques
( A ) chevauchement entre la migration maximale et les réductions maximales des déplacements humains, Sarcelle à ailes bleues ( Anas discors ); ( B ) variation en pourcentage de la mobilité humaine pendant la pandémie, Pygargue à tête blanche ( H. leucocephalus ); ( C ) habitat urbain versus rural, Paruline noire et blanche ( Mniotilta varia ); ( D ) distance à l'aéroport, Colibri à gorge rubis ( A. colubris ); et ( E) distance à la route principale, hirondelle rustique ( H. rustica ).
pièges écologiques
Une question anime désormais les spécialistes : cette parenthèse s'est-elle refermée sans laisser de traces ? L ’« anthropause », terme formulé par les auteurs de l’étude pour désigner l’arrêt ponctuel des activités, a-t-elle joué un rôle de conservation des espèces ? Compte tenu de la reprise rapide des nuisances, rien n’est moins sûr. Selon eux, « les oiseaux qui se trouvaient dans des territoires relativement peu perturbés pendant le pic de confinement peuvent avoir été exposés à une augmentation du bruit de la circulation et à de la mortalité routière une fois que les confinements ont été assouplis, ce qui a pu créer des pièges écologiques pendant la saison de reproduction qui a suivi. »
Ces résultats doivent donc être affinés et corroborés par de nouvelles études. Ils montrent néanmoins qu'une réduction des pressions, même de courte durée, fait revenir les oiseaux dans les milieux les plus hostiles. De quoi lever les doutes, s’il y en avait encore, sur nos capacités d’action.