Fiche d'observation de l'hermelle
C’est une structure composée de trous réguliers à la manière d’un nid d’abeille. Sauf que nous ne sommes pas au milieu d’un champ, mais sur une plage du centre-ville de Marseille. Sur cet enrochement régulièrement recouvert par la mer vivent des hermelles, de petits vers marins de trois à quatre centimètres de longs, chacun de ces vers étant camouflé dans un tube qu’il a lui-même façonné à partir des grains de sables captés dans l’eau. « L’intérieur est parfaitement lisse, le ver oriente les grains pour que les parois soient complètement homogènes » décrit Marine Jacquin, responsable du programme BioLit à Marseille. Ces tubes agglomérés forment une étonnante sculpture de sable en trois dimensions. Très présents sur tout le littoral de l’Atlantique et de la Manche, certains peuvent atteindre jusqu’à deux mètres de hauteur.
Si cette découverte fait autant parler d’elle dans la cité phocéenne, c’est qu’elle est tout à fait exceptionnelle. En novembre 2020, Anjelika guide-conférencière et Julien P. animateur du Centre Initiation et Découverte Mer de la Ville de Marseille croisent par hasard la structure. Ces observateurs chevronnés n’ont jamais rien vu de tel dans leur ville : qu’est-ce donc ? Ils prennent une photo illico et la publient sur BioLit, programme de sciences participatives proposant à tout un chacun de signaler ses rencontres avec la biodiversité marine et littorale. Les photos passent ensuite sous l’œil attentifs d’experts liés au programme pour valider les identifications des espèces proposées par les observateurs. Toutes les données permettent de réaliser des suivis, et renseignent plus largement sur l’état de santé du littoral.
Heureuse coïncidence, Angélila et Julien P. étaient tombés, quelques jours plus tôt, sur un article scientifique publié en 2007 par Daniel Faget, historien des milieux aquatiques. Ce dernier y retrace l’histoire d'une certaine hermelle à Marseille. Il y explique que ce petit vers, excellent appât pour la pêche, était jadis vendu en grande quantité dans certains ports de la ville, comme celui de l’Estaque. Mais cela ne dura qu’un temps. « Au début du XXème siècle la ressource avait pratiquement disparue, raconte Marine Jacquin. Ajoutons à cela les activités humaines comme le développement du littoral, l’urbanisation qui ont dégradé l’écosystème. Selon l’article de Daniel Faget l’espèce est considérée comme disparue depuis près de cent ans ».
Reconquista
Julien P et Anjelika font de suite le lien avec leur observation qui ressemble fortement à une colonie d’hermelles. Ils proposent de l'identifier comme telle. Avertie, puis entousiasmée par l'idée d'un possible retour de l'hermelle, l'équipe de BioLit prend contact avec l’IFREMER. Un échantillon est prélevé puis envoyé aux scientifiques qui annoncent rapidement la nouvelle. Il s’agit bien de Sabellaria alveolata. La nouvelle réjouit d'abord Stanilas Dubois et son équipe de recherche qui réalise de vastes suivis de ces organismes. Deux récifs avaient déjà été décrits sur le littoral méditerranéen, mais rien à Marseille. La présence actée, une question se pose néanmoins : a-t-on affaire à un retour de l’espèce ou à un reliquat ? Marine, qui suit de près le travail des chercheurs avance une hypothèse : « Il s’agit d’une petite colonie, on ne peut pas encore parler de récif, ce qui indique qu’elle s’est peut-être installée récemment. De plus, la présence de grands individus et de plus petits, signifie qu’il y a eu des recrutements. » La colonie est donc bien vivante et potentiellement nouvelle, ce qui ne fait qu’accroître l’importance de la découverte.
Les sciences participatives ont joué un rôle décisif dans cette trouvaille. Sans les photos d’Angelika et Julien P., nous serions peut-être passés à côté de ce phénomène inédit. Mais la « mission hermelles » ne s’arrête pas pour autant : pour prendre la mesure de ce retour, tous les observateurs sont invités à faire part de leurs rencontres. « Depuis que nous avons fait un appel aux participants, nous avons déjà eu un signalement dans le parc régional de Camargue à Beauduc, et un autre en Occitanie à Vias. Et à Marseille, la même colonie a été observée par un autre participant ! » se réjouit Marine. Une reconquista du littoral méditerranéen serait une bonne nouvelle, d’autant plus que l’animal est plein de vertu : il renforce le littoral, abrite un écosystème foisonnant et participe même à la filtration de l’eau de mer. Mais difficile pour le moment d’avancer quelque explication. Le mystère des hermelles reste encore enfoui au fond de leurs tubes de sable.
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