C’est parti ! Le samedi 13 novembre démarre la saison 8 de BirdLab. Nous avons interrogé les chercheurs François Chiron et Carmen Bessa-Gomes sur les analyses effectuées durant l’année. Une grande tendance se dessine dans les milieux agricoles.
Chardonneret élégant (photo : Marie Panattoni)
Les restrictions sanitaires semblent avoir favorisé la participation à BirdLab. Comme nous le notions dans notre Bilan, les parties avaient augmenté de 117% lors du premier confinement (mars 2020) par rapport à l’année précédente. La dynamique s’est-elle poursuivie lors de la dernière saison de BirdLab, de novembre 2020 à mars 2021 ?
-François : Lors de la saison dernière, près de 16 129 parties ont été réalisées. C’est beaucoup. Pour vous donner une idée, presqu’un quart des données accumulées depuis le début du programme il y a 7 ans ont été envoyées entre 2020 et 2021. Les confinements successifs ne sont pas étrangers à cette augmentation, c’est évident. Tous ceux qui avaient la chance de posséder un jardin en ont profité pour se livrer à des activités nature sans sortir de chez soi. BirdLab est tombé à point nommé, en particulier en novembre dernier, lors du deuxième confinement [voir courbe bleue, NDLR]. Bref la dynamique est positive. Espérons qu’elle se maintienne dans la période post-covid.
De nouvelles analyses ont été menées cette année sur les mangeoires situées dans des zones agricoles. Qu’avez-vous découvert ?
-Carmen : Nous avons proposé à Clément Couloigner qui a réalisé son stage de fin d’étude avec nous de se pencher sur l’utilisation des mangeoires dans les milieux à dominante agricole. Il a d’abord sélectionné des sous-ensembles de mangeoires dans un contexte rural (à partir de images satellites), avec différents modèles d’intensité d’exploitation. Nous nous sommes ensuite demandés si, dans ces zones, les visites aux mangeoires changeaient au cours du temps et s’il y avait des différences par rapport à d’autres milieux.
En termes de présence/absence, le contexte rural ne change pas vraiment la donne. En revanche nous avons constaté un effet temporel important. Plus concrètement, les espèces généralistes (pinson des arbres, rouge-gorge, merle noir…) sont plutôt signalées dès le début de la saison, à la mi-novembre, alors que les espèces agricoles (chardonneret élégant, verdier d’Europe, tourterelle turque…) arrivent généralement plus tard, mi-janvier voire février, quand l’hiver est le plus rude.
Comment expliquer que les oiseaux agricoles arrivent plus tard ?
-Carmen : Les espèces agricoles sont souvent granivores, ils se nourrissent habituellement de graines dans les champs durant l’hiver. Mais cette ruée sur les mangeoires au mois de février montre que les ressources « naturelles » cessent d’être suffisantes à ce moment-là. L’agriculture intensive a clairement réduit la nourriture disponible. Les sols se trouvent parfois complétement nus après les récoltes en fin d’été. Les mangeoires sont donc une ressource secours pour de nombreuses espèces. Ce phénomène ne s’observe pas pour les oiseaux généralistes, à l’alimentation plus diversifiée, qui viennent régulièrement aux mangeoires mais peuvent aussi se rabattre sur d’autres sources d’alimentation même en hiver. Raison pour laquelle leur présence est plus stable tout au long de l’année.
-François : Nous savions, notamment grâce à l’étude de Pauline Pierret à partir des données Oiseaux des jardins, que les oiseaux, en particulier les spécialistes sont plus abondant dans les jardins à proximité de zones agricoles, et d’autant plus que l’hiver avance. Ils viennent chercher de la nourriture qu’ils ne trouvent plus ailleurs. BirdLab vient confirmer cette tendance. Ce qui montre encore une fois la qualité des données des joueurs.
Ces résultats préliminaires sont intéressants. Ils soulèvent aussi de nombreuses questions. Pourrait-on voir des variations d’occupation des mangeoires en fonction du type d’agriculture pratiquée par exemple ?
-François : Ce travail pose en effet la question de la gestion agricole. Pourquoi les ressources sont-elles insuffisantes dans nos campagnes pour les espèces agricoles ? Il serait intéressant de savoir comment se comportent les oiseaux sur les mangeoires autour de parcelles bio par exemple. Résultats que nous pourrions mettre en parallèle avec ceux que nous venons d’obtenir. C’est un projet de recherche que nous mènerons probablement dans l’avenir.
-Carmen : La surreprésentation des espèces généralistes une grande partie de l’année pourrait aussi, peut-être, les favoriser par rapport à des espèces spécialistes, généralement plus fragiles. Espèces spécialistes des milieux agricoles ou espèces forestières. Les mangeoires auraient tendance à fixer les individus généralistes sur un territoire, mais nous ne savons pas dans quelle mesure cela favorise certaines espèces par rapport à celles qui ne vont pas aux mangeoires. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir. Heureusement !
Vous avez tous les deux des mangeoires, François à Strasbourg, Carmen en région parisienne . Qu’avez-vous retenu de la dernière saison ?
-François : Chez moi à Strasbourg ce fut un échec. J’ai des oiseaux qui viennent très tard, en fin de saison, pas avant février… En plus ils ne viennent que deux ou trois semaines avant de se reproduire dans les arbres d’alignement près de chez moi. Je ne sais pas ce qu’ils font le reste du temps. Comme quoi, même nos propres mangeoires révèlent des phénomènes étranges. Est-ce qu’il y aura du changement cette année ? Nous verrons. C’est tout le charme du jeu : on ne sait jamais ce que l’hiver nous réserve.
-Carmen : Moi je retiens la venue de mésanges huppées pour la première fois sur mes mangeoires suspendues. C’était très ponctuel, et il n’y avait qu’un seul couple. Les deux tourtereaux étaient très liés. Lorsque l’un mangeait, l’autre surveillait à côté. C’était un moment fort, très original, car j’avais plutôt l’habitude de voir des mésanges à longue queue. Reviendront-elles l’année prochaine. Mystère !