J'ai interrogé Romain Lorrillière, chercheur à L'Université Paris-Sud, sur les dernières analyses des données BirdLab, notre jeu d'observation des oiseaux aux mangeoires. De quoi stimuler tous les joueurs en pleine saison !
Cela fait maintenant quatre ans que les joueurs récoltent des données devant leurs mangeoires, et la participation est au beau fixe. Que penses-tu de cette dynamique positive ?
Nous sommes ravis de voir de nouveaux joueurs s’inscrire chaque année. L’hiver dernier, nous avons même explosé tous les compteurs : plus de 7000 parties effectuées sur quatre mois, presque deux fois plus que la saison précédente ! Il semble également que les « anciens » font preuve d’assiduité d’une année sur l’autre ; ce qui prouve le succès de l’application. Grâce à cet afflux de données, même si nous n’en sommes qu’au début, nous pouvons enfin commencer à extraire de sérieuses et stimulantes informations.
Cet été, pendant que les mangeoires patientaient dans les garages, toi et tes collègues avez étudié l’effet des paysages sur les visites aux mangeoires. Qu’avez-vous observé ?
Oui avec mes collègues de l'Agro-Paris-Tech (François Chiron et Carmen Bessa-Gomes), qui coordonnent ce programme avec le MNHN et la LPO, nous avons commencé à analyser les données. Le premier phénomène frappant est l’impact négatif de l’urbanisation sur la fréquentation des mangeoires. Celles qui se situent dans des zones à forte densité de bâti accueillent globalement moins d’oiseaux et moins d'espèces différentes. Constat similaire dans les paysages à dominante agricole. Dans tous les cas, on voit que c’est la diversité paysagère qui prime : un peu de culture dans une zone très bétonnée et on assiste à une forte augmentation de la diversité des oiseaux.
Zoomons sur les espèces. Lorsque les mangeoires sont bordées de champs ou de forêts, elles accueillent toutes des oiseaux communs tels que le rouge gorge, le merle, etc. Sans pour autant perdre leur spécificité ! Dans les milieux forestiers s’ajoutent des espèces typiques comme le pic épeiche ou le pinson des arbres, et dans les milieux agricoles le verdier d'Europe, le moineau friquet notamment.
Au milieu de l’hiver ces oiseaux typiques des milieux agricoles ont un comportement singulier …
On s’aperçoit que dans les paysages agricoles diversifiés (avec des bocages, bois, zones résidentielles…) les oiseaux agricoles affluent en nombre dès le début du mois de décembre. Certaines mangeoires peuvent en accueillir presque deux fois plus à la fin de l’hiver ! Une telle déferlante viendrait du fait qu’au cours de la mauvaise saison, comme les graines se font rares dans les champs, beaucoup d’oiseaux agricoles se déplacent dans des milieux plus accueillants pour y trouver de la nourriture. Par exemple du lierre rampant dans les bois ou sur les murs des maisons et qui offre des baies jusqu’au mois de février. Il faut aussi prendre en compte dans cette ruée vers les milieux agricoles diversifiés l’arrivée des oiseaux venus d’Europe de l’Est comme le gros-bec casse-noyaux très observé l’année dernière. En revanche ce phénomène de redistribution ne concerne pas les villes, car la disponibilité en ressources y est relativement constante tout au long de l’hiver.
Vous avez également obtenu des confirmations intéressantes concernant les comportements des oiseaux ?
Grâce aux données du jeu, nous avons mis en évidence des comportements caractéristiques déjà bien connus. Nous observons par exemple que la mésange huppée à tendance à se rendre seule ou à deux sur la mangeoire. En tant que non migrateur, il est fréquent d’observer le même couple territorial tout au long de l’hiver ! Et s’il y a un conifère dans le jardin, il est même probable qu’il niche dans votre jardin l’été. Alors que le rouge gorge peut arriver chez vous puis repartir en laissant la place à un autre. Sans jamais partager la mangeoire avec un congénère.
Ces espèces « solitaires » se démarquent des « grégaires » comme le verdier d’Europe ou le chardonneret élégant qui eux se déplacent toujours en bande. Certains joueurs enregistrent jusqu’à cinq verdiers en même temps sur la mangeoire ! Encore une fois ces résultats traduisent l’excellente qualité des données. La grande force de BirdLab réside dans son protocole : tout le monde observe de la même façon, pendant cinq minutes et l’envoi des données se fait de manière automatique. Et grâce aux quiz d’entrainement en amont, les erreurs d’observation restent rares.
De nouveaux travaux sur les comportements à la mangeoire démarreront bientôt. Quelle sera la suite ?
Cet hiver notre collègue de l’Université Paris-Sud Carmen Bessa-Gomes va essayer de comprendre grâce aux données comment interagissent les oiseaux et comment ils se distribuent sur les deux mangeoires. Nous devrions avoir des résultats l’année prochaine.
Aussi à moyen terme, nous devrions en apprendre sur les trois espèces qui ont intégré le jeu l’année dernière, à savoir la perruche, le pigeon ramier et le moineau friquet. Pour les deux premières qui semblent bien se porter dans les milieux urbains, nous étudierons la dynamique spatiale et leurs interactions avec les autres espèces. Le moineau friquet connaît, lui, une dynamique inverse : ce petit passereau des milieux agricoles est dans une situation critique. D’où l’importance de le suivre de près.
A plus long terme nous essayerons d’étudier des choses complexes qui demanderont encore plusieurs années de données. Par exemple les effets de la météo locale afin d’établir des modèles sur l’impact des changements climatiques globaux. Lorsque le temps est mauvais, les oiseaux consomment plus d’énergie et viennent d’avantage se ressourcer sur les mangeoires. Mais combien d’oiseaux supplémentaires ? Quelles espèces en particulier ? Et comment mettre cela en lien avec les variations de température à l’échelle globale ? Nous avons besoin de données sur le temps long.
Un mot pour les participants ?
Merci, et bien sûr continuez comme ça !
Hugo.