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Route_chauves_souris©thomas_vlerick (Flickr)

Chauves-souris : « les effets négatifs des routes s’observent à très large échelle »

Sciences participatives

 

 

Grandes routes et biodiversité ne font pas bon ménage, en témoignent tous les cadavres de rongeurs, d’oiseaux ou de gibiers gisant le long de nos routes. Mais derrière ce « road kill » spectaculaire, les infrastructures routières cachent un autre type de nuisances, dont les chauves-souris pâtissent dangereusement. Même lorsqu’elles en sont très éloignées... C’est ce que nous explique le chercheur Fabien Claireau, auteur d’une récente étude sur le sujet.

 

Vigie-Nature : Le développement des infrastructures de transport est très dommageable pour la biodiversité, en témoigne l’importante mortalité de la faune entrant en collision avec les véhicules. Si ce phénomène spectaculaire est assez bien mesuré et mesurable, d’autres impacts sont en revanche plus sournois…

Fabien Claireau : En effet la mortalité par collision est assez bien documentée pour les Mammifères comme les chevreuils ou les sangliers, les oiseaux ou encore les amphibiens. Depuis quelques années les chercheurs s’intéressent à d’autres nuisances toutes aussi inquiétantes telles que le bruit, la lumière, la pollution… Nuisances qui vont bien au-delà des abords des routes : elles affecteraient les populations d’oiseaux jusqu’à 1km des voies, et les grands mammifères jusqu’ à 5km ! Concernant les chauves-souris, elles seraient également très vulnérables à ces agressions : selon une étude de 2012, les pipistrelles communes verraient leur activité diminuer à 1,6km des routes. Mais le peu de données disponibles sur ces petits Mammifères nous a poussé, mon équipe et moi-même à nous rendre sur le terrain. Plus précisément aux abords de deux autoroutes et d’une deux fois deux voies - l’A83 près de Niort, l’A10 près de la Rochelle et la N24 près de Rennes -, afin de procéder à des enregistrements acoustiques nocturnes. Nous tenions à faire les mesures en plaine, partant du postulat que le relief pourrait protéger relativement les chauves-souris des nuisances. Au total, 306 points d’écoute ont ainsi été réalisés à différentes distances de la route (entre 0 et 5 km) et en prenant soin de se placer dans des milieux divers - agricoles, forestiers, aquatiques, urbains et haies. Nous avons fait tourner les enregistrements durant plusieurs nuits, afin de capter les ultrasons reflétant l’activité de chasse et/ou de transit des chauves-souris.

Qu’ont révélé ces enregistrements ?

Déjà sur les 13 taxons de chauves-souris étudiés, 5 voyaient leur activité diminuer significativement près des routes. Sans grande surprise, il s’agit d’espèces communes volant à basse altitude, comme les murins ou le petit rhinolophe. Ces dernières capturent leurs proies directement dans la végétation, en suivant les haies, les lisières. Il faut dire que leur « sonar » ne leur permet pas de « voir » très loin, ce qui leur impose un vol ras. Mais une fois face à la route, elles se heurtent à une barrière difficilement franchissable. Et lorsqu’elles y parviennent l’issue est souvent fatale, comme l’ont montré de précédentes études sur la forte mortalité des murins par collision. Surtout, ce qui nous a clairement surpris, c’est d’observer ces baisses d’activités jusqu’à… 5km de la route ! Et ce quel que soit la qualité de l’habitat ! Je me souviens que même dans cette forêt très accueillante près de Rennes, à plusieurs kilomètres de la deux fois deux voies, le signal diminuait. Ces résultats confirment que les effets négatifs des routes s’observent à très large échelle.

trajectoire_chiro©claireau_fabien.jpg

Trajectoire d'une chauves-souris à travers un chiroptéroduc 

 

Comment expliquer ces impacts à 5 kilomètres ?

Nous pensons qu’il y a plusieurs facteurs, même si ce ne sont, pour beaucoup, que des hypothèses. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, certaines chauves-souris utilisent de l’écoute passive pour chasser. Comme cela a déjà été démontré chez les murins, le bruit des voitures pourrait ainsi venir perturber les actions de chasses, même à des distances élevées. Faites l’expérience : mettez-vous à deux kilomètres d’une autoroute, c’est loin d’être silencieux…  D’autre part, les chercheurs se sont aperçus chez plusieurs espèces de chauves-souris, que la lumière affecte les déplacements et la recherche de nourriture. Une lumière, provenant de phares de voiture, qui a également une portée relativement grande. A cela s’ajoute à la rupture des corridors écologiques par les infrastructures routières : comme les chauves-souris parcourent de nombreux kilomètres entre l’endroit où elles gîtent et les zones de chasses, leur espace vital entier se voit perturbé. En extrapolant ces résultats pour toutes les autoroutes et deux fois deux voies à l’échelle de l’Europe, nous obtenons 35% du continent potentiellement nuisible aux chauves-souris… Cela sans compter les probables impacts au-delà de 5km, et le cumul des effets avec les routes du réseau secondaire qui pourraient accroître ce pourcentage.

Dans vos travaux vous préconisez des mesures d’atténuation et de compensation. Quelles sont les pistes pour enrayer le phénomène ?

En France, les autoroutes et deux fois deux voies ont été construites avant d’avoir pris connaissance du phénomène. C’est pourquoi la plupart des mesures d’atténuation des impacts des routes se focalisent sur la connectivité des habitats de part et d’autre de la route– seule chose que peut faire le concessionnaire par ailleurs étant donné son emprise foncière. On tente donc pour l’instant d’aménager, d’optimiser les passages existants : sous les routes - le long d’un cours d’eau par exemple – ou sur les voies routières qui passent au-dessus des autoroutes. Grâce à de grands panneaux occultant par exemple, on peut pousser les chauves-souris à emprunter des chemins plus sécurisants au moment de la traversée. D’après nos connaissances, les passages sous-routiers semblent mieux prévenir les collisions que les seconds. Également depuis quelques années, cinq « chiroptéroducs » sont installés sur les routes de France. Ces ouvrages dédiés qui enjambent la voie sont en cours d’expérimentation et doivent confirmer leur réelle efficacité.

chiroduc_moulin©claireau_fabien.jpg

Chiroptéroduc sur l'A89

D’après nos travaux, il devient enfin indispensable de repenser la planification routière. Lorsque la construction d’une route s’avère inévitable, il faut impérativement réduire et compenser plus efficacement. D’une part en préservant les éléments linéaires connectés (haies, lisières) pour faciliter les déplacements des chauves-souris au sein du paysage. Et d’autre part en agissant non plus à l’échelle de la route, mais sur tous projets d’aménagement des terres. C’est donc une série de mesures qu’il faut mettre en œuvre pour protéger ces mammifères vulnérables. Et rapidement : d'ici 2050, l'infrastructure routière mondiale devrait avoir augmenté d'environ 60% par rapport à 2010.

 

Retrouvez la publication originale ICI

 

Pour aider les scientifiques à comprendre les cauves-souris, participez à Vigie-Chiro 

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