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Des chauves-souris dans les espaces agricoles

Sciences participatives

La première édition du colloque national « chauves-souris et agriculture » organisé par l’Office Français de la Biodiversité, le MNHN, les Conservatoires d’Espaces naturels et le Plan National d’Actions Chiroptères s'est tenue début février.

Pourquoi et comment favoriser la présence des chiroptères dans les espaces agricoles ?
Des réponses dans cet article qui s'appuie sur l'intervention de Florence Matutini, chargée de recherche à l'OFB au sein de la Direction de la recherche et de l'appui scientifique.

 

De l’intensification de l’agriculture à la perte de diversité
Toutes les chauves-souris présentes en Europe sont protégées, inscrites sur la liste rouge de l’IUCN. En 2020, une étude conduite à l’échelle internationale montre que parmi les causes de disparition des chauves-souris, l’agriculture se situe en deuxième position, après la déforestation (Frick et al, 2020). En France hexagonale, les trois quarts des espèces fréquentent les milieux agricoles, or, ces espaces ont été transformés au cours du 20ème siècle : mécanisation, multiplication de l'utilisation des intrants chimiques de synthèse, remembrement des parcelles pour les agrandir, conversion des prairies, disparition des haies... Si la mise en place de l’agriculture intensive pendant la période d'après-guerre était justifiée par les besoins de l’époque, aujourd’hui, on documente largement les effets délétères de ces transformations pour la biodiversité associée à ces espaces… qui occupent plus de 50 % de la superficie (28 millions d’hectares sur 55 au total) ! L’homogénéisation des paysages a conduit à une homogénéisation de la biodiversité associée, avec un déclin drastique observé pour de nombreuses espèces d’arthropodes, d’amphibiens, de mammifères et d’oiseaux.

Que nous raconte l’état de santé des populations de chauves-souris ?
Si certaines espèces ont un fort taux de fécondité et que leurs populations peuvent rétablir leur effectif après une perturbation ayant entrainé de la mortalité, ce n’est pas le cas des chauves-souris. Leur faible fécondité ne permet pas de compenser aisément la mortalité occasionnée par des causes qui ne cessent de se multiplier. Elles sont donc particulièrement sensibles aux dégradations de leur environnement. De plus, les chauves-souris ont une position élevée dans la chaine alimentaire qui les rend vulnérables, d’une part par rapport à la disponibilité en ressources alimentaires (les insectes et arthropodes) qui se raréfient, et d’autre part, à certains pesticides contaminant leurs proies et Pouvant affecter leur étant de santé par bioaccumulation.   

Les chauves-souris, auxiliaires de l’agriculture ?
On estime que, pendant les périodes d'allaitement, les chauves-souris insectivores peuvent consommer jusqu'à 120 % de leur poids en insectes en une seule nuit ! Or, parmi les proies de ces voraces petits mammifères se trouvent des insectes « ravageurs » de cultures tels que la mouche de l'olive, la processionnaire du pin, le carpocapse de la pomme, le ver de la grappe… Elles les consomment certes, mais est-ce que les populations de chauves-souris peuvent réguler les populations de ravageurs et réduire les dégâts sur les cultures ?

Plusieurs études sur différents types de culture ont permis de mettre en évidence un phénomène de synchronicité : lorsqu’une population de ravageur augmente, le temps que les chauves-souris passent à les chasser pour se nourrir augmente également.  

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Maine et Boyles (2015) ont réalisé une étude sur l'évolution de l'activité des
chauves-souris (ronds bleus) au dessus de parcelles de maïs : Leur activité s'accroit
lorsque la population de pyrale du maïs augmente.

Des expérimentations, plus couteuses (et donc moins nombreuses), ont montré que les rendements sont meilleurs lorsqu’il y a des chauves-souris : Ce sont des « méthodes d’exclusion » qui consistent à construire d’énormes cages autour des parcelles pour éviter que les chauves-souris puissent venir chasser au-dessus des cultures. Les rendements sont comparés avec ceux des mêmes cultures non équipées de cages.

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L'expérimentation avec des cages excluant les chauves souris (courbes bleues) et des parcelles accessibles (courbes marrons) montre que lorsque les chauves-souris sont exclues, le nombre de larves de pyrale par plantes (figure A) comme les dommages occasionnés sur les cultures (figure B) sont plus importants. (Maine et Boyles, 2015)

Outre-Atlantique, une étude publiée en 2011 indiquait que la diminution des populations de chauves-souris causait une perte de 3,7 à 50,3 milliards de dollars par an au secteur agricole, à cause des pesticides qu'il faut utiliser pour compenser leur rôle de régulation des ravageurs (Boyles, 2011). Or, la compensation par les pesticides s’avère délétère, et pas que pour les insectes. En 2024, un lien direct a été établit entre santé humaine et la diminution des populations de chauves-souris : dans les zones où elles ont quasiment disparu, l’usage accru de pesticides cause de la surmortalité pour les nouveau-nés (Frank, 2024).

Favoriser la présence de chauves-souris dans les espaces agricoles
Pour cela, il faut avoir un raisonnement à plusieurs échelles, l’échelle de la parcelle, de l’exploitation et celle du paysage, en considérant les différents besoins des chauves-souris :
- Gîter dans des arbres ou dans des bâtiments selon les espèces,
- Se déplacer dans le paysage, entre les gites et les zones de chasse,
- S'alimenter tout au long de l’année ou de la saison pour les espèces migratrices,
- Se reproduire pour pérenniser les populations.

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Faire revenir des chauves-souris dans des parcelles traitées par des pesticides peut avoir des conséquences néfastes sur la santé des populations, et constituer un piège écologique (un environnement attractif mais délétère). Ce point majeur doit être pris en compte. Il s’agit donc de trouver un bon équilibre entre les objectifs de rendement en agriculture et la conservation des espèces, concilier les deux dans ce que l'on appelle la lutte biologique par conservation : créer des habitats suffisamment favorables pour que les prédateurs naturels aient envie de venir chasser sur plusieurs parcelles.

L’importance des arbres, des haies et des mares
Comment les chauve-souris utilisent les espaces en milieu agricoles ? Cela dépend des espèces mais beaucoup sont très sensibles à la structure du paysage. Par exemple, l’activité des pipistrelles communes et des murins augmente à proximité d'arbres isolés en milieu agricole, lorsque des arbres sont hauts, bien développés, assez vieux et dans un contexte agricole plutôt hétérogène.

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L'activité des pipistrelles et murins est plus importante
à proximité des arbres isolés dont le diamètre et la couronne
sont d'autant plus importants (Froidevaux et al 2022).

Aussi, la plupart des espèces de chauves-souris utilisent les haies et des lisières pour se déplacer dans un paysage constitué de différentes zones de chasse et de différents gîtes. Tous ces milieux doivent être connectés, et s’il existe une discontinuité dans la haie, certaines espèces ne prendront pas le risque de continuer leur chemin.

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La probabilité pour que le grand rhinolophe franchisse une trouée qui dépasse les 25 mètres tombe déjà à 0,5. (Pinaud et al. 2018)

 

Installer une mare dans une parcelle est également un moyen d’amener des chauves-souris à venir y chasser, notamment la noctule commune et la pipistrelle pygmée. La présence d’un tel "restaurant" augmente notablement l’activité de chasse sur les parcelles comportant une mare, pour des espèces de lisières qui chassent généralement à proximité des haies.

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Activité des chauves-souris en l'absence et présence d'une mare située à différentes distances d'une haie : au sein de la haie (0m) elle est quasiment équivalente. Elle est plus importante lorsqu'il y a une mare (qu'elle soit située à 50, 100 ou 200m de la haie) que lorsqu'il n'y en a pas (Heim et al 2018).

   

De l’espace au temps
Que le paysage permette aux chauves-souris de se nourrir et giter dans les espaces agricoles est une chose, mais qu’elles y trouvent de quoi rester tout au long de leur période active (lorsqu’elles ne sont pas en période d’hibernation ou parties en migration pour certaines espèces) en est une autre.  Les chauves-souris sont sensibles à l’hétérogénéité spatiale : la diversité des cultures dans l’espace (l'hétérogénéité de composition) et comment elles sont organisées dans l’espace (l'hétérogénéité de configurations). Pourquoi ? Parce que suivant les paysages, la disponibilité en proie n’est pas identique au cours du temps. Dans un verger, s’il y a des pics de ravageurs à certaines périodes mais rien à croquer le reste du temps, les populations de chauves-souris ne vont pas s’établir.

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Les pratiques agricoles, un champ de recherche à creuser
La variété des pratiques agricoles aboutissant à la production agricole, du travail du sol aux doses d’application d’engrais ou de pesticides en passant par le type de cultivars et la densité des semis par exemple, fait qu’il est bien difficile de mener des études discriminant des pratiques favorables ou défavorables pour les chauves-souris. « Isoler » une pratique des autres pour en mesurer l’effet relève d’un réel défi. Les études montrent qu’il y a plus d’activité dans les parcelles en agriculture biologique que celles conduites en agriculture conventionnelle mais la variabilité reste forte.

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Activité de différentes espèces de pipistrelles (a, b, c, d) selon différents systèmes
d'exploitation, en agriculture biologique (OT, en noir) et conventionnelle
utilisant le labour et plus ou moins de pesticides (CT, CTH et T).

Une étude a été menée dans un verger en transition sur des parcelles en conventionnel, des parcelles en biologique et des parcelles en transition (Fialas et al. 2023). Les résultats montrent une baisse d'activité des chauves-souris pour les parcelles en transition par rapport au conventionnel, alors qu’elle est la plus forte pour les parcelles en biologique. Ce résultat intrigue et mérite de plus amples investigations. L’enjeu étant de cerner les difficultés rencontrées, notamment vis-à-vis des ravageurs, lors de la période de transition.   

En guise de conclusion

La biodiversité est particulièrement en déclin en dans les espaces agricoles, ce qui crée des pertes de fonctionnalité de ces milieux (comme la régulation biologique) et donc des pertes en termes de rendement. Les chauves-souris ont un rôle important dans ces espaces, en tant qu’auxiliaires, pour lutter contre les ravageurs. Favoriser leur présence nécessite d’agir à différentes échelles, de travailler avec de nombreux acteurs, à l'échelle nationale, régionale, locale, parcellaires. Il s’agit d’améliorer les transferts de connaissances pour répondre à ce triple enjeu, de conservation de la biodiversité, de transition agroécologique et de santé humaine, avec notamment la réduction des pesticides.  

 

HD.

Frick WF, Kingston T, Flanders J. A review of the major threats and challenges to global bat conservation

Justin G. Boyles et al. Economic Importance of Bats in Agriculture

J.J. Maine, & J.G. Boyles, Bats initiate vital agroecological interactions in corn

Frank 2024 The economic impacts of ecosystem disruptions: Costs from substituting biological pest control.

Froidevaux et al 2022 Tree size, microhabitat diversity and landscape structure determine the value of isolated trees for bats in farmland

Pinaud et al. 2018 Modelling landscape connectivity for greater horseshoe bat using an empirical quantification of resistance

Heim et al 2018 The relevance of vegetation structures and small water bodies for bats foraging above farmland

Fahrig et al, 2011 Functional landscape heterogeneity and animal biodiversity in agricultural landscapes

Barré et al, 2017 Tillage and herbicide reduction mitigate the gap between conventional and organic farming effects on foraging activity of insectivorous bats

Fialas et al. 2023 Transition to organic farming negatively affects bat activity

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