On en sait plus sur le potentiel écologique des différents espaces verts. Notamment grâce à notre suivi PROPAGE
On parle beaucoup d’espaces, de trames ou de corridors « verts ». Ce qualificatif chromatique désigne en réalité des lieux aussi divers que les grands parcs ornementaux, les cimetières plus ou moins minéralisés, les friches anarchiques… Or comme le montre une étude publiée dans la revue Naturae, ces espaces végétalisés ne sont pas identiques sur le plan de la biodiversité qu’ils renferment. Et au sein d’un même espace vert, le mode de gestion est lui aussi déterminant.
Papillons et… toile d’araignées
L'expérience s’est déroulée dans la métropole grenobloise entre 2014 et 2015. Son vaste maillage d’espaces verts, la gestion différenciée dans la ville de Grenoble en vigueur depuis le début des années 2000 et l’arrêt des traitements chimiques sur de nombreux sites en font un terrain d’étude idéal pour la recherche en écologie.
Les chercheurs ont donc voulu comparer la biodiversité dans trois types de milieux : les friches, les cimetières et les pacs ou jardins publics. Ils se sont appuyés sur des suivis participatifs effectués par les jardiniers du service des espaces verts de la Ville de Grenoble : le PROPAGE pour les papillons de jour - suivi coordonné par Vigie-Nature et l'association Noé -, et un protocole « toile d’araignées », conçu pour l’occasion.
Papillons et araignées font partie de ces groupes d’invertébrés très répandus, bien connus, et potentiellement de bons indicateurs de biodiversité. D'où l'omniprésence des protocles "papillons" dans les sciences particpiatives - il en a quatre à Vigie-Nature ! En revanche les suivis araignées demeurent plus rares. Pourquoi ? « Il s’agit d’un groupe compliqué, avec beaucoup d’espèces difficilement repérables et identifiables, mais aussi (et surtout !) parce que ce sont des animaux à mauvaise réputation (à tort !), pour lesquels il serait sans doute difficile de mobiliser de nombreux volontaires », explique Benoît Fontaine, chercheur et coordinateur de programmes à Vigie-Nature.
La friche c’est chic
Au cours de 359 relevés PROPAGE étalés sur sept communes de l’agglomération, 29 espèces ou groupes d’espèces de papillons furent identifiés, tous milieux confondus. Mais c’est dans les friches urbaines que les suivis affichent les plus gros scores. L’abondance et la richesse des papillons dépassent nettement celles des cimetières, des parcs et jardins.
Les friches ? Elles correspondent à d’anciens sites industriels, de services ou résidentiels désormais vacants, délaissés, et colonisés par une végétation spontanée. Souvent qualifiées de « territoire refuge à la biodiversité », elles confirment ainsi leur haute valeur écologique à l’échelle de l’agglomération. « Cela peut être expliqué par la végétation présente – d’une part, des herbacées non fauchées permettant le cycle complet de certains papillons; d’autre part, une plus forte proportion d’arbustes (en moyenne: 16 % pour les friches, contre 6 % pour les parcs et 3 % pour les cimetières), source de nourriture pour les Papillons – mais également par la quasi absence d’usage, donc de dérangement » expliquent les auteurs.
Les cimetières, à forte densité minérale, et les parcs, très fréquentés, se montrent de fait moins hospitaliers pour nos insectes.
Gestion et diversité des espaces
Il ne faudrait cependant pas enterrer les cimetières trop vite. Ni les parcs et jardins. En zoomant sur la ville de Grenoble, si l’on regarde les chiffres en fonction du mode de gestion appliqué, les cartes sont rebattues. Le parc semi-naturel de la Bastille, en bordure de ville, fait figure de hotspot de biodiversité. Plus étonnant, certains cimetières et espaces verts peuvent accueillir une biodiversité foisonnante. Parfois équivalente à celles des friches. Leur secret ? Une gestion sans produits phytosanitaires, extensive, douce – des fauches plus espacées notamment – qui favorise le couvert herbacé dont les papillons dépendent pour pondre et se nourrir. Le mode de gestion s’avère déterminant, quel que soit le lieu.
De plus, chacun des espaces verts renferme une biodiversité spécifique. « Le Brun des pélargoniums, les Mégères et la Belle-Dame sont les espèces les plus nettement associées aux cimetières, où ils trouvent respectivement le pélargonium sur les tombes fleuries, des sols nus pour se réchauffer et des chardons sur les tombes abandonnées » commentent les scientifiques. Les Héspérides orange, Hespérides tachetées et Procris, quant à elles trouvent dans les friches les milieux herbeux et ronciers dont elles dépendent. Enfin, dans les parcs, les relevés PROPAGE témoignent d’une surreprésentation de Myrtil, Tircis et Moirés, inféodés aux lisières de forêts, prairies et pelouses.
Et les araignées dans tout ça ? Si le suivi des toiles n’a guère permis de mettre en évidence les différences entre milieux et modes de gestion, il révèle la singularité de chaque habitat. L’Épeire concombre, l’Ullobore pâle et la Zygielle des fenêtres (caractéristique des zones urbaines) sont les espèces les plus étroitement associées aux cimetières. La Mangore petite bouteille et l’Argiope frelon s’observent dans les friches et la Diodie tête de mort plutôt dans les parcs.
Ces résultats grenoblois nous enseignent plusieurs choses. D’une part, la nécessité de maintenir les friches urbaines, malgré leur caractère éphémère – l’artificialisation des sols les condamne - et leurs surfaces limitées. Dans les villes où ont eu lieu les relevés, les espaces verts représentent 448,23 ha, les cimetières 30,60 ha et les friches environ 18,35 ha. Or grâce à la gestion différenciée une biodiversité riche et abondante peut subsister dans des habitats variés. Autant de pistes d’actions concrètes en faveur d’une meilleure intégration de la biodiversité en ville.