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Les communautés d'oiseaux face au changement climatique

Sciences participatives

Chaque année, de tristes records de température sont battus, non sans conséquences pour une grande partie du vivant. Dans cet article, qui vulgarise les principaux résultats d'une étude scientifique, il est question des communautés d'oiseaux nicheurs et celles qui se forment hors période de reproduction. Réagissent-elles de la même manière à l'augmentation des températures ?
Qu'est-ce que cela implique en termes de conservation ?

La valse des oiseaux…

Les oiseaux ne connaissent pas de frontières : un grand nombre d’entre eux se déplacent saisonnièrement à la recherche de conditions favorables à leur survie et à leur reproduction. Ils migrent sur de courtes ou de longues distances, la nuit ou le jour, en volant bien sûr - mais il y en a qui nagent comme les guillemots de Brünnick qui sont en période de mue à la saison de migration, avec escale ou non – la barge rousse sibérienne détient le record de 11500 km sans escale en seulement 8 jours !  La migration concerne environ 50 milliards d’oiseaux. Une espèce peut aussi être « partiellement migratrice » : seulement certains individus migrent tandis que d’autres restent sur le même site toute l’année, comme le rouge-gorge, le martin-pêcheur, le pinson des arbres, la grive litorne...

Et puis, au-delà des migrations il y a la dispersion : les juvéniles qui quittent leur site d’origine pour s’installer quelque part. Autant dire que la grande carte des oiseaux est une valse de mouvements et que les oiseaux se retrouvent ici ou là, formant ce que l’on appelle des communautés (un ensemble d’espèces qui se trouvent au même endroit, au même moment) le temps d’une saison. Mais alors, est-ce que les changements de température dus au réchauffement climatique sont susceptibles de modifier les communautés ? Est-ce que l’on peut observer des différences régionales, des effets plus marqués à certains endroits ? Est-ce que les communautés qui se forment au moment où les oiseaux se reproduisent et celles qui se forment lorsqu’ils ont atteint leur site d’hivernage réagissent de la même manière aux changements de température ?

 

Des analyses basées sur les indices de température des communautés

Pour répondre à ces questions, les auteurs de la publication ont rassemblé des données de suivis de communautés, collectées années après années par des observateurs le plus souvent bénévoles et expérimentés, sur des centaines de sites des comptages standardisés d’oiseaux. Ces suivis ont été réalisés dans 57 régions (États, provinces ou pays) d'Europe et d'Amérique du Nord, en hiver (décembre-janvier) et en été (principalement mai-juin), entre 1980 et 2016.

Afin d'évaluer les transformations des communautés, les auteurs ont calculé un indice thermique pour chacune d’entre elles (c’est-à-dire par site et par an) à partir des préférences thermiques de chaque espèce qui la compose. Si cet indice augmente d’une année sur l’autre, cela indique qu’il y a alors plus d’espèces habituées aux environnements plus chauds que l’année précédente dans la communauté. Ainsi, lorsqu’il varie, il traduit un changement de composition, et son évolution indique la vitesse de ce changement. Les analyses ont porté sur le lien entre les changements de cet indice thermique (appelé CTI pour Community Temperature Index) et les changements des températures au niveau régional.

 

Les températures affectent les communautés

Les scientifiques ont constaté que la température et les indices thermiques des communautés augmentent dans la plupart des régions, en hiver comme en été. Ils ont mis en évidence l’existence d’une forte association entre la température moyenne et les indices thermiques dans toutes les régions, sur la période d’étude (figure 1). 

Fig 1 - Lehikoinen 2020.png

Figure 1 - Lien entre les indices thermiques des communautés (CTI) et les températures saisonnières moyennes de 1980 à 2016.La relation (ligne) entre les indices thermiques régionaux à long terme des communautés (Mean CTI) et les températures moyennes à long terme (Mean temperature) en Europe (points noirs) et en Amérique du Nord (points blancs) pendant (a) l'hiver et (b) l'été. Chaque point représente une seule région.

Une différence d'un degré Celsius de température moyenne entre deux régions est associée à une différence régionale d’indice thermique plus importante en hiver qu'en été. Il existe donc des différences de réponse des communautés au niveau régional qui s’expriment plutôt pour celles qui se constituent en hiver.
Les analyses montrent que les changements de composition des communautés européennes sur le long terme sont significatifs : les espèces habituées à des environnements plus chauds deviennent dominantes au sein des communautés qui se créent en hiver comme en été. Ce phénomène n’est pas significatif pour les communautés hivernales américaines bien qu’il y ait du changement (l’indice de température des communautés augmente).

 

Des temps de réponse aux températures différents selon les régions et les saisons

Les scientifiques ont trouvé une relation positive entre les changements de composition des communautés et les changements de température, ce qui suggère que les changements au sein des communautés d’oiseaux sont au moins en partie dus aux températures, cela n’excluant pas que d’autres facteurs environnementaux y contribuent. Cependant, les réponses des communautés à la hausse des températures sur le long terme ne sont pas équivalentes partout et selon les saisons. Pourquoi ? Des effets de décalages entre hausses de température et recompositions de communauté ont déjà été mis en évidence dans d’autres études : Les communautés d’oiseaux et de papillons ne réagissent pas aussi rapidement que prévu sur la base des changements de température observés1.
Ensuite, les compositions des communautés diffèrent au niveau régional, or les espèces ne réagissent pas de la même manière au changement climatique : la vitesse des changements de répartition varie selon les espèces2. Enfin, les changements de température dans différentes régions peuvent influencer les déplacements hivernaux des individus vers des endroits particuliers et donc modifier les communautés qui se constituent3.

 

Les communautés hivernales sont plus flexibles face au réchauffement climatique

Les communautés hivernales réagissent plus directement aux changements de température annuels et se recomposent également plus rapidement que les communautés estivales (figure 2).  

Fig 2 - Lehikoinen 2020.png

Figure 2 - Changements régionaux à long terme (entre 1980 et 2016) observés (obs.) et attendus (pred.) des indices thermiques en fonction des changements de température en Europe (11 régions) et en Amérique du Nord (46 régions) pendant l'hiver (c) et l’été (d). On peut voir que les taux de changement sont beaucoup plus élevés pour les communautés hivernales que celles d’été. Aussi la moyenne du taux de changement observée pour les communautés hivernales en Amérique du Nord atteint presque 0.04 alors que celle prédite en fonction de la température est en dessous de 0,02.

Les auteurs suggèrent deux explications : D’une part les populations hivernales sont plus susceptibles d’être directement affectées par la mortalité due à la température, en raison de limitations physiologiques. Les températures froides peuvent influencer directement la répartition des espèces en hiver4. Avec le réchauffement climatique, les températures froides sont moins fréquentes et intenses : cela permet aux oiseaux de rester sur des zones qui n’était jusqu’à présent pas propice à l’hivernage.
D’autre part, les oiseaux sont peu fidèles à leur site d’hivernage et très mobiles en hiver, ils peuvent choisir les sites où ils stationnent en fonction des conditions climatiques et des ressources disponibles. En été par contre les oiseaux sont très liés à leur site de reproduction5, souvent proche de l’endroit où ils sont nés (comportement nommé philopatrie). Cela explique que le déplacement vers le nord est moins effectif en été qu’en hiver :  Il y aurait ainsi un retard de déplacement des communautés d’été par rapport aux conditions environnementales, alors que les communautés hivernales y répondent plus vite.

 

Tenir compte des aires de non reproduction pour une conservation efficace des oiseaux

Cette étude montre que le réchauffement climatique peut déclencher un remaniement rapide des communautés d’oiseaux à grande échelle spatiale. Les communautés hivernales réagissent plus rapidement aux changements de température que les communautés estivales. Elles pourraient même réagir plus rapidement que prévu par les estimations faites sur la base des changements de température observés. Alors que les études des effets du changement climatique sur les populations animales se concentrent en grande partie sur la saison de reproduction, cette étude vient remettre au-devant de la scène l’intérêt de mieux connaitre ce qu’il se passe en dehors de cette saison. Les réponses au changement de température peuvent être beaucoup plus fortes en dehors de la saison de reproduction, et par conséquent affecter la saison de reproduction suivante. Il s’agirait de tenir compte des zones fréquentées en dehors de la reproduction - qui historiquement ont reçu moins d’attention en matière de conservation que celles des aires de reproduction - pour élaborer des stratégies afin de protéger les espèces vulnérables.

 

HD.

 

Cet article fait suite à un précédent qui présentait une brève revue de la littérature sur les effets du réchauffement climatique sur les espèces https://www.vigienature.fr/fr/actualites/quand-temperature-monte-3808.

 

1) Devictor, V., Julliard, R., Couvet, D., & Jiguet, F. (2008). Birds are tracking climate warming, but not fast enough. Proceedings of the Royal Society B, 275, 2743–2748. https://doi.org/10.1098/rspb.2008.0878
Devictor, V., van Swaay, C., Brereton, T., Brotons, L., Chamberlain, D., Heliölä, J., Herrando, S., Julliard, R., Kuussaari, M., Lindström, Å., Reif, J., Roy, D. B., Schweiger, O., Settele, J., Stefanescu, C., Van Strien, A., Van Turnhout, C., Vermouzek, Z., WallisDeVries, M., … Jiguet, F. (2012a). Differences in the climatic debts of birds and butterflies at a continental scale. Nature Climate Change, 2, 638–639. https://doi.org/10.1038/nclimate1347

2) Davey, C., Devictor, V., Jonzén, N., Lindström, Å., & Smith, H. G. (2013). Impact of climate change on communities: Revealing species' contribution. Journal of Animal Ecology, 82, 551–561. https://doi.org/10.1111/1365-2656.12035
Lenoir, J., Bertand, R., Comte, L., Bourgeaud, L., Hattab, T., Murienne, J., & Grenouillet, G. (2020). Species better track climate warming in the oceans than on land. Nature Ecology and Evolution, 4(8), 1044–1059. https://doi.org/10.1038/s41559-020-1198-2
Pöyry, J., Luoto, M., Heikkinen, R. K., Kuussaari, M., & Saarinen, K. (2009). Species traits explain recent range shifts of Finnish butterflies. Global Change Biology, 15, 732–743. https://doi.org/10.1111/j.1365-2486.2008.01789.x 

3) Sauter, A., Korner-Nievergelt, F., & Jenni, L. (2010). Evidence of climate change effects on within-winter movements of European Mallards Anas platyrhynchos. Ibis, 152, 600–609. https://doi.org/10.1111/j.1474-919X.2010.01028.x

4) Zuckerberg, B., Bonter, D. N., Hochachka, W. M., Koenig, W. D., DeGaetano, A. T., & Dickinson, J. L. (2011). Climatic constraints on wintering bird distributions are modified by urbanization and weather. Journal of Animal Ecology, 80, 403–413. https://doi.org/10.1111/j.1365-2656.2010.01780.x

5) Batt, B. D. J. (Ed.) (1992). Ecology and management of breeding waterfowl. University of Minnesota Press
Guillemain, M., Pöysä, H., Fox, A. D., Arzel, C., Dessborn, L., Ekroos, J., Gunnarsson, G., Holm, T. E., Christensen, T. K., Lehikoinen, A., Mitchell, C., Rintala, J., & Møller, A. P. (2013). Effects of climate change on European ducks: What do we know and what do we need to know? Wildlife Biology, 19, 404–419. https://doi.org/10.2981/12-118  

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