Les algues vous semblent sans intérêt ? Attention, votre regard peut changer à la lecture de cet article ! Rédigé par Vincent Chassany, il est le préambule d'une série de post-facebook qui vous présentera une algue chaque semaine jusqu'à l'été pour célébrer l'année de la mer.
Durant les semaines à venir, j’ai le plaisir de vous présenter quelques planches extraites de mon alguier. Car oui, je le confesse, j’aime les algues et plus honteux encore, j’aime passer du temps à en collecter des échantillons, à les étaler dans l’eau de mer, à les faire sécher pendant des jours et enfin à les insulter en latin. Manie inquiétante ? Héritage de pratiques antédiluviennes ? Peut-être… Mais pas que. Laissez-moi encore quelques lignes pour essayer de vous embarquer avec moi.
D’abord, elles sont belles, bien loin de leur image rabougrie, échouées sur une plage ou affaissées sur un rocher à marée basse. Trempez-les dans l’eau et laissez la magie opérer. Elles se présenteront à vous sous leurs plus beaux atours, tantôt dentelle, tantôt brins de laine, chapelets de saucisses ou lanières de cuir, toujours intrigantes, jamais barbantes : à vous un univers onirique, fantasmagorique et insoupçonné. À celles et ceux qui penseraient que j’en fait trop, prenez une minute pour les regarder droit dans le thalle*.
Mais réduire les algues à des beautés glacées et sophistiquées sur bristol ne serait pas leur rendre grâce car l’aventure est aussi sur l’estran**, à marée basse, quand vous irez cueillir votre premier exemplaire (avec modération pour ne pas compromettre la survie des populations). Outre le plaisir de chercher la rareté ou au moins la nouveauté, ces héroïnes du quotidien forceront votre respect, exposées à un soleil desséchant, à des pluies d’eau douce ou encore à des températures fluctuantes. Comment font-elles ? Comment expliquer cette diversité de formes ? Comment expliquer que chaque estran ait son identité en termes d’espèces que l’on peut y rencontrer ? Faire un alguier, c’est aussi se poser de nombreuses questions scientifiques qui se prolongeront par vos lectures, des échanges avec d’autre passionnés ou, qui sait, par un programme de sciences participatives si vous souhaitez contribuer activement à la résolution de nouvelles questions !
Mettre un nom sur une algue en utilisant des guides et des clés, c’est aussi apprendre à les regarder et pour moi, c’est presque une marque de considération et de déférence. Pour les plus gourmands, c’est aussi une manière de reconnaître les espèces comestibles, pourquoi pas. Tout choix ayant sa part de subjectivité, je vous présenterai quelques exemplaires que j’aime particulièrement pour leur beauté, pour leur intérêt biologique ou encore pour leurs usages. J’espère que vous y prendrez autant de plaisir que j’en ai eu à les rencontrer puis à les connaître puis à les fréquenter encore aujourd’hui comme de vieilles amies.
*Thalle : nom scientifique donné au corps des algues.
**Estran : zone de balancement des marées.
Mais au fait, c’est quoi une algue ?
Tout le monde a au moins une image correspondant à une algue mais est-ce pour autant un ensemble facile à définir ?
Notre vision des algues est souvent réduite aux grandes algues visibles à l’œil nu sur le littoral (rouges, vertes, brunes), « les macro-algues ». Ce sont d’ailleurs celles que l’on met en alguier. Mais il existe aussi de très nombreuses algues microscopiques en suspension dans l’eau et baladées par les courants (phytoplancton) ou encore fixées sur des rochers ou d’autres algues. Les algues sont souvent associées au milieu marin alors qu’il en existe aussi en eau douce ou en milieu terrestre, libres ou en symbiose avec des champignons (lichens). Loin de l’image d’Épinal et pourtant omniprésente, la poudre verte et fine que l’on rencontre sur les trottoirs ou les troncs d’arbre des villes est par exemple une algue verte microscopique, le pleurocoque. On ne peut pas faire plus différent d’un Fucus, algue brune, visible à l’œil nu qui vit sur le littoral.
Quelques algues dans leur milieu naturel
Avec des tailles, des formes et des modes de vie aussi différents, quel est le dénominateur commun entre toutes ces espèces ? Ce sont des êtres vivants capables de photosynthèse, on pourrait dire des végétaux mais c’est avant tout un « fourre-tout » défini par défaut comme les végétaux qui ne sont pas les « plantes terrestres » (mousses, fougères, plantes à fleurs, plantes à cônes etc.). Il n’y a en effet pas d’unité des algues d’où la difficulté bien légitime à les définir autrement que par ce qu’elles ne sont pas.
On retrouve d’ailleurs cette difficulté quand on parle d’évolution. Les algues vertes (peut-être connaissez-vous la laitue de mer ?) sont par exemple plus proches parentes des plantes terrestres que de toutes les autres algues comme les rouges ou les brunes. Les algues vertes partagent d’ailleurs avec les plantes terrestres les mêmes pigments et les mêmes caractéristiques de leurs cellules. Quand on parle des algues, les apparences peuvent donc être trompeuses et c’est un peu marier des carpes et des lapins…
Alors pourquoi utilise-t-on encore ce terme ? Parce qu’il garde une utilité pratique (un seul terme pour qualifier des êtres vivants qui vivent parfois dans les mêmes milieux) mais aussi parce que les habitudes ont la vie dure.
Il y a environ 9 000 espèces de macro-algues dont 1 500 peuplent les mers d’Europe. Le nombre total d’algues incluant les micro-algues varie selon les estimations de 30 000 à plusieurs millions (source : tela-botanica.org).
Et comment fait-on un alguier ?
Voici une fiche technique proposée par le Graine des Hauts de France.
Quels sont les usages des algues en France ?
En France, la production nationale est de l’ordre de 80 000 tonnes par an et provient majoritairement de la pêche, minoritairement de la culture (contrairement à de nombreux pays d’Asie).
Seule 1% de la production française est dédiée à une consommation directe.
75% sont utilisées par l’industrie agro-alimentaire pour produire des épaississants et gélifiants alimentaires (notés E400 à E407 sur les étiquettes de produits : alginates, agar-agar, carraghénanes), également utilisés pour la chimie et la microbiologie.
Les 24% restants concernent des usages agricoles (amendements) et de bien-être.
Source : exposition : "rouges, vertes ou brunes, secret des algues marines" au musée de l’étang de Thau à Bouzigues.
Quelques ressources pour identifier les algues
Livres
- Jacqueline Cabioc'h et al., Guide des algues des mers d'Europe, Delachaux et Niestlé, 2006
- Francis D. Bunker et al., Seaweeds of Britain and Ireland, Seasearch, 2017
Sites
- ALAMER : Algues de la LAisse de MER (programme de sciences participatives de Vigie-Nature disposant notamment d’une clé de détermination)
- DORIS : Données d'Observations pour la Reconnaissance et l'Identification de la faune et la flore Subaquatiques
- AlgaeBase
Applications mobiles
- INPN Espèces (ne reposant pas sur l’IA avec validation par des spécialistes)
- INaturalist (reposant sur l’IA avec validation par les pairs)
Vincent Chassany