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jardin-bandeau © Ville de Victoriaville

« Dix jardins dans un quartier peuvent faire la différence ! »

Sciences participatives

 

Comment les pollinisateurs investissent les espaces en ville ? Marine Levé, doctorante au Muséum national d'Histoire naturelle, apporte des réponses dans une récente publication scientifique. Grâce aux photos des participants au Spipoll (Suivi Photographique des Insectes POLLinisateurs), elle a pu « s’introduire » dans les jardins d'Île-de-France​ et constater leur pouvoir bénéfique. Explication.

 

Jardin Herry © Lawford

Quelle était ta réflexion de départ ?

Nous avons axé notre réflexion sur les jardins privés et sur l’impact qu’ils peuvent avoir sur la diversité des insectes pollinisateurs à différentes échelles : au sein du jardin d’abord mais aussi à l’échelle du quartier et de plusieurs quartiers. D’une manière générale, il est assez difficile pour des scientifiques d’accéder aux jardins pour y faire des relevés, cela demanderait des moyens colossaux. Grâce aux sciences participatives, au Spipoll en l’occurrence, nous avons pu « entrer » facilement dans les jardins de toute l'Île-de-France . Nous avons étudié 2470 collections de photos d’insectes pollinisateurs, effectuées dans les jardins privés mais aussi dans les espaces publics (parcs, bords de route, prairies etc.).

Qu’ont révélé ces collections ?

Tout d’abord, deux résultats qui confirment des études précédentes. C’est à l'intérieur des jardins qu’on observe la plus forte richesse en pollinisateurs, en comparaison aux autres zones situées dans l’espace public. A grande échelle (plusieurs quartiers, jusqu’à 1 km de rayon) l’impact de l’urbanisation est flagrant : plus les surfaces imperméables autour des jardins sont importantes plus la diveristé des insectes diminue… Un constat que l'on fait également, dans un petit nombre de cas, chez des observateurs qui n’habitent pourtant pas dans un milieu urbain. Pourquoi ? Cela proviendrait d'un autre facteur agressif : l’agriculture conventionnelle. En effet l’Île-de-France comprend de vastes zones de culture conventionnelle du blé dont on connaît les effets négatifs sur les pollinisateurs. Mais cela reste une hypothèse. 

 

les collections sont d’autant plus riches en espèces qu’elles sont entourées d’autres jardins privés

 

A l’échelle du quartier, tu as observé un phénomène plutôt positif…

Nous avons en effet remarqué que les collections sont d’autant plus riches en espèces qu’elles sont entourées d’autres jardins privés, ce dans un rayon de 50 et 100 mètres autour du participant. Plus la proportion de cette surface de jardins voisins est importante, plus la richesse en insectes augmente ! Cela indique qu’au-delà de la présence d’une zone accueillante, les pollinisateurs profitent de tout un réseau d’espaces protégés.

Tous les pollinisateurs n’en profitent pas de la même façon…

A cette échelle, ce sont les Lépidoptères (papillons) et les Diptères (mouches) qui profitent le plus des jardins privés. Des résultats cohérents avec d’autres études menées grâce au Spipoll montrant que ces deux groupes étaient justement « urbanophobes » contrairement aux Hyménoptères (abeilles, bourdons…) légèrement plus tolérants. Les raisons sont multiples : dans le cas des papillons, par exemple, sa faible tolérance au milieu urbain tient au fait qu’ils pondent des larves très dépendantes de certaines plantes hôtes

Selon toi, il faut donc privilégier les maillages de jardins dans un quartier ?

Oui, personne ne peut faire de miracle s’il reste isolé ! J’ai calculé qu’il faut une valeur seuil d’environ 4700 mètres carrés de jardin dans un rayon de 100 mètres pour voir la quantité d’insectes augmenter. En considérant une surface moyenne de jardin de 571m²*, cela équivaudrait à 8 jardins dans un rayon de 100m . Le chiffre peut impressionner mais si on raisonne en terme de rayon ce n’est pas extraordinaire  : environ dix jardins à l’échelle d’un quartier peuvent faire la différence. Malheureusement la richesse en insectes reste tout de même soumise à une sorte de « filtre » qui agit à plus grande échelle : l’urbanisation. Il faut donc impérativement jouer sur les deux tableaux : implantation des jardins et desartificailisation des sols.

 

Les jardins privés pourraient faire office de havre de taille respectable pour la biodiversité urbaine. 

 

L’implantation des jardins peut être une réponse sérieuse à l’érosion de la biodiversité en ville ?  

Le potentiel des jardins privés pour la conservation de la biodiversité est fondamental pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils peuvent représenter une proportion non négligeable de la surface des villes : 16 % à Stockholm en Suède, 22-27 % dans diverses villes du Royaume-Uni ou 36 % à Dunedin en Nouvelle-Zélande*. En Île-de-France, ils occupent 50,5 % de la surface des « espaces verts » (c'est à dire végétalisés, en excluant les zones agricoles). Or, selon plusieurs équipes de recherche la biodiversité urbaine peut se maintenir dans ces espaces, voire y être favorisée par rapport à d’autres lieux plus urbanisés. Cela concerne les pollinisateurs mais aussi les oiseaux (voir l'interview de Pauline Pierret) ou encore les invertébrés. Il est donc clair que les jardins privés pourraient faire office de havre de taille respectable pour la biodiversité en général. Surtout s’ils coexistent à des distances relativement proches comme nous venons de le voir.  S’il y avait un message à faire passer, je dirais : encouragez vos voisins à jardiner !

 

Pour participer au Spipoll et aider la recherche, rendez-vous sur la page de l'observatoire.
spipoll_logo.jpg

"Domestic gardens as favorable pollinator habitats within impervious landscapes"  dans la revue "Science of The Total Environment". Par Marine Levé , Emmanuelle Baudry et Carmen Bessa-Gomesa

*chiffre issu d’une publication belge. Dewaelheyns, V., Rogge, E., Gulinck, H., 2014. Putting domestic gardens on the agenda using empirical spatial data: the case of Flanders. Appl. Geogr. 50, 132–143. https:// doi.org/10.1016/j.apgeog.2014.02.011

 
 

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