Dans cette interview, Simon, coordinateur adjoint de Vigie-Nature École, nous explique pourquoi et comment il a forgé cette pensée, tissée au gré de son parcours et de ses expériences.
Depuis combien de temps tu travailles à Vigie-Nature École et comment es-tu arrivé à ce poste ?
Je suis arrivé au Muséum national d’Histoire naturelle il y a 5 ans et demi pour faire des outils à destination des participants des programmes de sciences participatives, pour qu'ils puissent analyser les données. Ce n’est pas simple à faire et cela n’a pas abouti complètement, il n’y a actuellement pas d’analyse collaborative de données. Mais on a avancé quand même et lancé des outils de visualisation des données pour les élèves. J’ai intégré Vigie-Nature École, parce que j'avais un fort attrait pour la question de l'éducation, que j'avais été enseignant auparavant, et que Sébastien Turpin, le précédent coordinateur de Vigie-Nature École, avait besoin de quelqu'un pour le seconder. J'ai donc postulé et depuis je travaille pour Vigie-Nature École.
À quel moment la biodiversité et l'écologie sont rentrées dans ta vie ?
Je ne suis pas sûr de quand et comment mais j'ai toujours le premier bouquin que j'ai acheté de ma vie; j'étais jeune, j'avais reçu de l'argent peut-être de mes grands-parents, et j'avais acheté Aventures et Découvertes dans la Nature. Je vivais en lotissement dans la région parisienne, en zone périurbaine, mais on avait la forêt à côté. Avec l'école, on allait relativement souvent en forêt. Mes parents ne sont pas du tout naturalistes, mais moi j’étais très intéressé par les animaux. J'ai toujours été très déçu quand on allait dans un parc urbain où sont affichés les animaux qu’on peut y voir alors que je n’en voyais jamais. J'ai lu plein, plein, plein de bouquins sur les animaux quand j'étais petit et puis j’ai arrêté quand j'ai déménagé en Bretagne. J'étais un peu moins au contact de la nature, et puis avec l'adolescence, j'étais moins intéressé aussi. Ça m'est revenu plus tard, avec le master, je me suis reconnecté à la biodiversité par l'écologie scientifique, avec une sensibilité qui existait déjà. Mais avant d'arriver au Muséum, je ne savais pas différencier beaucoup d'oiseaux ni d'insectes, je n’étais pas naturaliste.
Tu nous partages régulièrement tes photos de nature, peux-tu nous parler de cette pratique ?
Ayant vécu en zone urbaine pendant très longtemps, je me suis mis à la photo macro parce que ça permet de rentrer dans un monde de nature gigantesque, dans un espace tout petit. La photo offre la possibilité de découvrir du vivant à une autre échelle. La macro c'est incroyable pour ça. Les insectes c'est formidable. Ou que tu sois, tu as accès à un univers gigantesque. Même si tu n’as qu’un mètre carré de terrain, tu y verras toujours quelque chose.
Et une plante qui va grandir dans un interstice, si tu la regardes de très près, elle a plein de choses à raconter aussi. Du coup oui je suis beaucoup rentré dans la nature par la photo, je suis très visuel. Ça me permet de passer du temps dans la nature aussi. Parce que j'aime bien y être mais en même temps j'ai besoin de faire des choses, alors avec la photo ça concilie deux choses que j’aime.
D’où est venu l'attrait pour l'éducation ?
J’ai toujours bien aimé expliquer des trucs, j’ai toujours bien aimé les livres et j'aime beaucoup les statistiques. Je trouvais que les statistiques n’étaient pas toujours enseignées de manière pédagogique, ça entrainait des gros soucis d’interprétation d’informations. Ça s’est beaucoup amélioré depuis, mais j'avais l'impression que si on expliquait bien les stats aux gens, le monde tournerait mieux ! Mon intérêt s’est porté sur la biodiversité, avec l’envie de présenter ce que c’est. L'écologie en général est trop peu connue et il y a peu d'enseignants en primaire qui ont une formation scientifique. Mais l’émerveillement de toutes les formes du vivant peut constituer un véritable moteur pour alimenter l’envie d’apprendre, et je pense que l’enseignement de l’écologie permet de faire ensuite comprendre des choses plus complexes plus facilement .
Pourquoi l’écologie est une bonne porte d’entrée pour l’apprentissage ?
L’écologie c'est une science qui est profondément pluridisciplinaire, et les sciences de la conservation1 encore plus. Ça permet finalement de travailler toutes les matières que les enseignants font. On va travailler les sciences naturelles évidemment, parce qu'on travaille sur la biodiversité, il y a un pont immédiat. Il va falloir écrire des textes pour décrire ce qu'on voit. On fait des statistiques pour comparer des milieux par exemple, et ça, ça amène aux mathématiques. Il y a toute la question de l'humain aussi, de son impact qui est facilement relié à la géographie et à l'histoire. Et puis les sciences sociales évidemment, qui sont très importantes pour comprendre tous les enjeux qu'il y a autour de la biodiversité. Ce sont des choses qu'on peut faire comprendre à des gens très tôt puisqu’au final, dans un établissement scolaire, on a tous ces enjeux-là qui existent. Par exemple, il y a des besoins pour faire du sport et des enseignants qui voudraient qu'il y ait plus de biodiversité, mettre des arbres dans la cour de récréation pour garder des ilots de fraicheur l’été. Concilier les besoins collectifs, ça existe dès l’école.
Je trouve que travailler à partir de l’écologie c’est une opportunité pour faire et aborder plein de choses. On a beaucoup mis l'accent sur le Français et les maths mais on peut faire du français et des maths en faisant de l'écologie, ça apporte un fil rouge. Et potentiellement ça peut aussi reconnecter des élèves qui ont un intérêt fort pour des choses moins scolaires. Par exemple quelqu'un qui va être passionné par les grenouilles, si on lui propose de créer un texte sur les grenouilles, peut être que ça va plus le motiver que sur autre chose. Je ne dis pas que c'est la seule façon de faire mais c’en est une pour attirer des élèves qui sont intéressés « différemment ». Cela permet aussi de faire classe à l’extérieur. On en parle beaucoup actuellement. Et peut-être que justement faire du français ou des maths un peu dehors, par le biais de la nature, ça peut être une option.
Cela rencontre le projet de Vigie-Nature École…
Oui, il y a fondamentalement l’intention de reconnecter les gens à la nature, et aussi à la science. Ce sont 2 de nos enjeux majeurs. Il y a aussi l’envie d’aider à développer l’esprit critique des élèves à propos de l’environnement, qu’ils soient capables de faire des choix, parce qu'il y a l’écologie en tant que science, mais les pratiques favorables à la biodiversité c’est aussi politique. Il y a par exemple des décisions qui se prennent au sein d'un établissement scolaire. C’est important de faire comprendre un peu ces aspects de gouvernance, que cela implique de nombreux acteurs dont il faut tenir compte. C’est pour cela qu’on a développé le jeu « Renature ta cours » (cliquez ici pour une présentation du jeu et là pour retrouver tous les éléments du jeu). On fait plein de choix dans nos vies aujourd'hui qui sont délétères pour la biodiversité, il faut que tout le monde en prenne conscience pour que on puisse changer ensemble parce que si c’est chacun dans son coin, ça ne peut pas marcher.
Quel a été ton parcours d’études et professionnel ?
Il a été assez sinueux finalement, j'ai commencé par faire de l'agroalimentaire. Ce qui m’'intéressait le plus, c'était la microbiologie. Ensuite j'ai fait de l'agronomie, d'abord en poursuivant le côté agroalimentaire puis en m'orientant vers la protection des plantes, le contrôle biologique. L'idée, c'était de remplacer les pesticides par des agents biologiques pour rendre les impacts de ravageurs moins importants. Je travaillais sur les nématodes qui parasitent les plantes. C’est de l'agroécologie, tu travailles sur l'écologie de ton milieu au lieu d’utiliser des pesticides. Parce qu’éradiquer les ravageurs ça veut dire que tu vas faire de la sélection super forte et en plus tu tues tout le reste. Là c'est plutôt essayer de d'avoir des communautés qui soient suffisamment diversifiées avec les prédateurs des ravageurs pour que ça se régule naturellement et que les pertes de rendement ne soient pas trop importantes. J'ai travaillé d'abord comme expert sur les questions de maladie phyto et de transport de maladie à l'étranger, par exemple sur la vigne.
Après ça, j'ai été enseignant en maths justement parce que l'enseignement m'intéressait déjà, j’avais ça en tête. C’était en lycée agricole et j’ai pu tester une approche par l’écologie : Les élèves me demandait pourquoi faire des maths. En passant par des expériences avec eux sur la vigne et sur les aménagements paysagers, j'ai réussi à les ramener dans l’apprentissage des maths, ils comprenaient pourquoi ils faisaient ça. Et donc ça, c'était chouette. Après, j'étais au CNRS en tant qu’ingénieur d'études sur la programmation informatique et sur le terrain pour faire des modèles sur l’adaptation des plantes en milieu aride et leur évolution avec le changement climatiques. Cela portait sur la facilitation notamment, le fait que des plantes peuvent s'entraider, qu’elles soient ou non de la même espèce. J'ai ensuite travaillé sur les effets du réchauffement climatique sur les milieux aquatiques en Suisse, et puis sur des bases de données de l’Office Français de la Biodiversité (à l’époque c’était l’Agence Française de la Biodiversité) avant d’arriver au Museum national d’Histoire naturelle.
A quels programmes Vigie-Nature participes-tu ?
Actuellement, je participe activement au Spipoll, à l'Opération escargots, et un peu à Aspifaune de QUBS. Je tente de faire le STOC mais pour l'instant, c'est encore un peu dur. Comme je passe d’un protocole à l’autre, je ne m'entraîne pas assez sur les chants d'oiseaux quand les insectes commencent à sortir parce que je mets à spipoller. Mais l'année prochaine j’ai bon espoir de faire mes carrés STOC. Et Vigie-Chiro, je dépose pas mal de données même si c'est plutôt de manière opportuniste. Je fais tous les protocoles de Vigie-Nature École évidemment avec les enseignants. Et j'ai testé beaucoup de protocoles à côté, mais je n’y participe pas en tant que bénévole plus que ça.
Un mot pour la fin ?
J'espère, enfin, un de mes points d’espérance, c'est que on se remette à regarder la biodiversité et que l'émerveillement en face de la biodiversité, ça devienne un loisir, plus largement partagé, qui permettent d'éviter de d'avoir des besoins et loisirs qui soient trop consommateurs de carbone.
Notes :
1 sciences de la conservation : https://fr.wikipedia.org/wiki/Biologie_de_la_conservation