Sciences participatives
1 Mars 2018
Vos parties de BirdLab nous ont permis d’y voir plus clair sur cette étrange invasion.
« Invasion des gros-bec casse-noyaux », « l’hiver du gros-bec », « le gros bec s’impose sur les mangeoires »… pour qui s’intéresse un tant soit peu aux oiseaux des jardins, difficile d’échapper à l’euphorie que suscite cet hiver l’abondance du « gros-bec ». Depuis l’automne, ce passereau habituellement discret s’invite sur toutes les mangeoires, pour le plus grand bonheur des observateurs. Mais quelle est l’ampleur de cette invasion ? Où se répartit-elle sur le territoire ? Nous avons enfin quelques réponses grâce… à vos parties de BirdLab.
Vous l’avez sûrement croisé, ce bel oiseau à la tête et au bec presque disproportionnés tellement ils sont imposants. Un bec : que dis-je ! C’est une masse ! Pour se nourrir il va jusqu’à broyer les noyaux de cerises voire d’olives qu’il prélève en haut des arbres. D’où son nom, d’ailleurs : gros-bec casse-noyaux (Coccothraustes coccothraustes). Lorsqu’il ne fracasse pas de coquilles, il cueille de petits fruits ; et après l’hiver, il lui arrive de diversifier le contenu de son assiette avec quelques insectes. Son plumage brun-roux entoure des ailes bleu noir avec une bande blanche. Assez craintif, il passe le plus clair de son temps dans les bois ou bosquets en hauteur, et seuls ses rares chants le trahissent parfois. Pour ce qui est de sa répartition, on le trouve dans une grande partie de l’Europe, et un peu partout en France. Mais force est de constater que jusqu’à présent, le « gros-bec » ne courrait pas les jardins.
La France est divisée en 4 parties selon les coordonnées des mangeoires. En abscisse les dates de l'hiver (1 = 1 Nov et le trait orange correspond au 1er Janv), en ordonnée le nombre de gros-bec observé en même temps durant chaque partie. Chaque couleur correspond à une saison d'hiver de BirdLab.
Or cet hiver, avoir un gros-bec casse-noyaux dans son jardin est devenu monnaie courante. Pour vérifier les ouï-dire, et autres témoignages épars, Romain Lorrillière s’est amusé à relever toutes les mentions de "gros-bec" sur tout le territoire, depuis le début de la saison au mois de novembre. Il a ensuite comparé les chiffres de cette année avec ceux des trois dernières années (voir le graphique ci-dessus). « On voit clairement que l’ampleur de l’invasion du gros-bec est plus forte en 2017-2018 » reconnaît-il, en s’appuyant sur ses courbes (la bleue marine, pour cette année). Nous pouvons croiser ces résultats avec les chiffres que la LPO vient d’extraire de notre programme Oiseau des jardins : "durant les automnes 2014, 2015 et 2016 (du 22/09 au 29/11), seulement 1 à 6% des personnes actives sur l’Observatoire ont aperçu un gros-bec casse-noyaux dans leur jardin. En 2017, 26% des jardins actifs en ont noté la présence !" annoncent-ils sur le site. Autre phénomène frappant sur les courbes de Romain : leur quasi absence durant l’hiver 2015-2016. Selon le chercheur, une mauvaise reproduction au printemps précédent pourrait l’expliquer.
Pas de surprise dans ces deux affirmations, mais une confiance dans les données du jeu qui se trouve renforcée. Regardons tout cela d’un peu plus près.
Le gros-bec casse-noyaux fait partie des migrateurs partiels, c’est-à-dire qu’une frange de la population reste sur place pour passer l’hiver. Une autre, la plus importante, migre de l’Europe du Nord et de l’Est vers le Sud pour aller chercher de la nourriture. « Les courbes montrent qu’au milieu de l’hiver, fin janvier-début février, de nombreux oiseaux arrivent en France par le Nord-Est, et un peu par le Sud-Est. C’est assez flagrant pour les trois dernières saisons de BirdLab. Ensuite on en retrouve une petite partie dans le Sud-Ouest. En revanche le Nord-Ouest de la France ne semble pas être une terre d’accueil pour les gros-bec. La progression des gros-bec semble donc se faire dans un axe Strasbourg-Bordeaux.» Et puis progressivement dans tout le reste du pays. Une colonisation en trois temps, donc.
Cette année, en plus du nombre d’arrivants, la progression diagonale du pays s’est faite très tôt. « La première chose qui m’a frappé est la précocité de son installation dans toute la France, insiste Romain. Dès décembre, le gros-bec est déjà présent dans le Sud-Ouest ! Les années précédentes, les courbes nous montrent que la progression dans le Sud et dans l’Ouest démarre après le 1er janvier (barre orange). » Ainsi dans les Landes, le Pays-Basque ou le Gers les premiers témoignages intrigués remontent à fin novembre… Non vous n’étiez pas fou !
Leur présence sur les mangeoires a aussi de quoi étonner. Comme évoqué plus haut, le gros-bec est en général difficile à observer car farouche, n’aimant pas tellement se mêler aux autres. « Il est solitaire dans plus de ¾ des parties. Et neuf fois sur dix, ils ne sont pas plus de 2 » précise Romain, s'appuyant sur les données de BirdLab. Souvent perché à la cime des arbres, il ne s’approche que rarement du sol. Or, cette année le "gros-bec" n’hésite pas à se frotter aux autres passereaux pour picorer des graines. Il prend même le temps de les déguster : "il reste en moyenne une minute sur une mangeoire ! Même si un oiseau sur deux ne reste que 30 secondes" (voir graphique ci-dessous). Avec une corpulence de lutteur et un bec aussi massif, on pourrait penser que le "gros-bec" fille la trouille à tout le monde. Pas vraiment selon nos témoignages. Mais soyons patient : comprendre la cohabitation avec les autres espèces à la mangeoire sera le prochain travail de Romain.
On voit sur le graphique de droite qu'il n'y a souvent qu'un seul gros bec à la fois sur la mangeoire. Celui de gauche montre qu'il y reste la plupart du temps entre 0 et 1 minute.
Reste une question : pourquoi ? Pourquoi cet oiseau est-il arrivé en masse dans toute la France et aussi précocement ? Que s’est-il passé ? "Il est trop tôt pour le dire, avoue l'ornithologue. En revanche on peut avancer quelques hypothèses. La plus crédible selon moi est que la reproduction des gros-becs semble avoir été très forte en Scandinavie et en Allemagne du Nord au printemps. Les réserves de nourritures locales manquant, cela expliquerait qu’un grand nombre d’individus soient partis se nourrir ailleurs dès le début de l’hiver. C’est sûrement cette raison qui a aussi entrainé la venue de quantité de sizerin flammé. Mais cela reste à confirmer."
Voilà qui nous permet d'y voir plus clair sur cette déferlante de "gros-bec". Des oiseaux qui, pour beaucoup d’entre eux, ne tarderont pas à prendre leur envol vers l’Est. Alors profitez-en pour les observer ; qui sait, en effet, s’ils reviendront aussi nombreux l’année prochaine…
Hugo.
PS : vous avez encore un petit mois, jusqu'au 31 mars, pour continuer à jouer à BirdLab. A vos smartphones !
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