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« Il faut amener les gens à s’intéresser aux insectes pollinisateurs de Martinique »

Sciences participatives

 

Dans l’archipel des Antilles, l’abeille n’a pas la même aura qu’en métropole, du fait de l’indépendance des grandes cultures (banane et canne à sucre) à son égard. Malgré tout, Eddy Dumbardon-Martial, naturaliste et spécialiste des diptères tente de mettre en lumière les insectes pollinisateurs, une faune encore mal connue en Martinique et pourtant d’une haute valeur patrimoniale. Une de ses armes : les sciences participatives.

 

Vonvon © Eddy Dumbardon-Martial

Vonvon (Xylocopa fimbriata) butinant des fleurs de Glisérya (Gliricidia sepium) © Eddy Dumbardon-Martial

 

A quoi ressemblent les insectes pollinisateurs en Martinique, région du globe à la fois tropicale et insulaire ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas très éloigné de ce qu’on retrouve en métropole. Les principaux groupes y sont présents : les Hyménoptères, les Diptères, les Coléoptères, les Lépidoptères. Il y a tout de même quelques différences. La première est la faible diversité spécifique. Les îles sont des territoires exigus, isolés, peu d’espèces ont pu s’y établir. Contrairement à la Guyane par exemple, qui jouit d’une faune et d’une flore extrêmement abondante en raison de sa situation continentale. En revanche, les îles se distinguent par un endémisme très élevé mais qui reste variable selon les groupes d’insectes. Sur 18 espèces d’abeilles connues de Martinique, 8 sont endémiques, en tous cas à notre connaissance. Si la plupart de ces espèces sont présentes dans plusieurs îles de l’archipel, certaines ne vivent que sur une seule d’entre elles ! Nous avons une forte responsabilité à l’échelle du monde du fait de nos espèces endémiques. Mais au risque de vous décevoir, il y a peu d’espèces spectaculaires quand bien même nous serions dans une région tropicale. Les espèces communes sont même en moyenne plus petites que sur le continent, ceci étant lié à des ressources plus limitées.

De quand datent les premiers inventaires d’insectes pollinisateurs en Martinique ?

C’est très récent ! En Martinique, nous n’avons pas d’historique naturaliste aussi ancien qu’en Europe. Ici, il y a eu l’esclavage entre le 17e et le 19e siècle, ce qui n’a pas encouragé l’observation de la nature. Avec l’arrivée des premiers colons européens, les ecclésiastiques de l’époque ont entrepris les premiers inventaires. Mais hormis de rares exceptions, comme celle du père Pinchon qui nous a laissé 140 boîtes de plusieurs milliers d’insectes, notre région a surtout bénéficié des travaux des botanistes. Le premier inventaire des abeilles en Martinique a eu lieu en 2006. Aujourd’hui encore nous sommes peu à nous intéresser à cette biodiversité. Il y a encore du travail !

Vous avez lancé il y a deux ans un programme de science participative, visant justement à améliorer la connaissance des insectes pollinisateurs. Comment avez-vous procédé ?

Cela faisait quelques années que j’accumulais des données de terrain sur les insectes butinant les plantes à fleurs. J’ai voulu les formaliser et les rendre accessibles en créant le site betafle.frBet a flé signifiant « bêtes à fleurs » en créole. Avec pour ambition d’enrichir cette base de données au fil des années. C’est dans ce contexte que nous avons décidé avec l’association Martinique Entomologie de faire appel à la population. Un projet de sciences participatives s’est mis en en place dans la presqu’île de la Caravelle, une des zones les plus anciennes de l’île. C’est aujourd’hui une réserve naturelle extrêmement riche. Ses paysages magnifiques de savanes, de forêts sèches, de mangroves sont très appréciés des martiniquais et des touristes. C’était le lieu idéal pour rassembler du public. Car l’objectif du projet « Insectes pollinisateurs de la Réserve naturelle de la Caravelle » ne se limitait pas à la mise en œuvre d’un simple inventaire : nous voulions profiter de l’occasion pour sensibiliser, faire de la pédagogie. Nous voulions orienter les regards vers les bet a flé, cette petite faune laissée pour compte dans la réserve, et pourtant omniprésente. Seule une dizaine de curieux a répondu à notre appel. La participation aurait pu être plus importante, mais mobiliser les gens autour de ces questions n’est pas une mince affaire, d’autant que nous avons ici des relations plus conflictuelles avec les insectes, souvent assimilés à des vecteurs de maladies. De plus nous n’avons pas pu conduire les actions de communication prévues à cause du manque de moyens financiers. Nous avons dû faire des choix.

Les bénévoles se sont tout de même prêtés à une campagne de piégeage d’insectes mais aussi à un marathon photo. Qu’avez-vous pu tirer de ces inventaires ?

L’inventaire des pollinisateurs de la Caravelle a permis de collecter des données très intéressantes qui viendront enrichir la base de données bet a flé. Certaines espèces sont peut-être nouvelles pour la science ! En particulier les abeilles appartenant à la famille des Halictidae, des abeilles noires à l’allure de fourmi assez communes dans la Réserve. Du côté des diptères, nous avons découvert un bombyle (Bombyliidae), une petite boule orange d’où sort une longue trompe rectiligne. Ces mouches possèdent souvent des pièces buccales allongées, elles ont tendance à butiner les fleurs en effectuant des vols stationnaires, un peu comme les colibris. À partir des observations des participants à l’opération et des membres de l’association, nous allons concevoir un petit fascicule pédagogique sur les insectes de la Caravelle. Sous forme de petites histoires naturelles, nous allons faire découvrir la particularité des insectes, des fleurs et de leurs interactions. Il sera abondamment illustré de photos et des dessins à l’aquarelle.

© Eddy Dumbardon-Martial

Participants au programme Bet a flé © Eddy Dumbardon-Martial

 

Que sait-on des relations plantes-insectes en Martinique ? Y-a-t-il des phénomènes de coévolutions remarquables ?

Certaines relations très spécialisées sont emblématiques. La pollinisation des Passiflores (fruits de la passion) par exemple ne peut pas être réalisée par l’abeille mellifère, celle-ci étant incapable d’atteindre l’étamine de la fleur du fait de sa taille. Une seule abeille peut y accéder : le vonvon (Xylocopa fimbriata), un xylocope très célèbre chez nous. Autrefois très commune, l’espèce a beaucoup régressé. Une des raisons est liée à la disparition des maisons en bois sur l’île, dans lesquelles le vonvon construisait ses nids. Avec la modernisation de l’habitat et la généralisation de matériaux à base d’aluminium et de béton, il a « déserté » les villes pour se « réfugier » en forêt.
Hormis quelques exemples comme celui-ci, on connait encore mal les relations entre les fleurs et les insectes dans les Antilles. En Martinique les grandes cultures sont celles de la banane et de la canne à sucre qui ne dépendent pas de la pollinisation des insectes, d’où l’absence de travaux de recherche et de sensibilisation autour des problématiques liés aux pollinisateurs contrairement à ce qui existe ailleurs dans le monde.

Selon vous et les données dont vous disposez, comment les insectes évoluent, en particulier les pollinisateurs ? Observez-vous une régression significative comme sur le continent ?

De façon objective, nous n’avons pas assez de recul sur l’évolution de la faune entomologique en Martinique. Et il n’y a jamais eu de suivis de pollinisateurs. On connait en revanche les menaces qui pèsent sur ces insectes. D’abord l’urbanisation et plus généralement les activités humaines qui empiètent sur les espaces forestiers. En métropole, ce sont certains écosystèmes ouverts d’intérêt écologique comme les prairies naturelles qui régressent alors que chez nous ce sont les forêts. Problème : les espèces endémiques sont souvent inféodées aux espaces forestiers. Donc les habitats se réduisent. Concernant les pesticides, souci majeur à l’échelle mondiale, on ne sait pas grand-chose, mais des études sont en cours pour évaluer l’exposition de la faune locale à ces produits.
De manière plus subjective, je pense que la pente que nous prenons a de quoi inquiéter. Déjà au niveau paysager la régression des forêts et l’ouverture des milieux perturbent les écosystèmes. Je vois se généraliser des espèces végétales invasives, essentiellement des graminées, comme l’herbe de guinée, qui prennent le dessus sur les plantes à fleurs. Cela implique une modification de la ressource florale disponible pour les insectes pollinisateurs dans certains milieux. Dans quelle mesure ? On n’en sait rien. Il est donc nécessaire de mener des études sur les relations « insectes-plantes à fleurs », en tenant compte des particularités de nos territoires. Aborder ce sujet impose une vision transversale, sur les plantes, les insectes, mais aussi l’écologie et la gestion.

Comme évoqué plus haut, la sensibilisation au sort des insectes est une de vos missions. Quel peut être le rôle de la population dans la sauvegarde de la biodiversité en Martinique ?

Il faut amener gens à observer, c’est la meilleure façon de sensibiliser. Avant nous essayions de le faire en montrant des boîtes de papillons. C’était beau. C’était spectaculaire. Mais ça restait folklorique, selon moi. Je vois bien que lorsque ces mêmes personnes observent les mêmes espèces vivantes, dans leur milieu naturel, elles s’ouvrent à un autre monde. Elles touchent du doigt la diversité des formes vivantes et prennent conscience des relations complexes entre les espèces. Cela entraine généralement une réflexion sur l’impact de nos actions sur les écosystèmes. Mais au-delà des sciences participatives, il faut selon moi décloisonner la science, surtout l’entomologie et l’ouvrir à d’autres domaines, artistiques notamment. Le dessin, la photo rapprochent les gens des insectes, c’est ce chemin que nous essayons de prendre à l’association Martinique Entomologie.

 

Pour en savoir plus, consultez le site du projet Bet a flé et suivez Martinique Entomologie sur Facebook.

 

Article publié sur le site Compteur Biodiversité Outre-mer 

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