Grâce aux nombreux observateurs participant aux suivis des populations d’oiseaux communs, une étude de grande ampleur a permis d’établir, pour la première fois, des relations directes de cause à effet entre les variations des populations d’oiseaux et les quatre principales pressions qui s’exercent sur eux.
Le déclin des oiseaux
Les populations d’oiseaux déclinent, ce n’est pas une nouvelle puisque depuis des décennies, scientifiques et associations alertent sur ce phénomène. Mais si les différentes causes de disparition des oiseaux ont déjà été documentées, aucune analyse à ce jour ne permettait de mesurer leurs impacts relatifs. C’est aujourd’hui chose faite, et l’étude a été publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
La participation d’observateurs bénévoles et la collaboration d’une cinquantaine de chercheurs et chercheuses a permis la constitution et l’analyse d’un corpus de données exceptionnel par sa dimension : il concerne 170 espèces d'oiseaux communs en Europe, dont les populations ont été suivies sur plus de 20 000 sites dans 28 pays européens, sur 37 ans. Parmi ces données, figurent celles récoltées par les participants du STOC, remerciés dans l’article, tout comme l’ensemble des observateurs.
Les résultats de l’analyse montrent qu’entre 1980 et 2016 les populations d’oiseaux ont globalement décliné de 25,4%. Tous les groupes d’oiseaux sont touchés par une diminution, mais de manière inégale : Les espèces vivant en milieux agricoles ont été plus touchées (-56,8 %), suivis par les oiseaux des milieux froids (-39,7 %), les citadins (-27,8 %), les forestiers et les espèces des climats chauds (respectivement -17,7 % et -17,1 %). Lorsque l’on regarde les tendances dans les différents pays, il s’avère que les populations des espèces agricoles et des milieux froids sont en déclin dans presque tous les pays européens, excepté certains pays de l’Est. Pour les espèces forestières et citadines, les tendances sont plus diversifiées entre les pays.
Les causes du déclin
Les principales pressions, du fait d’activités humaines, pesant sur les oiseaux en Europe sont largement documentées dans des études réalisées à des échelles plus locales. Il s’agit de :
- L’intensification de l’agriculture, c’est à dire l’augmentation de l’utilisation d’intrants chimiques (herbicides, insecticides, fongicides…) et de l’homogénéisation du paysage (uniformisation des cultures sur de vastes étendues).
- Le changement d’usage des sols, à travers deux processus particulièrement critiques pour les oiseaux : la variation du couvert forestier et l’étalement urbain.
- Le changement climatique, considéré dans l’étude uniquement par la variation de la température.
Les analyses à l’échelle de l’Europe révèlent que ces pressions ne sont pas uniformes entre les pays. L'intensification agricole (+2,1 % entre 2007 et 2016) et l'urbanisation (+0,4 % entre 2009 et 2016) sont plus importantes dans les pays d'Europe occidentale que dans les pays de l'Est. Le changement de température est plus rapide aux hautes latitudes (+13,2 % entre 1996 et 2016) tandis que la progression des forêts naturelles ou des plantations forestières (+2,1 % entre 1996 et 2016) varie entre les pays.
Lorsque l’on considère l’ensemble des populations d’oiseaux, l’intensification de l’agriculture est ce qui influence le plus la tendance globale des populations, et négativement. Autrement dit, c’est la principale cause du déclin. L’augmentation de la température et celle de l'urbanisation sont aussi impliquées dans le déclin global de l'avifaune. En revanche, l’augmentation de la couverture forestière n’a pas d’impact visible sur la dynamique globale des oiseaux.
Les analyses ont permis de déterminer plus précisément les espèces dont les dynamiques de population ont été directement influencées (positivement ou négativement) par les différentes pressions.
Des intrants chimiques qui font disparaitre des ressources alimentaires essentielles
L’intensification agricole affecte directement l’abondance des populations de 50 espèces d’oiseaux, et ce de manière négative pour 31 d’entre elles. La forte diminution des oiseaux des milieux agricoles était déjà observée et expliquée par l’utilisation de pesticides, en Europe et en Amérique du nord. L’étude présente vient confirmer que l'agriculture à haut niveau d'intrants est la pression la plus influente sur les populations d'oiseaux, et pas seulement pour les espèces des terres agricoles : Il s’agit aussi d’espèces qui se nourrissent d'invertébrés pendant la saison de reproduction, d’espèces qui migrent sur de longues distances et d’espèces forestières. Pour résumer, la grande majorité des oiseaux communs.
C’est lorsque l’utilisation d’intrants augmente que les oiseaux disparaissent. Autrement dit, le déclin peut-être plus marqué dans un pays où il y a une augmentation quand bien même la valeur moyenne d’utilisation d’intrants est plus faible que dans d’autres pays. Si cette étude n’explore pas les mécanismes qui entre en jeu entre les intrants et le déclin des oiseaux, certains sont déjà connus. Les auteurs rappellent que les pesticides et les engrais sont délétères pour les insectes et d’autres invertébrés. Or, les invertébrés représentent une part importante du régime alimentaire de nombreux oiseaux et ils sont particulièrement cruciaux en période de reproduction pour 143 espèces parmi les 170 espèces étudiées.
Aussi l’utilisation massive d’intrants est à l’origine d’une raréfaction des ressources alimentaires pour les oiseaux adultes et les oisillons (1). De plus, la consommation de graines occasionne une contamination directe des oiseaux, dont l’accumulation entraine des effets sublétaux (2).
Par ailleurs, dans les pays où les unités de production agricole sont plus petites, les populations d'oiseaux se portent mieux : L'augmentation de vastes étendues de monocultures, autre aspect clé de l'intensification agricole, est également impliquée dans le déclin des populations d'oiseaux.
Variations de la température et désordre dans les cycles
La température a été un facteur dominant dans la dynamique des populations d'oiseaux à l'échelle continentale au cours des dernières décennies, avec un impact plus prononcé dans les pays de haute latitude. Elle affecte la dynamique de population de 55 espèces dont la moitié de manière négative et l’autre moitié de manière positive. Les 28 espèces pour lesquelles les conditions climatiques deviennent plus favorables sont essentiellement des espèces des pays les plus chauds de l’Europe, mais aussi des espèces citadines et forestières, et des espèces spécialistes (inféodées à un habitat particulier). Les 27 espèces qui sont défavorisées par l’augmentation de la température sont principalement et sans surprise les oiseaux acclimatés aux régions froides, mais aussi des migrateurs au long cours, des espèces des terres agricoles, des généralistes (vivant dans des habitats variés), et des espèces au régime alimentaire à base d'invertébrés ou granivores.
L'effet du changement de température dépend de la capacité des espèces à s’y adapter, par exemple en se déplaçant vers le nord. Mais cette capacité dépend également de celle des espèces avec lesquelles ils interagissent (3), comme leurs ressources alimentaires. En effet, le changement climatique crée des décalages dans les cycles des espèces. Par exemple, il a été démontré que des espèces forestières migratrices sont « en retard » par rapport au moment où leurs ressources alimentaires sont désormais le plus disponibles sur le lieu de leur reproduction (4). Dans ce cas, les conséquences pèsent alors sur le succès de la reproduction.
La forêt, mais pas n’importe laquelle !
L’augmentation de l'urbanisation a marqué les dynamiques de populations de 21 espèces et affecté de manière négative 12 d’entre elles. Il s’agit d’espèces vivant dans les milieux agricoles, d’espèces granivores ou qui se nourrissent d’invertébrés. Le changement du couvert forestier a eu un impact sur 25 espèces, négatif pour 9 d’entre elles et positif pour 16. L'augmentation globale du couvert forestier a bénéficié à des espèces migratrices parcourant longues distances, et non aux espèces forestières ! Les auteurs posent l’hypothèse que le type de forêt, leur structure et leur qualité soient plus déterminants pour les espèces forestières que la simple présence d’arbres. Les forêts anciennes, essentielles à de nombreuses espèces (5) sont en déclin. Des forêts aménagées ou le reboisement consécutif à l’abandon agricole n’offrent pas d’habitats équivalents. Ainsi ils ne devraient vraisemblablement pas avoir le même effet que les forêts anciennes sur les espèces forestières d’oiseaux, et ne devrait pas non plus profiter aux espèces vivant dans des habitats ouverts (prairies, garrigues, pelouses sèches…).
Cette étude menée à large échelle confirme les effets forts et omniprésents et des pressions anthropiques sur les oiseaux nicheurs communs, et les analyses ont pour la première fois permis d’établir leurs forces relatives. Les résultats soulignent « le besoin urgent de transformer notre façon d'habiter le monde pour que les populations d'oiseaux aient une chance de rétablissement ».
Quelques éléments bibliographiques cités dans l'article scientifique, repris dans cet article.
1. A. P. Møller, Parallel declines in abundance of insects and insectivorous birds in Denmark over 22 years. Ecol. Evol. 9, 6581–6587 (2019).
2. C. A. Hallmann, R. P. Foppen, C. A. van Turnhout, H. de Kroon, E. Jongejans, Declines in insectivorous birds are associated with high neonicotinoid concentrations. Nature 511, 341–343 (2014).
3. V. Devictor, et al., Differences in the climatic debts of birds and butterflies at a continental scale. Nat. Clim. Change 2, 121–124 (2012).
4. C. Both, et al., Avian population consequences of climate change are most severe for long-distance migrants in seasonal habitats. Proc. R. Soc. B Biol. Sci. 277, 1259–1266 (2010).
5. H. M. Henttonen, P. Nöjd, S. Suvanto, J. Heikkinen, H. Mäkinen, Large trees have increased greatly in Finland during 1921–2013, but recent observations on old trees tell a different story. Ecol. Indic. 99, 118–129 (2019).