Ce qui a fuité des 10 ans de Vigie-Flore...
Comme chaque année, participants et chercheurs se sont réunis le temps d’un weekend pour échanger autour des relevés botaniques menés dans le cadre de l’observatoire Vigie-Flore. La coordinatrice scientifique Emmanuelle Porcher revient sur cette édition 2019 toute particulière. Ce fut également l'occasion de glisser une oreille indiscrète au milieux des échanges entre vigiefloristes. Rencontres insolites, maille recouverte par la marée... les anecdotes n'ont pas manqué.
Vigie-Nature : Les dixièmes rencontres annuelles de Vigie-Flore viennent de s’achever. Quelle est votre ambition chaque année ?
Emmanuelle Porcher : Je dois avouer que nous avons beaucoup travaillé en amont pour organiser ces rencontres, particulièrement Gabrielle Martin, en charge de l’animation depuis sept années. C’était très intense. Mais lorsqu’on voit tous ces « vigie-floristes » extrêmement motivés, qu’on écoute leurs témoignages pleins d’entrain, on se dit que ça en vaut vraiment la peine. Réunir les observateurs permet d’abord de leur faire des retours scientifiques de vive-voix, plus efficaces me semble-t-il que les bilans et restitutions écrits. Les échanges avec les animateurs - de Tela Botanica en particulier - et les coordinateurs scientifiques du Muséum sont toujours très fructueux. Nous répondons aux questions des participants sur la réalisation des relevés, sur les analyses de données, et eux nous font part de leur retour d’expérience. Des retours qui nous enrichissent beaucoup : ils permettent, au fil des ans, d’ajuster le protocole, et même parfois de faire émerger des questions de recherche. D’une manière générale, les participants sont très demandeurs de ce type de rencontre. Cela leur permet de se rencontrer, de se connaître et de partager une passion commune. Une « vigie-floriste » nous a même demandé d’organiser une journée en région afin de pouvoir rencontrer des participants près de chez elle, et pourquoi pas organiser des sorties en groupe.
Cette édition avait une saveur particulière : vous fêtiez également les 10 ans de l’observatoire. Et pourtant à l’époque, ce n’était pas gagné…
Une des participantes nous a raconté que la première fois qu’on lui avait parlé de Vigie-Flore, elle avait entendu tellement de commentaires négatifs qu’elle s’y est engagée sans trop y croire. Tout en se disant : « allez on va leur donner une chance ». Il est vrai qu’à l’époque tout le monde nous riait un peu au nez. Demander à des bénévoles d’observer la flore sur des mailles tirées aléatoirement, et non dans un milieu représentatif comme cela se fait en général : c’était audacieux. Or, dix ans après on peut dire qu’on a gagné le pari : 358 participants effectuent des relevés sur 630 mailles partout en France. 2482 espèces ont été identifiées. Quant aux résultats scientifiques, ils sont enfin au rendez-vous. Dix ans c’est un seuil pour commencer à faire parler les données. Je me souviens que dès la deuxième rencontre annuelle, Laure Turcati, alors doctorante, avait calculé qu’il faudrait attendre 10 ans avec 100 mailles suivies pour être sûrs de détecter des changements subtils, de l’ordre de 5% de déclin ou d’augmentation par an. Cette année c’est la première fois que les participants ont un retour aussi précis sur les tendances temporelles.
Grâce à tous les bénévoles, nous avons réussi à montrer que la flore de France s’est modifiée avec le réchauffement climatique, ou encore que les plantes les plus dépendantes des insectes pollinisateurs déclinaient plus que les autres (ces résultats vous seront communiqué sous peu, NDLR). Lors de cette présentation, j’ai pu remarquer qu’ils pouvaient se montrer surpris, car les résultats sont en décalage parfois avec ce qu’ils voient eux dans leur placette. Nous les rassurons en expliquant que généralement leurs observations dépendent des conditions locales. Quand un terrain subit une coupe à blanc et que la végétation repousse, on constate des changements flagrants mais en général assez éloignés de ce qu’il se passe pour les mêmes espèces à l’échelle nationale.
Durant le weekend, vous avez fait quelques sorties de terrain dans la forêt de Fontainebleau malgré un temps capricieux… La chasse a été bonne ?
Malgré un temps clairement mauvais, nous avons pu mettre en place trois ateliers : un relevé Vigie-Flore, un sur les pieds d’arbre avec le nouveau protocole Streets et un autre sur les lichens avec LichenGo ! Lors du relevé Vigie-Flore encadré par Gabrielle Martin, Eric Motard et Audrey Muratet, nous avons vu comment reconnaître quelques carex, différentes espèces de renoncules ; un petit capricorne s’est posé sur le dos d’un des observateurs. Mais rien d’extraordinaire, il s’agissait surtout de présenter le protocole pour les nouveaux arrivants dans Vigie-flore et permettre l’échange d’expériences avec les anciens. Car chacun a sa petite recette pour matérialiser la placette : ficelle et anneaux pour les uns, mètre de carreleur pour les autres, ou encore baguettes de bambou. Les « vigie-floristes » se sont vraiment appropriés le protocole. Le groupe comptait aussi quelques « super-participants » : des fidèles parmi les fidèles qui, pour certains d’entre eux, étaient là depuis la première année il y a 10 ans.
Florilège des anecdotes de vigie-floristes
Dans le protocole Vigie-Flore, les mailles (zone d’un kilomètre carré, que l’on inventorie par placettes de 10 mètres carrées) sont réparties aléatoirement sur le territoire. On ne choisit pas d’observer sa prairie favorite ou le sous-bois à côté de chez soi. On choisit simplement la maille disponible et en général la plus proche du lieu où l'on habite. Cette répartition systématique permet d’avoir des données représentatives et de couvrir tout le territoire. Ainsi, il arrive de tomber à son insu sur des lieux privés, insolites voire de faire des rencontres… Florilège des anecdotes de terrain.
La plus embarrassante…
Rapporté par l’équipe Vigie-Flore au Muséum : « Alors que les participants s’apprêtaient à faire leur relevé dans le Bois de Vincennes, ils tombent sur un site de rencontre très particulier… Ou comment se retrouver à identifier la flore avec des gens en petite tenue autour de soi ! »
La plus savoureuse
« Un jour, sur ma placette, je suis tombé sur un paquet de girolles. Peut-être deux kilo tout autour de moi ! Mais je n’avais malheureusement pas de sac pour les ramasser. Depuis, avant chaque relevé, je pense à prendre un sac. »
Les plus périlleuses
« Je me suis retrouvé un jour entre une laie et ses petits. Je n’en menais pas large. » Une autre réagit : « quand je relève dans le sud, je chante pour effrayer les sangliers, mais chez moi en Normandie ce sont les vaches qui me courent après ! Je lâche alors quelques grossièretés pour les éloigner. » Une autre encore : « Il y a deux chevaux qui se sont approchés de moi, alors que je ne les avais pas entendus : j’ai eu très peur. Du coup j’ai tout laissé et je me suis réfugiée de l’autre côté de la barrière. »
La plus acrobatique
« Je suis en montagne et j’ai une placette dans une vallée, l’autre dans une autre vallée. J’ai 3 h de marche pour me rendre de l’une à l’autre! ». Un autre réagit : « Il arrive aussi qu’en montagne les quadrats (NDLR cadre dans lequel on procède aux relevés) soient presque à la verticale. »
La plus « folle »
« Ma maille se trouvait dans un énorme parc situé dans… un asile psychiatrique. La première année j’y suis allée seule, sans autorisation. J’y suis ensuite retournée avec une copine, cette fois avec une autorisation. Sauf que la surveillante nous a prévenues qu’ils venaient de recevoir un nouveau cas dont ils ne pouvaient pas prévoir la réaction… Je n’y suis jamais retournée. »
La plus frustrante
« Je suis de Montpellier et j’ai une parcelle de garigue qui a brûlée suite à un incendie il y a quelques années. Sauf qu’aujourd’hui, il y a des endroits où la garrigue commence vraiment à me repousser. Résultat, il y a des endroit je ne peux plus accéder ! »
Quelques mailles insolites
Recouverte par la marée
Elle se situe en Bretagne à Erdeven, commune du Morbihan où l'étel, petit fleuve , se jette dans l'océan. Lors des grandes marées, une partie de la maille, peut se voir imerger. Heureusement, le phénomène est rare, ce qui permet aux plantes côtière de s'épanouir et aux observateurs d'inventorier tous les ans sans problème.
Du bout du monde
Sur l'Île d’Ouessant, à l'extrême ouest du pays, sur des pâturages abandonnés, deux vigie-floristes identifient quelques-unes des 500 espèces référencées sur l'île. Parmis elles Bruyère cendrée, ajoncs d’Europe et Le Gall qui couvrent le littoral de belles fleurs mauves et jaunes en été.
Traversée par les trains
Quelques mailles sont traversée par des voies ferrées. C'est le cas à Ottange (Moselle) et à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Des données d'autant plus intéressante qu'on sait depuis une publication de 2012 que les chemins de fer peuvent jouer un rôle de corridor écologique, notamment pour les plantes communes des prairies.
Participez à Vigie-Flore : http://www.vigienature.fr/fr/vigie-flore