Durant trois ans Milena Cairo va étudier l’impact des pesticides sur les populations d’oiseaux dans les vignes. Un travail qui s’appuiera sur des données du STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs).
Tu ne découvres pas complètement le sujet… Cette thèse s’inscrit dans la continuité d’un travail que tu mènes depuis deux ans au Cesco. Quelle était ta mission jusqu’à présent ?
Mon travail consistait à regarder les effets des produits phytosanitaires sur la biodiversité. En m’appuyant sur les ventes de pesticides pour évaluer leur consommation sur les exploitations, j’ai pu identifier et localiser spatialement l’utilisation de cocktails de substances. Ce qui m’a permis de produire un indicateur d’utilisation des pesticides. Les risques pour la biodiversité sont en cours d’analyses. Mes collègues tentent actuellement de mettre en relation l’exposition aux pesticides et les tendances des espèces communes à partir des données du STOC (oiseaux communs), de Vigie-chiro (chauves-souris) et de Vigie-Flore (plantes sauvages). Mais c’est encore un peu tôt pour en tirer des enseignements.
Ta thèse s’inscrit dans le projet Vitibird. Quel est son objectif ?
Le projet Vitibird, porté par Frédéric Angelier, du CEBC à Chizé et conduit en collaboration avec le MNHN, a pour titre : Impact de l'utilisation des pesticides sur les populations d’oiseaux dans les vignobles français : une approche intégrative. C’est assez explicite. La thèse que je commence est donc en lien avec ce que je faisais jusqu’à présent. A cette différence près que je ciblerai les milieux viticoles. Plus précisément ma mission pendant trois ans sera de rendre compte des tendances à long terme des populations d'oiseaux communs dans les vignobles français, et d’essayer de comprendre si les pesticides influent sur ces tendances. C’est une belle opportunité pour moi de pouvoir approfondir ce sujet qui m’intéresse beaucoup, sans compter que je suis une grande adepte du vin !
Quelle est la spécificité des vignobles par rapport aux autres agroécosystèmes ?
Une première caractéristique porte sur la forte sensibilité des vignes aux pathogènes, ce qui explique qu’elles soient particulièrement traitées. Pour donner un ordre d’idée, on utilise près de quatre fois plus de pesticides en viticulture qu’en agriculture céréalière… Certains fongicides sont massivement utilisés dans cette culture et pourraient être particulièrement nocifs pour les oiseaux comme l’ont suggéré de précédentes études. Evaluer plus précisément ces dangers s’avère d’autant plus important que la viticulture représente une part non négligeable de l'agriculture (17% de la surface cultivée en France, 25% en Europe) associée à de gros enjeux économiques. Et puis, contrairement à d’autres cultures, c’est un milieu qui peut être très hétérogène : les agroécosystèmes ne se ressemblent pas selon que l’on soit dans le bordelais ou en Bourgogne. Sans parler des pratiques agricoles qui varient également : conventionnel, bio etc. Ainsi comment se portent les populations d’oiseaux dans toutes ces conditions ? A nous d’y répondre. Peu d’études ont été menées à grande échelle et sur autant d’espèces.
Tu vas justement travailler sur les données du STOC. En quoi sont-elles adaptées à ta problématique ?
Ce sont des données très standardisées, avec un protocole qui a déjà fait ses preuves. En plus, nous disposons de données partout en France, sur de nombreuses espèces d’oiseaux communs et dans presque tous les territoires viticoles. Bien-sûr, comme ils sont répartis aléatoirement, les carrés de comptage qui nous intéressent recouvrent parfois des milieux différents. Il va donc falloir dans un premier temps identifier les carrés, étudier la répartition des points de comptage pour extraire les bonnes informations. Réaliser un gros nettoyage des données comme on dit dans notre jargon. Nous pourrons ensuite regarder quelles espèces sont les plus impactées, quelles sont leurs caractéristiques, quelles sont leurs histoire de vie (survie, reproduction etc.), leur spécialisation. Si nous avons suffisamment de points exploitables, nous pourrons comparer les résultats entre différents vignobles et entre les vignobles et d’autres cultures. Nous regarderons de près les pesticides impliqués mais aussi le paysage (présence de haies, taille de la parcelle etc.) Et pourquoi pas intégrer des variables climatiques, topographiques ? Mais nous n’en sommes pas encore là. Nous nous adapterons aux données.
Il y a aussi une dimension multidisciplinaire dans cette thèse. Tu vas par exemple étudier la contamination sur des individus capturés…
Oui nous allons capturer quelques individus dans des zones proches des vignobles pour évaluer leur taux de contamination aux pesticides. En particulier des merles et des mésanges charbonnières. Le merle parce qu’il est présent un peu partout autour des vignes, et sa taille permet de le manipuler facilement ; idem pour les charbonnières, abondantes et bien connues, d’autant plus que ces dernières seraient bioindicatrices de leur environnement. Le procédé ? Avec l’aide du réseau de bagueurs nous capturerons des juvéniles – a priori nés dans les parages, donc représentatifs du milieu -, afin de leur prélever deux plumes de queue sur lesquelles on dosera les substances (1). Les substances – encore à choisir - seront surtout des composants de fongicides utilisés abondamment en viticulture et des composants d’herbicides. Ce ne sont pour l’instant que des idées, la méthode s’affinera dans les mois qui viennent. Il y a du travail !
PS : Je tiens à remercier les participants de réaliser ces suivis d’une année sur l’autre avec autant de constance. Je vous en dirai davantage dans un an en vous présentant les premiers résultats.
(1) collaboration avec H. Budzinski, EPOC, CNRS