Dès le mois de février les premières abeilles sauvages sortent de leur nid et commencent à butiner. Et dès le mois de mars, les agriculteurs de l'OAB commenceront à observer dans leurs nichoirs des espèces surprenantes... Que verront-ils ? Nous en avons eu un apperçu en juin dernier lors d'une sortie à la Bergerie-Nationale, qui possède en son sein une parcelle expérimentale pour plusieurs protocoles de notre observatoire.
Nous progressons dans une parcelle de la Bergerie Nationale de Rambouillet. Non sans mal : les fortes pluies de la veille ont inondé une grande partie du site… Qu’à cela ne tienne, Rose-Line Vermeersch, responsable de l’OAB (Observatoire Agricole de la Biodiversité), doit accorder une interview sur le programme à destination des agriculteurs et présenter les protocoles. Suite au déluge, seuls deux planches à invertébrés et les nichoirs à abeilles restent opérationnels. Et par chance, les nichoirs sont occupés ! L’occasion pour moi d’écouter attentivement Rose-Line détailler le protocole puis insister sur l’importance de ces abeilles solitaires et méconnues.
Les abeilles sauvages ont la cote à l’OAB
D’après le bilan 2017, la participation à l’OAB ne faiblit pas : cette année-là, 540 parcelles et 278 exploitations de tous types, dans toute la France, mettent en œuvre au moins un des quatre protocoles du programme. Le protocole abeilles sauvages concerne, lui, 366 parcelles, soit plus de la moitié de celles de l’OAB. « Il suffit d’installer deux nichoirs en bordure de parcelles, à cinq mètres d’écart et à un mètre du sol, commence Rose-Line devant les deux petits cylindres accrochés à la clôture. Il faut aussi penser à les orienter vers le sud, car les abeilles préfèrent les endroits secs et ensoleillés. »
« Dans la nature, les abeilles sauvages nichent dans tous les trous préexistant, sur le sol dans le bois mort, dans les pierres... On en retrouve même dans les roues de tracteur ou dans les aérations de fenêtre ! » L’assemblage de 32 tubes en cartons façon barillet, maintenus dans une bouteille en plastique, est un endroit idéal pour elles, pouvant s’installer et pondre leurs œufs tranquillement. Une fois l’objet installé, l’agriculteur doit regarder tous les mois ce qu’il s’y passe et reporter ses observations sur une fiche de terrain. « Aujourd’hui nous avons deux opercules fermés, l’un avec de la terre et l’autre avec des feuilles », nous annonce Rose Line montrant l’extrémité des tubes.
Chacun son matériau de construction
Ces heureuses occupations font de suite prendre conscience de la diversité des matériaux utilisés par les abeilles sauvages pour construire leur nid. Chaque groupe puisent dans la nature ses propres composants. « Les Mégachiles, ou abeilles « coupeuses de feuilles », sectionnent des feuilles à l’aide de leurs mandibules pour les acheminer vers le conduit et construire le nid » nous explique Rose-Line devant l’ouvrage. Une fois le nid achevé, les femelles y pondent leurs œufs et déposent des réserves de pollen et nectar prélevés sur les fleurs afin d’alimenter les larves. C’est également avec des morceaux de feuilles qu’elles vont ensuite boucher le conduit pour protéger la couvée. Une porte verdâtre comme celle que nous montre Rose-Line laisse peu de doute quant à l’invité du nichoir. Mais il ne faut pas toujours se fier aux apparence : d’autres abeilles que les Mégachiles utilisent un ciment végétal, fait de salive et de feuilles broyée d’une couleur similaire pour obturer leur nid ! Parmi ces espèces : Osmia caerulescens une petite abeille dont la femelle, noire, peut présenter des reflets bleus. Elle est connue pour polliniser, entre autres, les plantes aromatiques.
« L’autre tube bouché avec de la terre, est l’œuvre des Osmia ou Osmies maçonnes, poursuit Rose-line devant la seconde « porte » de couleur marron clair. Et nous aurions pu trouver d’autres matériaux encore! » En effet l’Anthidie ou « l’abeille cotonnière » se sert des fibres de certaines plantes qui donnent à l’opercule un aspect de « coton ». Quant à l’Hériade, une petite abeille solitaire, elle utilise un mélange de résines végétales pour façonner son nid. Mais attention, un autre piège guette les observateurs : les abeilles ne sont pas les seules à apprécier ce genre de cavités… C’est le cas de l’Isodonte mexicaine, de la famille des guêpes. Cette espèce construit aussi son abri à partir de débris de végétaux puis referme l’ouverture par des aiguilles de pin ou du foin.
D’immenses services en péril
Pourtant, à l’ombre de l’abeille domestique, les espèces sauvages souffrent. La diminution des plantes à fleurs, les pesticides, la pollution atmosphérique, le parasitisme... de multiples facteurs expliquent la dégradation continuelle de leur état de santé. Les 2000 parcelles suivies par le protocole de l’OAB depuis 2011 confirme cette tendance. En 2017, 9, 2 loges sont occupées par parcelle en moyenne, moins que les autres années (10,3 moyenne).
Or, les quelques 950 espèces françaises, sont indispensables au processus de pollinisation des fleurs et, par conséquent, à la reproduction des végétaux. Les abeilles sauvages auraient une capacité de pollinisation 30 fois supérieure à l’abeille domestique comme nous l’expliquions dans cet article. Certaines espèces comme l’Osmie maçonne sont actives dès le mois de mars – bien plus tôt que l’abeille domestique -, et réalisent la pollinisation des arbres fruitiers et cultures précoces. Aussi, en fonction de la longueur de leur langue, ces abeilles se sont spécialisées dans la pollinisation d’une famille de plantes, voire d’une seule espèce qui dépendra d’elles pour sa reproduction. Les services rendus à l’agriculture et à l’écosystème entier sont immenses : sans ces pollinisateurs, 1/3 de notre alimentation pourrait disparaître.
D’où l’importance de suivre ces espèces sur les parcelles. Car les nichoirs ne servent pas seulement à leur offrir un gîte à peu de frais, ils permettent d’évaluer l’état de santé du milieu. L’objectif : établir des liens entre l’abondance des abeilles sauvages, leur diversité et les pratiques agricoles.
De petits changements pour de grands effets
Les derniers résultats montrent notamment que de simples aménagements peuvent faire revenir les abeilles. « On a calculé que l’abondance augmentait de 36% et la diversité de 16% en présence d’une mosaïque d’habitats par rapport à un paysage homogène » souligne Rose-Line. Ce qu’on constate également pour les papillons n’a pas de quoi étonner : les haies, prairies, bois… tous ces milieux adjacents aux parcelles sont fondamentaux pour la biodiversité, ils offrent quantité de gîtes et de nourriture aux insectes et en particulier aux abeilles sauvages. En plus les effets s’additionnent ! « Une bande enherbée accompagnée d’un fossé près d’un cours d’eau ou d’une haie produit de meilleurs résultats qu’ une bande enherbée, un fossé ou un cours d’eau seuls ». Il est donc possible d’accueillir les abeilles sur une parcelle en ajustant ses pratiques. Encourageant, non ?
La parcelle pédagogique de la Bergerie Nationale où les établissements scolaires agricoles peuvent découvrir et pratiquer les protocoles de l’OAB, semble s’inscrire dans ces mosaïques vertueuses. Les nichoirs nous l’ont confirmé ce jour-là.
PS : Si vous voulez aider ces petites bêtes, nul besoin d’être agriculteur. La solution ? Installer un hôtel à insecte, une structure aussi efficace qu’esthétique qui se repend de plus en plus dans les jardins. Y compris chez les citadins : sachez qu’il y a plus de 60 espèces dans Paris et plus de 200 dans le Grand Lyon ? A l’heure où les ruches s’installent partout, installons plutôt des hôtels et plantons des fleurs !
Retrouvez la vidéo tournée à la Bergerie Nationale avec Rose-Line Vermeersch, responsable de l’OAB :