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Papillons, fauche et paysage

Sciences participatives

Le Propage est un programme de suivi des papillons destinés aux gestionnaires d’espaces verts et naturels, afin d’évaluer la qualité des milieux et de mesurer l’effet de pratiques de gestion. Que disent les données récoltées à l’échelle nationale ? Sariaka a présenté les résultats de son stage lors de la rencontre annuelle Florilèges-Propage, en voici un aperçu !

Plusieurs observatoires de Vigie-Nature proposent des protocoles d’observation des papillons : L’Opération Papillons qui est accessible à toutes et tous, le Suivi Temporel des Rhopalocères de France qui nécessite plus de compétences naturalistes, le protocole Papillon de l’Observatoire Agricole de la Biodiversité à réaliser sur des parcelles agricoles, et le Propage (pour protocole papillon gestionnaire), un suivi adapté pour les gestionnaires d’espaces verts et naturels. Tous ces suivis permettent de répondre à des questions de recherche, mais les deux derniers, récoltant des données sur les papillons et sur la gestion des espaces, ont pour objectif de mesurer l’effet de pratiques agricoles pour l’un et des pratiques de gestion pour l’autre sur la biodiversité. À travers le suivi d’un  groupe particulièrement sensible aux perturbations, les papillons de jour, le Propage est un outil pour évaluer la qualité d’un milieu, le comparer à d’autres sites, et suivre l’évolution de l’impact des pratiques au cours des années.

 

Un suivi pour des analyses à différentes échelles

Sur chaque site suivi par les gestionnaires d’espaces verts et naturels, le Propage permet de considérer la qualité écologique du site à travers l’abondance des papillons et leur diversité. Les résultats obtenus pour une année prennent toutes leurs valeurs lorsqu’ils sont comparés :
- dans le temps, afin de rendre compte de l’évolution des populations de papillons sur le site,
- dans l’espace, afin de mettre en regard ces résultats avec ceux d’autres sites suivis.

Pour un même habitat, les résultats obtenus avec différents modes de gestion constituent un outil d’aide à la décision pour adapter les pratiques à la biodiversité.
Mais on peut également considérer l’ensemble des données récoltées sur le territoire pour réaliser des analyses sur les pratiques de gestion à l’échelle nationale. C’est ce qu’a fait Sariaka Ramialison au cours de son stage de master 2 en mathématiques, spécialité bio-statistique, avec une motivation sans faille : « Il faut savoir que dans une vie antérieure en Guadeloupe, j'avais un grand jardin en permaculture avec des abeilles, des ruches et même un cochon pour le recyclage. Les questions de jardins et de conservation de la biodiversité, ça me parle et j’y suis très sensible ». Analyste de données, elle adore « jouer » avec, mais avant de jouer il faut ranger ! Comme l’explique Benjamin Bergerot qui a co-encadré le stage avec Martin Jeanmougin, lors de la restitution des résultats aux rencontres nationales Florilèges-Propage, « ses résultats ne sont que la partie émergée de l'iceberg : Sariaka a passé beaucoup de temps à curer la base, soit 4/5 du travail et aujourd'hui vous allez voir le cinquième restant, c'est à dire le travail sur les indicateurs. »

 

Trois indices clés : densité, richesse spécifique et indice de Shannon

L’objet de son stage ? Étudier comment 3 indices de biodiversité varient en fonction de pratiques de gestion, pour deux habitats : Les prairies, qui sont des milieux déjà bien étudiés et permettent de confronter les résultats obtenus avec les connaissances actuelles, et les pelouses, qui sont typiques des espaces urbains.

Le premier indice est la densité : Combien de papillons trouve-t-on au mètre carré ? Approximation de l’abondance qui est plus communément utilisé, la densité permet de normaliser les données puisque les transects (parcours d’observation lors des relevés) sont de longueurs différentes. Une densité élevée est une bonne nouvelle : le milieu est accueillant.

Le deuxième indice est la richesse spécifique : Combien d’espèces sont présentes dans les communautés de papillons observées ? Plus il y a de diversité, mieux c’est !

Mais alors que deux communautés peuvent avoir la même densité et la même richesse, elles ne sont pas forcément équivalentes : une communauté peut comporter une espèce dominante… À quel point les espèces sont bien réparties ? C’est là qu’intervient un troisième indice informant sur la structure de la communauté, l’indice de Shannon. Il est d’autant plus élevé que la communauté est équilibrée en termes d’espèces. 

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Toutes ces communautés ont la même densité (8 individus). La communauté la plus à gauche a le plus grand indice de richesse spécifique puisqu'elle comporte plus d'espèce que les autres. L'indice de Shannon est le plus faible pour la communauté la plus à droite car le nombre de papillon par espèces est moins bien réparti que pour les autres.

 

Sariaka a travaillé avec les données récoltées depuis l’ouverture de l’observatoire en 2009, donc pas moins de quinze ans de données ! Il lui a d’abord fallu sélectionner les relevés concernant les milieux choisis pour l’étude, pour lesquels les trois passages annuels avaient été réalisés (permettant d’avoir 80 % de la représentativité des papillons du site), puis exclure les données erronées dues entre autres à des fautes de frappe (pas question de voir 1500 papillons en une fois, ou 50 gazés en un passage !). Ce travail de fourmi abouti, elle a conduit les analyses sur 957 transects pour les prairies et 228 transects pour les pelouses.

 

Moins on fauche, moins on tond, plus on a de papillons !

Pour les prairies, le résultat est sans appel : Quand on fauche une prairie, la densité, la richesse et l’indice de Shannon baissent. Plus il y a de fauches annuelles moins la densité de papillons est importante. De même la richesse spécifique diminue lorsqu’il y a plusieurs fauches en comparaison à une fauche tardive. Il n’apparait pas de différence entre fauche tardive et fauche précoce, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas : les relevés pouvant être fait avant ou après les fauches, ce résultat demande de plus amples investigations et d’affiner les données à relever (comme les dates de fauche).

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Et le pâturage ? S’il n’y a pas d’effet détecté au niveau national sur la richesse spécifique ou l’indice de Shannon, la densité de papillons est en revanche plus importante sur les zones pâturées. Surprenant ? Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cela. Par exemple, on peut y retrouver plus de plantes qui attirent les papillons et qui résistent au pâturage comme les chardons. Pour affiner ce résultat, il faudrait obtenir plus de données sur différents types de pâturage : est-ce des bovins, des caprins, des équins et avec quelle intensité (nombre d’animaux et durée) ?

Du côté des pelouses, on retrouve le même constat que pour les prairies : plus la fréquence de tonte est élevée, plus les indicateurs diminuent. Aucun effet n’a été détecté sur les papillons lorsqu’il y a des plantations d’espèces vivaces ou annuelles. Ce résultat intrigue et là encore, il faudrait intégrer des modalités de gestion plus fines dans la récolte de données.

Si (presque) tous ces résultats semblent logiques, c’est surtout « rassurant dans la mesure où c’est un résultat attendu ». En effet, avant de développer de nouveaux indicateurs, il faut toujours s’assurer que les indicateurs classiques répondent de manière logique, ce qui n’avait pas encore été fait sur le protocole Propage. Le protocole est donc bien fonctionnel !
De plus, ce travail a permis de pointer très clairement les limites du protocole actuel qui vont permettre de l’améliorer à l’avenir.

 

Élargir les horizons !

Durant son stage, Sariaka a également développé un modèle pour mettre en évidence quelles variables influencent le plus les indices dans le cas des prairies ; Des variables locales telles que les caractéristiques des pratiques de gestion, leurs interactions, mais aussi des variables paysagères qui intègrent le type d’habitats autour des transects. Le résultat du modèle montre que parmi toutes les variables sur les pratiques de gestion, c’est le rythme de fauche qui influence le plus les papillons, notamment au niveau de leur densité.

A l’échelle du paysage, et ce résultat n’est pas des moindres, les trois indices sont significativement impactés par les variables paysagères : la densité, la diversité et la structuration de la communauté de papillons dans un site dépendent fortement du paysage alentour, dans un rayon d’un kilomètre jusqu’à 10 kilomètres. Les individus sont plus nombreux, les communautés de papillons sont plus diverses et mieux structurées dans les transects environnés d’espaces naturels et agricoles par rapport aux transects se trouvant dans des espaces urbains et proches de zones dépourvues de végétation. Il s’agit donc d’élargir les horizons, et si la gestion d’un site est très importante pour favoriser les papillons, l’environnement autour joue également un rôle majeur !

Est-ce que certaines espèces communes peuvent-être indicatrices des modalités de gestion ? Oui, car il est aussi possible de regarder non plus comment ces variables influencent les communautés mais comment elles agissent sur les espèces mêmes. Sariaka a travaillé sur l’Amaryllis, le Procris, le Myrtil, le Demi-deuil, le Gazé, et la Belle-dame. Pour toutes ces espèces, la densité est affectée par la fauche, et pour la plupart d’entre elles, la densité est affectée par les variables paysagères dans un rayon de 1 kilomètre.

Au-delà de l’aspect pratique résultant de cette analyse, ce dernier résultat ouvre un autre horizon : des espèces communes peuvent donc servir d’espèces indicatrices. Bien souvent, les espèces considérées comme indicatrices de l’état des milieux sont des espèces spécialistes, inféodées à des habitats très typiques et sont donc peu communes. Pour les papillons de prairie, il en va autrement ! Une espèce peut être commune mais représenter un bon indicateur du milieu.   

 

Finalement, Sariaka conclut la présentation avec ces mots : « Ces résultats prouvent la qualité de vos données, les observations que vous avez relevées correspondent à ce qu'il y a dans la littérature. Il faut continuer. Et je voudrais vous remercier pour votre participation parce que j'adore analyser les données, et vous m’avez donné un super matériau brut. Merci à vous. »

 

HD.

 

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