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Sur la piste du STOC

Sciences participatives

Les indicateurs écologiques sont sollicités pour guider l’action publique… mais comment sont-ils pris en compte ? Des chercheurs ont mené l’enquête en suivant à la trace l’indicateur STOC, qui reflète l’état des populations d’oiseaux en France.

Un des objectifs de Vigie-Nature est l’élaboration d’indicateurs qui rendent compte de l’état de la biodiversité ordinaire. Ces indicateurs sont des chiffres qui renseignent l’évolution de populations, et le programme STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) s’intéresse à celles des oiseaux. Né en 1989, ce programme a donné naissance à un indicateur mis au point au CESCO et rendu public chaque année depuis 2001. Publié cette année dans la Revue française des affaires sociales, l’article « Des connaissances pour l'action ? Rôle des indicateurs de biodiversité entre rationalisation et coordination de l'action publique environnementale »1 a été le fruit d’une investigation sociologique menée en 2022 sur l’utilisation de l’indicateur STOC dans les politiques publiques.

Suffit-il de savoir pour agir ?
La logique dominante veut que l’action soit fondée sur la connaissance. Les scientifiques s’attachent à développer et produire de « bons indicateurs », les experts les valident pour le compte d’agences environnementales et les indicateurs viennent nourrir les politiques publiques. Mais la connaissance suffit-elle ? Des travaux2 semblent indiquer que la qualité des indicateurs est moins importante pour leur prise en compte dans l’action publique que la position et la capacité des personnes à les mobiliser, ou encore du contexte politique. Ce sont ces deux aspects qui ont été investigué autours du STOC. L’enquête, conduite en 2022, a consisté à suivre la trajectoire de l’indicateur du laboratoire au jusqu’aux services administratifs et aux organismes publics en charge des politiques de protection de la nature.

La naissance de l’indicateur STOC
L’indicateur a vu le jour en 2001, soit après 11 ans de collecte de données par le réseau de naturalistes participant qui transmettent la liste d’espèces d’oiseaux et le nombre d’individus vus ou entendus selon le protocole du STOC. Les écologues qui l’ont mis au point ont d’abord buté sur un obstacle conceptuel : Que pourrait traduire une moyenne des estimations d’effectifs englobant toutes les espèces communes ayant des caractéristiques écologiques très différentes ? Ils s’attendaient à ce que la moyenne ne varie pas vraiment d’une année sur l’autre, tirée en partie vers le bas par des espèces qui déclinent et en partie vers le haut par d’autres qui se portent bien. Ce chiffre moyen ne porterait alors pas d’information claire. Pourtant, l’évolution de la moyenne annuelle parle : le déclin des oiseaux communs est bel et bien visible lorsque l’on considère l’ensemble des espèces, et c’est d’autant plus inquiétant.

L’indicateur prend son envol dans la communauté scientifique
A la même époque, l’Agence européenne de l’environnement, qui encourage la création d’indicateurs pour outiller la Commission européenne en termes d’évaluation et de suivi, organise un comité du réseau académique européen à Pragues en 2002 (European Bird Census Committe). Alors que les scientifiques discutent sans résultat de la meilleure manière de produire un indicateur intégré qui fasse sens au point de vue écologique, le directeur de la British Trust for Ornithology propose une approche plus pratique que conceptuelle : Au lieu de chercher des espèces indicatrices idéales dont l’état des populations reflèterait le mieux celles d’autres espèces, il s’agirait plutôt de partir des données existantes pour créer un indicateur. Dans cette perspective l’indicateur STOC a une longueur d’avance, il est alors plébiscité par la communauté scientifique. Depuis les premiers résultats, il est l’objet d’un travail approfondi et continu pour lui assurer une robustesse la plus forte possible du point de vue des écologues et des statisticien.nes.

Ainsi cet indicateur, reposant à la fois sur le dynamisme des réseaux naturalistes locaux et l’investissement des écologues, a acquis une légitimité comme outil de preuve du déclin de la biodiversité, reconnu à la fois par les communautés académiques mais aussi par des collectifs d’acteurs de la protection de la nature.

La validation institutionnelle de l’indicateur
La montée en puissance des enjeux écologiques dans l’agenda politique et économique apparait dans les années 2000 également, avec par exemple l’objectif « stopper l’érosion de la biodiversité à l’horizon 2010 » de l’Union européenne en 2001 ou encore le lancement de la Stratégie Nationale de la biodiversité en 2004. Ces programmes mettent en avant la nécessité de produire des indicateurs afin de mesurer l’impact des politiques publiques. La loi Grenelle de 2009 instaure l’Observatoire National de la Biodiversité (ONB), qui rassemble des indicateurs afin de construire des politiques publiques et de les évaluer. Le STOC fait partie des premiers indicateurs qu’il publie : il se présente alors comme un outil déjà stabilisé, avec une profondeur temporelle notable et doté d’une légitimité scientifique. De plus, le CESCO jouit de la légitimité institutionnelle du Museum national d’Histoire naturelle et est régulièrement saisi pour des expertises par le ministère de l’Environnement. Avec sa mise en place, l’ONB se dote d’un comité d’expertise qui devient son instance la plus importante : pilotes de groupes de travail de l’ONB, représentants de l’Office Français de la Biodiversité et du ministère de l’Écologie, représentants associatifs révisent et valident les indicateurs. Leur travail participe à la légitimation et l’institutionnalisation des indicateurs.

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Taux d'évolution de l'abondance des oiseaux communs spécialistes de l'Hexagone
Les oiseaux spécialistes sont ceux qui sont inféodés à des habitats particuliers. Consulter sur la page de l'ONB pour plus d'informations et de représentations graphiques

La forte légitimité scientifique du STOC, pensé en premier lieu par et pour les chercheurs académiques, a favorisé son adoption comme outil d’information par l’ONB, qui a ensuite permit d’assoir sa légitimité institutionnelle. Mais cet indicateur influence-t-il concrètement le pilotage de l’action publique ?

De l’ONB à l’administration
Du fait de la place importante des chiffres dans la gestion publique, on leur attribut parfois une portée performative : Le simple fait de publier les indicateurs est considéré comme suffisant pour produire des effets. Officiellement l’ONB sert au pilotage de l’action publique et cette perspective suit l’idée que la qualité de l’information et la connaissance garantie la prise en compte de ces chiffres dans l’action publique. Cependant, le ministère de l’Écologie qui est la principale tutelle de l’ONB n’a pas donné de mandat à l’ONB ni pour la transmission ni pour une analyse de l’usage de la plateforme affichant les indicateurs. Autrement dit, il n’y a pas de transmission pensée en vue d’une mobilisation concrète des indicateurs. Il apparait ainsi une fragmentation de l’action publique. La mobilisation concrète des indicateurs reste inconnue, et un découplage entre le rôle formel de l’ONB (assurer l’outillage des politiques environnementales) et le rôle joué en pratique (afficher des indicateurs) se dessine.

Au ministère de l’Écologie
Si la circulation de l’indicateur STOC de l’ONB vers l’administration environnementale n’a pas été observé dans cette recherche, il accède au ministère par une autre voie : Le bureau en charge des connaissances à la Direction de l’Eau et de la Biodiversité (DEB) du ministère de l’Écologie en fait la demande directe au CESCO. Figurant dans des documents transmis au ministère de l’Économie et des Finances, il fait partie des trois indicateurs utilisés pour l’évaluation des actions de la DEB afin de justifier le budget opérationnel de son programme et la demande de financements pour la mise en œuvre des futures actions, négociés avec le ministère du Budget. Ainsi, l’indicateur est mobilisé pour un usage gestionnaire, à savoir évaluer leurs politiques publiques et dimensionner leur budget. Or, cet indicateur de la dynamique globale des populations d’oiseaux reflète l’augmentation ou la réduction des pressions globales liées à l’agriculture intensive et l’urbanisation (causes connues et documentées du déclin des oiseaux) : Le périmètre de l’indicateur dépasse largement le programme d’actions de la DEB, et devrait permettre d’évaluer également l’action des directions ministérielles en charge de l’agriculture et de l’aménagement. Cela reflète la difficulté de conduire une action publique transversale pour que les secteurs à l’origine de la baisse des populations d’oiseaux et de la dégradation des milieux.

Au niveau central le STOC a été adopté comme indicateur d’évaluation du programme du ministère de l’Écologie dans le but de justifier et de rationaliser les moyens alloués à l’administration environnementale. Qu’en est-il dans les instances de mise en œuvre des politiques publiques ?

Dans la mise en œuvre des politiques publiques
L’enquête a été réalisée dans les deux principales administrations en charge de la mise en œuvre des politiques de biodiversité. A l’Office Français de la Biodiversité, qui participe déjà à sa production, aucune utilisation formelle n’a été identifiée au sein des nombreuses activités de l’agence. Quant aux administrations déconcentrées (services eau et biodiversité des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement [DREAL]) la mobilisation d’indicateurs généraux tels que le STOC ou, plus généralement, ceux de l’ONB reste faible. Ils ne servent pas d’évaluation des missions et ne font pas l’objet de procédures spécifiques. Ces indicateurs font office d’éléments de contexte ou de constat dans les formations et les échanges avec les acteurs du territoire. Cela montre que si la production de l’indicateur suppose un important travail, ce dernier n’est pas suffisant et devrait être complété par une réflexion sur sa diffusion.

Dans l’action publique locale 
Au-delà de son utilisation à des fins de sensibilisation, les agent.es ayant une fonction d’instruction des évaluations environnementales mobilisent de manière ponctuelle l’indicateur STOC comme élément de preuve, en tant qu’information fiable. Les enjeux de biodiversité étant différents d’une région à l’autre, ils ont davantage besoin d’outils territorialisés mais cet indicateur leur permet de situer les politiques locales dans le cadre national :
« […] Nous, on voit la partie locale chez nous. Mais en fait, on est une partie de la gestion globale d’une espèce. Donc elle peut très bien se porter chez nous mais être en déclin dans les départements voisins ou dans le reste de la France.  […] dans ce cas-là, on a une responsabilité plus importante encore sur cette espèce  […] Donc, effectivement, avoir parfois un œil un peu plus haut, ça permet de se rendre compte de l’état de conservation de l’espèce » (entretien, agent de l’administration environnementale, 2022).
Aussi, par son caractère intégrateur et surtout par sa double légitimité scientifique et institutionnelle, il peut ponctuellement être mobilisé dans des situations de négociation :
« C’est toujours dans le but de justifier les propos qu’on va tenir en fait, pour avoir une approche argumentée des avis que l’on va émettre. Parce qu’il faut savoir que dans un projet d’aménagement, c’est toujours une bataille de faire comprendre qu’il y a un réel enjeu environnemental » (entretien, agent de l’administration environnementale, 2022).
La mise en réseau plus ou moins formelle des porteurs de cause renforce cet usage de l’indicateur : Les associations de protection de la nature mobilisent le STOC, qui, faisant office de référence commune, participe à structurer des coalitions locales ponctuelles ou pérennes et être ainsi engagé dans des processus de décision.

Sa forte légitimité scientifique lui confère des rôles limités mais non négligeables comme outil de sensibilisation et de formation, de coordination des porteur·ses de causes, et comme ressource mobilisable et mobilisée de manière informelle et discrétionnaire par les agent·es publics dans l’exercice de leurs missions.

Dans leur conclusion, les auteurs notent : Le point important ici est donc de reconnaître que si la légitimité scientifique et institutionnelle de l’indicateur ne suffit pas à l’inscrire formellement dans une logique de pilotage efficace de l’action publique, c’est cette même légitimité qui lui permet de circuler et d’être mobilisé pour défendre la mission environnementale au sein de l’administration. Il est utile de souligner que la portée de l’indicateur interne à l’administration est favorisée par sa forte mobilisation par les associations de protection de l’environnement qui contribuent à l’imposer dans le débat public. Ainsi, l’indicateur STOC, appuyé à la fois sur cette circulation institutionnelle et sur un large réseau d’acteurs naturalistes et associatifs, s’impose dans le paysage et reste à la disposition des acteurs porteurs des enjeux écologiques en capacité de s’en saisir.

HD

notes :

1) BEDESSEM, B., BURNEL, C., FONTAINE, B., & GUILLET, F. (2024). Des connaissances pour l’action ? Rôle des indicateurs de biodiversité entre rationalisation et coordination de l’action publique environnementale. Revue française des affaires sociales, 2024/1, pp. 97-115. https://doi.org/10.3917/rfas.241.0097.
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2) Sébastien L., Bauler T. et Markku L. (2014), « Can Indicators Bridge the Gap between Science and Policy? An Exploration into the (Non)Use and (Non)Influence of Indicators in EU and UK Policy Making », Nature and Culture, vol. 9, n° 3, p. 1 [en ligne] doi: 10.3167/nc.2014.090305

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