Oui les plantes poussent sur la plage. Et pas que sur la dune ! Discrètes, menacées, elles sont indispensables à plusieurs niveaux. Pauline Poisson de notre observatoire Plages vivantes revient sur ces végétaux peu connus. Elle en profite pour nous donner des nouvelles de Plages vivantes et des projets en cours.
La biodiversité des hauts de plage est très exposée depuis deux mois maintenant. On a beaucoup alerté sur les œufs de Gravelots à collier interrompu, pondus à même le sable, et donc directement menacés par les piétons et le nettoyage mécanique. Les grands oubliés restent les végétaux qui semblent pourtant avoir tiré profit du confinement. Comment régissent-ils depuis ?
Avec les beaux jours et le confinement, la vie s'est fortement développée sur les plages. Et, en effet, le pays a soudainement découvert le gravelot, dont les œufs alors pondus à même le sable devaient être protégés de l’afflux soudain de promeneurs. Cette sensibilisation a mis le projecteur sur une espèce peu connue et extrêmement vulnérable, ce qui est extrêmement positif. Mais c’est de tout l’écosystème des hauts de plage qu’il faudrait se préoccuper. Les végétaux ne font pas exception. En Bretagne, une quinzaine d’espèces pionnières poussent discrètement en haut des plages, puisant dans le sable les sels nutritifs issus de la décomposition de la laisse de mer (cadavres d’animaux, algues mortes…). Ces plantes sont annuelles pour la plupart, elles apparaissent au printemps et disparaissent en hiver, aux gré des marées et des pressions humaines. Parmi elles, la bette maritime (Beta vulgaris martima), la roquette de mer (Cakile maritima), des espèces protégées comme l'euphorbe péplis (Euphorbia peplis) et le chou marin (Crambe maritima). Le problème, c’est qu’avant chaque saison estivale les jeunes pousses doivent affronter non seulement les piétinements, mais surtout le ramassage mécanique des plages dont la cribleuse déracine tout ce qui tente de pousser. Pendant le confinement, du fait de l’arrêt total de ces activités, les plantes ont pu recoloniser les plages. Certaines personnes m’ont demandé ce que ce couvert végétal faisait-là. J’en ai vu d’autres arracher des plantes pour déposer leur serviette… Il y a un manque d’information évident.
Alors que ces plantes jouent un rôle fondamental…
Oui, cette végétation des haut de plage joue d’abord un rôle majeur dans la dynamique du trait de côte. L’étendue et la profondeur de leur système racinaire – qui peut parfois atteindre trois mètres de profondeur ! – permet à ces espèces de résister aux gros coefficients de marée, aux tempêtes et aux conditions arides du milieu. Cette assise au sol et leur appareil aérien (tiges, feuilles) qui capte les grains de sable en vol stabilisent ainsi les plages et les « réengraisse ». Ce qui limite l’érosion du littoral. Elles ne sont pas les seules : les plantes dunaires comme le célèbre Oyat des dunes, jouent le même rôle. Mais la roquette de mers, la bette maritime et toutes les autres pionnières sont aussi intégrées à la chaîne trophique de la laisse de mer : après avoir puisé la matière organique décomposée en sous-sol, elles viennent à leur tour abriter des insectes. Insectes dont se nourrissent, entre autres, les oiseaux. Les plantes de nos plages sont donc indispensables. Heureusement de plus en plus de communes en prennent conscience. Aujourd’hui les méthodes douces de nettoyage (ramassage manuel et sélectif) commencent à s’imposer, lorsque cela est possible. A Concarneau par exemple, nous sommes passés de huit plages sur douze, à quatre qui nettoient mécaniquement et seulement en cas d’invasions d’algues vertes ou d’échouage important. Il n’en restera bientôt que trois. Ça avance !
L’observatoire Plages vivantes a été créé il y a deux ans pour suivre la biodiversité de la laisse de mer. Après un premier protocole de suivi des algues (ALAMER), réfléchissez-vous à un protocole de suivi des plantes pionnières ?
Oui c’est une idée sur laquelle nous travaillons. Nous avons beaucoup échangé avec l’équipe Vigie-Flore (suivi de la flore sauvage à Vigie-Nature) et l’association Tela Botanica. Le protocole consistera à identifier les espèces pionnières le long d’un transect (parcours d’échantillonnage) de la première plante la plus proche de la mer en remontant la plage jusqu’au début de la dune. Cela permet de rencontrer différentes espèces en cours de chemin, en commençant par celles qui poussent relativement près de la mer comme la roquette de mer ou l'Arroche des sables (Atriplex laciniata) jusqu’au chardon maritime (Eryngium maritimum) que l'on retrouve lui sur le bourrelet dunaire. Il y a encore un peu de travail, mais une première version devrait voir le jour dans les prochains mois. Un tel suivi permettra à termes de créer des indices d’abondance qui donneront des informations sur l’état écologique des plages. Nous espérons aussi rendre compte de l’évolution des pressions humaines et pourquoi pas mesurer le recul du trait de côte.
Vous avez passé l’année à affiner et à étendre l’application du protocole ALAMER (suivi des algues) ; il y a aussi le protocole "oiseaux", en cours de finalisation… Où en êtes-vous, un an après le lancement officiel de Plages Vivantes ?
J’ai passé le début d’année à animer des formations au protocole ALAMER entre Brest et Saint-Jean-de-Luz pour des associations, des enseignants en collaboration avec des structures fédératrices en animation. Nous nous étendons désormais sur la quasi-totalité de la façade atlantique ! Malheureusement le confinement m’a contraint d’arrêter prématurément les formations. Mais c’était passionnant et fructueux. Nous avons réussi en deux an à mobiliser environ 600 participants, 38 taxons (espèces ou groupes d’espèces) ont été identifiées sur les 39 observables dans le protocole. Des données que les chercheurs Christian Kerbiriou, Isabelle Le Viol et Elisa Aller vont s’empresser d’analyser dès cet été. Ils compareront les algues de la laisse de la laisse de mer avec des données de cartographies d’habitats en pleine mer. Ce qui, nous l’espérons, nous permettra de découvrir les origines, la provenance des algues échouées sur nos plages. Car de nombreuses espèces, celles qui possèdent des flotteurs notamment, peuvent former des radeaux à la surface de l’eau et voyager… on ne sait jusqu’où ! En plus des algues et des plantes pionnières, nous peaufinons le protocole oiseaux (OLAMER) qui devrait être lancé sous peu. Il s’agira, également sur un transect d’une centaine de mètres, d’observer les modes de gestions, les espèces d’algues présentes, les insectes associés et enfin les oiseaux qu 'il faudra identifier et compter : gravelots, bécasseaux, bergeronnette, mouettes etc. Cela semble copieux mais en réalité une dizaine de minutes peuvent suffire en fonction du nombres d’espèces rencontrées.
Et un tout nouveau site !
Oui, il vient d’être mis en ligne. Il contient trois fonctionnalités supplémentaires. On pourra y intégrer des photos d’observations et faire de l’identification collaborative, c’est à dire que les participants pourront commenter, suggérer des réponses aux autres. Sur le même principe que sur le site du Spipoll. Enfin les structures relais auront leur propre page avec une cartographie des structures associées. De quoi bien démarrer l’été !