Le Suivi photographique des insectes pollinisateurs a reçu le prix « Recueil citoyen » décerné par INRAE en lien avec le Ministère en charge de la recherche. Une belle reconnaissance pour les participant.e.s et les équipes animant et coordonnant ce programme.
Programme de sciences participatives qui s’adresse à toutes et tous, le Spipoll a pour but d’étudier les réseaux de pollinisation, c’est à dire les interactions complexes entre plantes et insectes, mais aussi entre les visiteurs des fleurs eux-mêmes.
INRAE, en lien avec le Ministère en charge de la Recherche, décerne chaque année un prix pour récompenser des travaux de recherche menés selon une démarche participative, selon la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 qui prévoit de « reconnaître, valoriser et encourager l’engagement des acteurs de la recherche dans les liens entre science et société ».
Le Spipoll a reçu le prix « Recueil citoyen » récompensant les programmes pour lesquels la collecte et/ou l’interprétation des données sont réalisées par de nombreux amateurs grâce aux possibilités d’action distribuée des plateformes numériques. Une belle reconnaissance pour ce programme qui va bientôt avoir 15 ans !
La cérémonie organisée par INRAE a eu lieu au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ce jeudi 27 juin.
La constitution du dossier a été l’occasion de documenter la genèse et l’évolution du programme, les effets sur la recherche et dans la société. Si la limitation du nombre de pages du dossier n’a pas permis de mettre en valeur toute la richesse du programme en termes d’expérience humaine et scientifique, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une synthèse bien fournie. En voici quelques extraits :
Genèse de la démarche participative
Le Suivi photographique des insectes pollinisateurs (Spipoll) a été lancé au printemps 2010 et peut être vu comme la résultante de trois réflexions de l’époque. Tout d’abord, il existe un manque de données à larges échelles spatiale et temporelle sur les pollinisateurs malgré une inquiétude croissante quant à leur devenir. D’autre part, pallier ce manque de données n’est possible qu’en impliquant des volontaires dans le cadre d’un programme de suivi participatif de type « Recueil citoyen » et celui-ci peut reposer sur des participants néophytes à condition que le protocole d’observation soit adapté. Enfin, la photographie numérique se démocratise, ouvrant ainsi de nouvelles façons d’observer la nature et de partager ses observations.
Ces réflexions menées à partir de 2008 au sein de Vigie-Nature par Romain Julliard, alors Maître de conférences au MNHN spécialiste des suivis participatifs de biodiversité, ont très vite été partagées avec Pascal Dupont, entomologiste passionné travaillant alors à l’OPIE. Ils imaginent ensemble un protocole d’observation standardisé et les outils associés permettant une participation sans compétences préalables. Après 13 années d’existence, le Spipoll compte plus de 75 000 collections (c’est-à-dire sessions d’échantillonnage standardisé) saisies par plus de 4 000 participant.e.s.
Quelles ont été les grandes étapes du projet ?
2009 – création d’outils permettant la participation de tou.te.s : le premier défi – relevé par l’OPIE – a été de regrouper l’ensemble des insectes floricoles de France en taxons non chevauchant les plus précis possible, cela sur la base de critères observables sur photos. Ces taxons et leurs critères d’identification sont intégrés dans une clef d’identification non-dichotomique. Un outil équivalent a été construit pour les plantes. Le deuxième défi – relevé par l’équipe Vigie-Nature – a été de concevoir une plateforme de participation internet, tirant parti de l’utilisation de la photo numérique en donnant à voir les participations de tou.te.s, et permettant aux participant.e.s d’échanger librement par le biais de fils de commentaires autours de leurs observations. L’importance de ce dernier point n’avait pas été anticipé mais s’est révélé clef, favorisant la constitution d’une communauté d’observateur.ice.s.
2012 – première publication scientifique issue de l’exploitation des données.
2013 – premières Rencontres Nationales du Spipoll, regroupant l’équipe projet et une trentaine de volontaires. Ces rencontres sont un succès : le Spipollien (Homo spipolliensis) y a été décrit – "individu affecté par la spipollite" – et il y a été suggéré que "sur présentation d'un certificat médical, [...] la sécu rembourse tous les frais liés à cette affection". Elles seront donc répétées en 2015, 2018, 2019, 2022, et 2023, et 2024.
2014 – premier partage des données pour la réalisation d’un doctorat hors MNHN.
2018 – dans le cadre de l’ANR Headwork, le spipoll est étudié par des chercheur.euse.s en informatique et en sciences humaines et sociales. La chercheuse Ana-Cristina Torres étudie le rôle des échanges en ligne dans la constitution d'une communauté de participant.e.s.
2019 – la validation des données devient participative : de réservée à des experts cooptés submergés par l’afflux de données, elle est maintenant l’affaire de tou.te.s. Seront considérées comme « validées » les identifications confirmées par trois personnes. Cette ouverture de la validation a conduit à une diversification des modes de participation au Spipoll, certain.e.s se spécialisant sur la validation plutôt que la collecte de données.
2020 – une application smartphone est publiée afin de faciliter et étendre la participation.
2023 – une spipollienne de la première heure – Barbara Mai – particulièrement active et impliquée devient Correspondante du Muséum national d’Histoire naturelle.
Certains participants non-chercheurs ont-ils été associés à certaines phases du processus de recherche ? De quelle façon ?
Au lancement du Spipoll, la participation imaginée par les porteurs du projet était restreinte à la collecte et à l’envoi des données, mais très rapidement les participant.e.s ont pris d’autres rôles dans le dispositif. A travers les commentaires, les Spipollien.ne.s ont vite contribué à l’animation de la communauté et à l’aide à l’identification sur photos. L’ouverture de la validation aux participant.e.s en 2019 a permis de formaliser cette pratique de la communauté en proposant un outil adapté.
Lors des rencontres nationales, des ateliers participatifs sont organisés pour travailler à l’amélioration ou la création des outils de participation. A titre d’exemples, en 2015, le forum des fêlés d’insectes5 est imaginé par les Spipolliens et, en 2018, deux journées d’ateliers permettent de définir les fonctionnalités du nouveau site internet.
Enfin, dans ces mêmes rencontres, des présentations des recherches en cours sont effectuées par les chercheur.e.s et étudiant.e.s impliqué.e.s. Comme lors de conférences scientifiques classiques, les questions, remarques et réactions de l’auditoire – ici constitué de Spipolien.ne.s – nourrissent les travaux en cours. Cela a par exemple été particulièrement le cas sur la prise en compte d’un effet observateur dans les modèles statistiques utilisés pour analyser les données.
Quels ont été les apports scientifiques effectifs ?
En accord avec les objectifs initiaux du projet, les variations spatiales observées dans les données ont permis la mise en évidence d’associations macro-écologiques entre des facteurs environnementaux et les communautés d’insectes pollinisateurs. La majorité des articles publiés étudient les réponses des communautés aux changements d’occupation des sols aux échelles nationale ou régionale. Les données des espèces identifiables sur photographie sont intégrées à l’Inventaire National du Patrimoine Naturel et sont utilisées dans le cadre d’objectifs plus spécifiques (par exemple, le suivi de l’expansion géographique de l’abeille exotique Megachile sculpturalis Smith, 1853). Des recherches en sciences humaines et sociales ont également été menées sur les questions liées à la participation. Grâce à la pérennité du Spipoll et à la plateforme d’échange entre Spipolliens que constitue son site internet, la démarche participative (Pourquoi et comment participer ? Quelles conséquences pour les observateurs ?) et les facteurs déterminant le succès de la participation ont fait l’objet de publications scientifiques.
Après déjà quatre thèses de doctorat reposant en partie sur les données du Spipoll, trois autres sont en cours (deux au sein de l'UMR 8079 ESE et une MNHN/Institut Paris Région).
Le Spipoll a contribué à 17 articles scientifiques publiés dans des journaux internationaux avec revue par les pairs. Tant les études sur l’écologie des pollinisateurs (a,b) que sur la démarche participative (d) ou encore les conséquences de la participation pour les participant.e.s (c,e) sont régulièrement citées.
Dans le domaine de l’éducation, des politiques publiques, ou même de l’art : les retombées du Spipoll en dehors de la sphère académique sont multiples.
Le programme promeut les sciences dans l’enseignement du secondaire. Dès 2010, deux ateliers de formation à destination d’enseignants de collèges et lycées ont été dispensés pour réaliser le Spipoll en classe. A partir de 2013, le Spipoll a été intégré dans le dispositif Vigie-Nature École qui permet aux enseignant.e.s de recourir, sur le temps dédié à l’enseignement, aux programmes Vigie-Nature afin d’illustrer différents pans du programme scolaire (214 classes ont participé au Spipoll en France).
Les politiques publiques de préservation de la biodiversité peuvent prendre la forme de Plans nationaux d’actions (PNA). Le premier concernant les pollinisateurs (le PNA « France Terre de Pollinisateurs » 2016-2020) reposait – parmi tout un corpus – sur les résultats scientifiques issues du Spipoll (9 citations). Au sein du second PNA concernant les pollinisateurs (2021-2026), le Spipoll reste identifié comme un programme majeur pour l’acquisition de nouvelles connaissances sur ces insectes (p. ex. indicateurs temporels, réseaux d’interactions, pratiques de gestion à favoriser).
Une exposition présentant une dizaine de collections a été créée et exposée au 17ème festival de la photographie animalière de nature de Montier-en-Der, où elle a été bien reçue par un public curieux de cette forme inhabituelle. Désormais itinérante elle permet de faire découvrir une utilisation originale de la photographie partout en France. Un documentaire sur le Spipoll et les Spipollien.ne.s - Le Trio Amoureux - a été réalisé (Dupont H & Lamoureux M, 2017) et diffusé à de nombreuses reprises sur France 5, Ushuaïa TV, des chaînes des Dom-Tom, la RTBF et des festivals (en sélection au FIFO).
Au final, quelle plus-value de la démarche participative pour les participants non-chercheurs et sur la société souhaiteriez-vous mettre en avant ?
À l’instar d’un article récemment publié dans le Canard Enchaîné, les médias s’emparent du Spipoll et des nombreux organismes qu’il donne à voir – bien au-delà de la très médiatisée abeille mellifère. Ainsi, si les bénéfices pour les participant.e.s en termes de connaissances sont bien établis, nous pouvons imaginer que le Spipoll participe à faire découvrir à la société dans son ensemble ce que sont les insectes pollinisateurs et à susciter de l’émerveillement, un premier pas vers leur protection.
Participez au Spipoll !
HD. et l'équipe du Spipoll
a) Deguines N, Julliard R, de Flores M, Fontaine C (2012) PLoS ONE 7:e45822. https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0045822
b) Deguines N, Julliard R, de Flores M, Fontaine C (2016) Ecol Evol 6:1967–1976. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ece3.2009
c) Deguines N, de Flores M, Loïs G, et al. (2018) Front Ecol Environ 16:202–203. https://esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/fee.1795
d) Serret H, Deguines N, Jang Y, et al (2019) Citiz Sci Theory Pract 4:22. https://theoryandpractice.citizenscienceassociation.org/articles/10.5334/cstp.200
e) Bedessem B, Torres AC, Fontaine C, Deguines N (2022) Biol Conserv 276:109807. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006320722003603?via%3Dihub