Le programme de science participative Lichens GO! incite à se rapprocher des arbres… et observer leur troncs. Une fois devant, vous découvrirez tout un monde, celui des lichens, aussi discret que fascinant. Tout aussi discret, le travail de constitution des protocoles de sciences participatives est peu évoqué. Pourtant, ce que l’on observe et peut en déduire dépend bien de la manière de l’observer. Une illustration avec le protocole de Lichens GO! qui a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Ecological Indicators.
Saviez-vous que les lichens sont des êtres tout à fait exceptionnels ? Si la réponse est négative, je vous renvoie à un article précédent, Lichens, chimères des écorces, pour découvrir pourquoi. Si vous n’avez pas encore cliqué sur le lien, sachez qu’il y est question d’extraterrestres, de soupe islandaise, de ménage à trois et de peinture...
Le programme de science participative Lichens GO! s’intéresse en particulier à leurs sensibilités à la pollution : la plupart en sont affectés, certains s’y adaptent et d’autres en profitent. En apprenant à reconnaître les lichens vous saurez lire la qualité de l’air que vous respirez. Mais avant de courir vous initier à la reconnaissance des lichens autour de chez vous et découvrir leur beauté cachée, munissez d’une loupe pour profiter du spectacle…
Hugo Counoy a sorti la sienne pour ausculter en détail le protocole de Lichens GO! : Dans les coulisses des sciences participatives, la constitution et l’évolution des protocoles est un travail qui n’est pas pris à la légère ! Il y a là un double enjeu : que le protocole puisse être réalisé par le plus grand nombre de participants et que les données récoltées soient bel et bien utilisables pour mener des analyses. En effet, la manière de récolter les données conditionne la fiabilité des analyses qui découlent des observations. La récente publication d’Hugo Counoy et al. dans Ecological Indicators est un bel exemple illustrant que ce que l’on observe dépend de la manière de l’observer !
Le protocole Lichens GO !
Lichens GO! propose de découvrir les lichens poussant sur les arbres en ville afin d’évaluer les niveaux de pollution atmosphérique moyens et de mieux comprendre l’écologie de ces organismes très particuliers. Il est intégré au projet Auprès de mon Arbre porté par l'association Tela Botanica, et au dispositif participatif sur l’environnement urbain, PartiCitaE, porté par Sorbonne Université, dont l’objectif est de construire une connaissance globale et partagée de l’environnement urbain. Il est proposé par Vigie-Nature Ecole pour sensibiliser les plus jeunes à l’observation de la nature et à la qualité de l’air.
Le protocole Lichens GO! consiste à recenser les espèces de lichen sur 3 arbres… Mais pas sur n’importe quels arbres : des arbres bien droits, espacés de 2 à 10 mètres, dont les premières branches sont au moins à 2 mètres de hauteur, et dont les troncs ont une circonférence supérieure à 30 centimètres. Il ne s’agit pas non plus de recenser exhaustivement tous les lichens des racines aux premières branches mais d’identifier les lichens dans quelques zones délimitées à l’aide d’une petite grille, à 1 mètre du sol et sur les 4 « faces » de l’arbres : Nord, Est, Sud, Ouest. Il s’agit d’une version simplifiée du protocole européen de suivi des lichens, qui consiste à recenser complètement les espèces de lichen sur 5 arbres. De 3 à 5 arbres échantillonnés, y a-t-il vraiment une différence sur les données récoltées ? L’espacement entre les arbres est-il un facteur critique ? Recenser les espèces exhaustivement ou sur quelques zones du tronc change la donne ?
Hugo Counoy et ses collaborateurs/trices ont mené des expérimentations pour répondre à ces questions.
De l’importance du nombre d’arbres échantillonnés
Ce facteur est déterminant ! Les résultats de l’analyse montrent que le nombre d’espèces observées est fortement influencé par le nombre d’arbres échantillonnés. En échantillonnant trois arbres, on retrouve 80 % des espèces observées sur cinq arbres. En échantillonnant un unique arbre, le nombre d’espèces diminue fortement puisqu’alors on trouve seulement moins de cinq espèces en moyenne. Dans ce cas, les données sont aussi plus hétérogènes, soit potentiellement moins représentatives de la diversité de lichens. Réduire le nombre d’arbres à échantillonner n’est donc pas une option !
Nuance sur le nombre de faces
Par contre le nombre de faces examinées sur chaque arbre n’a pas eu beaucoup d’impact sur la diversité lichenique observée : La plupart des espèces de lichens se rencontrent en effet sur les quatre faces des arbres. Cependant, ce résultat est à nuancer selon les régions et sites : on peut retrouver des communautés différentes de lichens sur les faces nord et sud du fait de vents dominants... Etes vous bien à l'abri ? et sinon, quel vent souffle dans votre région ? Le mistral, la tramontane, le marin, l'autan ? ou la lombarde, le grec, le levant, le libeccio, le sirocco ?
Une exhaustivité superflue
Toutes les espèces de lichen ne sont pas répertoriées dans la clé d’identification Lichens GO!, et certaines d’entre elles sont regroupées (par exemple, les « autres lichens crustacés »). Ces simplifications ont peu d’influence sur les résultats. La « perte » d’information concerne en moyenne 7 % des espèces. Ce résultat met en évidence que les espèces les plus importantes en milieu urbain sont bien représentées par la clé d’identification Lichens GO!.
Un choix éclairé pour les arbres à échantillonner
Indépendamment du niveau de pollution, la diversité et l’abondance des lichens peuvent varier entre les arbres échantillonnés: on parle alors d’hétérogénéité naturelle. De ce fait, le choix des trois arbres sur un site donné est susceptible d’influencer les résultats obtenus. De plus, deux arbres éloignés ont plus de chance d’héberger des communautés de lichens différentes que des arbres proches. Les données récoltées sont alors supposés être plus hétérogènes. Les auteurs ont analysé l’effet de la distance entre les arbres sur un indicateur de diversité lichénique (LDV, Lichen diversity value). Pour des arbres situés d’un même côté de la route, l’augmentation de la distance maximale entre les arbres impacte relativement peu la diversité et l’abondance des lichens observés.
C’est entre les deux côtés de la route qu’une différence importante de LDV a été mise en évidence ! Dans ce cas précis, les lichens étaient plus abondants en moyenne du côté sud (en rouge sur la figure) que du côté nord (en bleu sur la figure), avec une diversité plus élevée et caractérisée par des espèces acidophiles. La route n’y est pour rien : cette différence est expliquée par la luminosité : le côté nord du site est bordé par un bois qui ombrage les arbres d’alignement tandis que le côté sud est ouvert et directement exposé à la lumière du soleil. Ainsi, la distance entre les arbres a peu d’influence, ce qui compte c’est de choisir 3 arbres se trouvant dans des conditions environnementales homogènes. Pour le protocole de Lichens GO! il serait donc envisageable d’augmenter la distance maximale entre les arbres (actuellement limitée à 10 m). En revanche, le choix éclairé des 3 arbres à échantillonner est tributaire de la lumière : Privilégier autant que possible des arbres en milieu ouvert et dont le tronc est bien éclairé. Dans le cas contraire, la présence de faces ombragées par d'autres arbres, des bâtiments ou autres s’avère être une information importante à considérer pour interpréter les données : N’oubliez pas de l’indiquer dans le relevé !
Doute et identification
Identifier certains lichens n’est pas toujours aisé : les espèces de petites tailles, les lichens présentant une couleur proche de celle de l’écorce ou les individus juvéniles donne du fil à retordre aux observateurs les moins expérimentés. 25 volontaires n’ayant jamais identifié de lichens au préalable ont joué le jeu de l’identification, sous l’œil aguerri d’un expert, pour évaluer les biais dûs à des erreurs d’identification. Comme une mise en abime, cette expérience a permis d’identifier les espèces les plus difficiles à identifier pour les volontaires néophytes (par exemple, Phaeophyscia orbicularis), ainsi que des confusions entre espèces (Candelaria concolor, Xanthoria parietina juvéniles, Candellaria sp.). Ainsi, des améliorations de la clé d’identification Lichens GO! ont été proposées pour faciliter la reconnaissance et limiter les confusions, et une clé en ligne a été développée : vous y trouverez des illustrations de formes peu communes de certaines espèces. Aussi, de nouveaux regroupements d’espèces difficiles à distinguer mais écologiquement similaires (par exemple, espèces des genres Melanohalea et Melanelixia) sont proposés.
Ce qu’en disent les observateurs de lichens ?
Afin d’évaluer l’applicabilité du protocole actuel et la recevabilité de certaines modifications envisagées, une enquête a été menée via un formulaire en ligne. Merci au 45 répondants ! Les réponses de ceux qui ont déjà appliqué le protocole Lichens GO! indiquent que la grande majorité des volontaires n’est pas favorable à une réduction du nombre d’arbres ou du nombre de faces. En revanche, plus de 70 % des volontaires estiment que la clé d’identification contient trop d’espèces de lichens. Il est donc envisagé de mettre en place ultérieurement un protocole simplifié avec moins d’espèces pour inciter davantage de volontaires à appliquer le protocole.
Prête et prêt pour découvrir la beauté dans les formes minuscules et les couleurs nuancées des lichens, aiguiser votre sens de l’observation et du détail ?
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Retrouvez les spécifications plus précises sur le protocole Lichens GO!
Retrouvez la vidéo de présentation du protocole
Lire l’article d’Hugo Counoy et al.