En hiver, alors que beaucoup d’organismes sont au repos, en hibernation, en dormance ou au ralenti, les oiseaux, eux, sont toujours actifs. En tendant l’oreille, on peut les entendre et commencer à les reconnaître peut-être plus facilement que lors du concert printanier et foisonnant. C’est le moment idéal pour se mettre à la reconnaissance acoustique des oiseaux !
L'oiseau "babille", "chante", "gazouille", "pépie", "jabote", "piaille", "piaule", "ramage"... Autant de verbes pour décrire une diversité de sons. Si aujourd'hui on parle plus communément de chant, il existe une grande diversité de vocalisations.
Offrez-vous un bain sonore de vocalisations hivernales !
Pas de frontières pour les oiseaux ! Nombre d’entre eux nichant dans des contrées nordiques et de l’Est viennent passer l’hiver en France, dans des conditions plus douces qu’aux latitudes où ils passent la saison de reproduction. Parmi eux, il y a des espèces comme le pinson du nord, le tarin des aulnes, les grives mauvis et litorne, qui ne se reproduisent pas en France. Et il y a celles (bouvreuils, bruants, pinsons, pipits farlouses,...) dont les populations nicheuses au nord viennent passer l’hiver avec celles nichant dans l’hexagone. Dans tous les cas, leurs vocalisations s’ajoutent alors à celles des oiseaux qui restent toute l’année dans nos régions.
Le SHOC, Suivi Hivernal des Oiseaux Communs, permet de recueillir de précieuses informations pour estimer leurs abondances mais aussi mieux connaître leur écologie hivernale ; les milieux qu’ils fréquentent, les zones sur lesquelles ils trouvent refuge ou les ressources dont ils ont besoin. Les variations spatiales et temporelles de leurs abondances, mises en relation avec des pratiques et usages, ou avec les effets des changements globaux informent sur l’état de santé de leurs populations et sur les paramètres qui les affectent.
Le protocole à réaliser pour participer au SHOC correspond à celui du STOC : sur un site qui vous est attribué, vous sillonnerez des portions de chemins, autrement appelés transects, à l’écoute d’émissions vocales - en cette saison, il s’agit en général des cris de contact ou d’alarme - à identifier.
Un site dédié à l’entrainement de la reconnaissance des chants d’oiseaux qui hivernent en France métropolitaine est désormais en ligne : AcouSHOC est construit sur le même modèle qu’AcouSTOC, il permet de jouer à des quiz pour reconnaître les principales espèces et d’écouter des ambiances matinales à analyser. La différence c’est que les vocalisations que vous y trouverez sont des enregistrements exclusivement réalisés entre octobre et février, pour 59 espèces communes.
Des vocalisations… mais pour dire quoi ?
Ce que les oiseaux ont à nous dire, un ouvrage rédigé par Grégoire Loïs et publié aux éditions du Livre de Poche, est le récit d’un ornithologue passionné, qui a pris la plume pour partager ses connaissances, ses expériences et découvertes. Une porte d’entrée pour plonger dans le monde des vivants à plumes. Et nous vous partageons sans plus attendre quelques extraits d’un chapitre consacré aux vocalisations d’oiseaux : chants, cris de contact, d’alarme, de quémandage…mais probablement bien d’autres fonctions, encore peu connues.
Chanter pour se reproduire et déclarer son territoire
« D’autres oiseaux portent ces notes particulières, presque mélancoliques. Comme le Plongeon imbrin, depuis les côtes d’Islande ou du Groenland et la moitié nord du Néarctique. […] Le Courlis cendré pousse lui aussi des trilles déchirants. Depuis les zones humides de l’Irlande jusqu’à celles bordant le fleuve Amour, il ouvre son long bec fin et démesuré, nous frappant au cœur de ses complaintes. Ces deux espèces, comme le Merle et toutes les autres, chantent l’amour. Ils émettent leurs appels pour véhiculer ce discours commun au vivant, du moins pour les espèces sexuées : trouver un partenaire et faire circuler une partie de ses gènes au cours du temps.
En bref, les hormones sont aux commandes. Le fond est moins poétique que la forme. Les éventuels partenaires et les potentiels concurrents n’y entendent qu’une démonstration de bonne santé, ou du moins d’un patrimoine génétique peu consanguin. Pour les premiers, ça peut être l’assurance d’un engagement à contribuer à l’élevage de la progéniture ; pour les seconds, une mise en garde, voire même une menace, à prétendant qui chercherait à s’octroyer ce territoire ainsi déclaré occupé. Deux raisons majeures bassement utilitaires a priori. »
Les meilleurs chanteurs ont de l’expérience…
« Le Gobemouche noir occupe, outre la péninsule scandinave dans laquelle il est abondant, un territoire morcelé à l’ouest de l’Europe et continu à l’est, vaste, longeant par le nord la frontière du Kazakhstan jusqu’à la pointe de ce dernier, à quinze kilomètres de la Mongolie. […] Son chant est simple et rythmé, alternance de notes sifflées et grinçantes. On pourrait le qualifier denjoué, comme celui d’un joyeux luron, heureux des beaux jours, du débourrement des bourgeons et des frondaisons nouvelles. En 1994, deux chercheurs norvégiens de l’université de Trondheim constatent que la complexité du répertoire de leur chant est proportionnelle à la condition physique, à l’expérience, c’est à dire au nombre de saisons de reproduction et à la qualité du plumage des mâles.
Un an plus tard, deux autres collègues de l’université d’Oslo confrontent des femelles à des mâles d’apparence et d’âges identiques, associés chacun à des émissions enregistrées de chants. Dans sept cas sur douze, les différentes femelles ont commencé à établir un nid chez le mâle auquel était associé le haut-parleur diffusant le chant le plus varié. Autrement dit, la diversité des vocalises de celui-ci lui conditionne son succès reproductif. »
Le chant dans les gènes ?
« Au début des années 2000, des preuves d’une indication du taux de consanguinité au travers du chant sont mises en évidence, que ce soit avec des Serins des Canaries, des Diamants mandarins élevés en cage, ou avec la population sauvage de Bruants chanteurs de la petite île de Mandarte, dans la baie de Vancouver, sur la côte ouest du Canada. Dans chacun de ces cas, on constate que le taux de consanguinité affecte bien la diversité du registre et que la qualité du chant est positivement corrélée à la performance immunitaire.
Les femelles, en conséquence, choisissent de « bons » mâles chanteurs. »
De la diversité des cris
« Outre les mélodies, les oiseaux poussent aussi des cris : celui d’alarme, dont la fonction est d’alerter les congénères de la nature du danger, et souvent interprétés par les autres espèces, voire même les mammifères. Les mésanges en émettent de différents pour les prédateurs aériens et pour les terrestres.
On distingue aussi les cris de cohésion, ou de contacts, émis au sein des groupes : rondes de mésanges, groupes de canards ou d’oies, garantissent l’unité du groupe. Ce sont en général des cris très courts et stéréotypés, que les individus poussent lorsqu’ils se nourrissent par exemple. Une propriété qu’ils partagent avec les cris de vol, poussés notamment durant la migration. Ceux-ci garantissent la cohésion d’oiseaux. Ils sont aussi brefs et standardisés et peuplent les nuits d’août à novembre. Cris de Cailles des blés, de Râles et de Poules d’eau, de petits échassiers, chevaliers et bécasseaux, sifflements étirés de Grives, de Merles, de Rougegorges, de Bruants, roulements brefs d’Alouettes des champs, par les nuits étoilées. Comme une traînée audible de l’activité de migration postnuptiale nocturne de millions d’individus, invisibles à nos yeux. […]
Les derniers types de cris des oiseaux sont ceux de quémandage des poussins et les jeunes oiseaux pour obtenir de la nourriture de leurs parents. »
Un langage plus complexe ?
« Des chercheurs japonais ont démontré au début de ce millénaire que les Mésanges charbonnières de type minor, groupe subspécifique présent dans les îles à l’est des côtes de la Corée, élevées au rang d’espèce sous le nom de Mésange de Chine par certains auteurs, combinent les cris selon les usages, à la manière des syllabes. C’est la première démonstration d’un tel procédé hors du langage humain. Pour le mettre en évidence, les chercheurs ont artificiellement recombiné des cris et les ont soumis à des individus in situ. Selon les combinaisons, les réactions, c’est à dire les interprétations des mésanges, varient.
Une forme de mise en abîme d’un privilège que l’on pensait limité jusqu’alors aux humains. »
HD. et Grégoire Loïs