A l’école Pierre Brossolette d’Argenteuil, ce n’est pas parce que la cour est bitumée qu’on ne peut pas observer la biodiversité ! Juliette Mollet, enseignante depuis 12 ans dans cette école, témoigne d’une aventure collective riche en découvertes et en créations, pour les enseignants et les élèves, mais aussi pour les parents…
« C’est ensemble qu’on y arrive »
Au début Juliette a proposé la labellisation eco-école à ses collègues, et « comme on a une belle équipe, on a tout de suite embrayé, c’était parti ». Ils l’ont obtenu en 2020 sur la thématique des déchets. Obtenir le label d’éco-école est une démarche collective : Enfants, représentés par des éco-délégués pour chaque classe, enseignants, parents et éventuellement parties prenantes de la collectivité se mettent ensemble autour de la table pour établir un constat sur une thématique (déchets, biodiversité, énergie, alimentation…). Ensuite les enfants proposent des mesures pour améliorer la situation constatée. Une fois obtenue la labellisation éco-école sur la problématique des déchets (produire moins et mieux recycler), l’école réitère la démarche avec le thème de la biodiversité.
Au même moment, Juliette entend parler du projet REGREEN, un projet européen sur la transition écologique urbaine, dans lequel Vigie-Nature Ecole (VNE) est impliqué. Le noyau dur est d’accord pour se lancer : « Pour nous c’était parfait, les protocoles de VNE permettaient d’établir le constat sur l’état de la biodiversité, à la fois de recenser les espèces, de quantifier mais aussi d’éduquer adultes et enfants sur la diversité. Il s'agissait d'apprendre à ouvrir les yeux, pour voir par exemple d’autres plantes que les fleurs qui ont été plantées juste pour faire joli ». Mara, doctorante, accompagne l’équipe pour faire l’interface entre l’école, REGREEN et le MNHN, comme pour les 14 autres établissements participants au projet REGREEN.
D’autres idées s’ajoutent au fur et à mesure du projet : faire dessiner les espèces observées par les enfants, réaliser des mosaïques à partir des dessins, puis créer des panneaux informatifs sur la biologie des espèces, mais aussi réaliser des films courts en stop motion… Une fois la dynamique installée et les premières productions engagées, les collègues qui n’étaient pas encore impliqués ont pris le relai. « Ça ne peut pas se faire seul(e). C’est ensemble qu’on y arrive. Les parents aussi ont participé, surtout pour la mosaïque ».
L’art de la mise en place des protocoles par les enseignant.e.s
« Le site internet de VNE est top mais les enseignants qui s’en emparent doivent être prêts à investir sur leur temps ». En effet, ils doivent se former un minimum pour reconnaître les espèces et chercher la bonne organisation pour que ce soit fait dans de bonnes conditions. Pour le protocole Oiseaux des Jardins, il faut être silencieux pendant un certain temps : « pour que 24 enfants restent silencieux pendant 15 min, il a fallu plusieurs semaines. La première fois, on reste silencieux pendant 5 minutes et puis on recommence en augmentant le temps… L’idée géniale de mettre un appareil photo qui se déclenche automatiquement lorsqu’un oiseau vient à la mangeoire a été un super moteur : Les enfants ont pu découvrir qui venait à la mangeoire, mésanges charbonnières et mésanges bleues mais aussi chardonnerets, verdiers… leur diversité ! Cela les a motivés à rester silencieux pour les voir en vrai ».
Il y a des protocoles qui ne sont réalisables qu’en petits groupes, et d’autres, comme pour les vers de terre, qui demandent de la préparation en amont. L’école compte 300 élèves en élémentaire et tous les enfants n’ont pas participé aux protocoles d’observation : « les questions d’organisation ont fait qu’on n’a pas réussi à embarquer tous les collègues pour cette phase du projet. Par contre, les classes qui ont fait les observations ont pu les partager avec les autres, en montrant des photos ». Ainsi l’équipe a déployé des stratégies pour pouvoir mener à bien le constat sur la biodiversité et en faire profiter un maximum d’élèves. Et finalement, ce constat surprend : « On a fait le constat d’une richesse plus grande que celle qu’on pensait découvrir. Les mesures proposées par les enfants pour favoriser la biodiversité, elles, sont assez classiques : mettre des mangeoires et des nichoirs. Ah et une cabane pour le hérisson parce qu’ils en ont vu au passage ! ». Ainsi, l’école a obtenu le label éco-école pour la biodiversité en 2022. Juliette précise que « la dimension sciences participatives a probablement été un plus pour le dossier ».
Et l’expérience VNE du côté des enfants ?
« On est à Argenteuil, beaucoup d’enfants sont complètement urbains ». Juliette explique qu’alors, le simple fait de voir les photos d’oiseaux, puis de les voir en vrai, apprendre le nom de chacun et découvrir leurs différences a été une découverte. « Se rendre compte de la diversité des oiseaux et qu’ils étaient capables de les reconnaitre a été très motivant pour eux ».
Les enseignants voient de nouvelles attitudes : des élèves se mettent près des mangeoires pendant les récréations, contrôlent le niveau de graines, cherchent des oiseaux des yeux. « Même chose pour les arbres qu’on avait identifiés : apprendre qu’ils ont des noms différents, des fruits différents... là aussi on avait l’impression qu’on ouvrait une porte immense vers un monde dont ils n’avaient pas conscience avant. Vous sentez leur plaisir d’utiliser ces mots nouveaux. Beaucoup se sont mis à ramasser et identifier des fruits des platanes, des tilleuls… Dans notre cour bitumée, ça a vraiment apporté un changement. On s’est rendu compte qu’en commençant à connaître, ils se sont mis à regarder autrement. Pour les escargots, j’ai connu des années où les enfants s’amusaient à les ramasser et les lancer. Devant les vers de terre il y avait des réactions de dégoût, certains les écrasait. C’est de moins en moins le cas et il y a des enfants qui les ramassent et les posent à l’abri : On a des comportements qui changent, et c’est très clairement le fait de les avoir observés, d’avoir fait des lectures en classe à ce propos, d’avoir enrichit la démarche avec la découverte du lombricompostage et des sorties en forêt. Et certains disent maintenant « C’est tout doux le ver de terre ». Pour tout ça, VNE est un merveilleux outil. Suite à l’expérience des protocoles à l’école, il y a 3 élèves qui continuent à faire le protocole Oiseaux des Jardins de chez eux. 3 sur 400 c’est peu mais quand même ! »
Découvrir la biodiversité… créer et donner à voir !
Dans la cour de récréation, il y a aujourd’hui des scènes en mosaïque représentant des animaux dessinés par les enfants dans les milieux où ils les ont observés. « On a eu une artiste vraiment extraordinaire, Anne Procoudine Gorsky. Elle a composé les scènes à partir des dessins des enfants et les a accompagnés pour la réalisation ». Toutes les classes, soit 300 enfants y ont participé. La réalisation a duré 2 ans, 6 classes y ont travaillé la première année et toutes les classes ont participé la seconde. Le matériel, la rétribution de l’artiste, tout a été financé grâce à la mairie, au dispositif PACTE et à un financement participatif levé par l’équipe, qui, infatigable, ne s’est pas arrêtée là. « Il y a eu des ratés pour les mosaïques, par exemple, les ailes de la chauves-souris ne vont pas… alors on a voulu compléter par des panneaux, avec des photos pour qu’ils aient des représentations réelles et des informations sur la biologie de tous ces animaux. Les panneaux sont affichés dans la cour, et comme les élèves passent 5 ans en école élémentaire, moyennant un peu d’animation en utilisant les panneaux, ils devraient arriver au collège avec une petite culture nature ! ».
Et de fil en aiguille, une autre idée a germé : Et si un personnage d’une mosaïque sortait de la mosaïque et vivait une petite aventure avant d’y retourner ? Quatre classes se sont lancées dans la réalisation de courts films en stop motion à partir des dessins des élèves, en choisissant chacune son personnage, chauve-souris, ver de terre...
« Le MNHN a invité les éco-délégués à présenter leurs résultats à des élèves d’autres écoles, et ils sont revenus hyper fiers. Le MNHN et VNE apportent une reconnaissance qui est importante pour la motivation. Les parents aussi sont fiers de savoir que leur petite école de quartier travaille avec un Museum qui est reconnu. Plus on est nombreux autours des enfants, plus on les motive ». Fin juin, était organisée une inauguration de la mosaïque et du label obtenu pendant laquelle les enfants ont présenté les actions menées, à leurs familles, la mairie, tous les partenaires.
Peu avant l’inauguration, je reçois des nouvelles de Juliette : « Les panneaux sont fixés et nous organisons des quizz quotidiens dans les classes pour inciter les élèves à aller régulièrement les consulter ! »
Un témoignage comme celui de Juliette fait palpiter Vigie-Nature, dont l’équipe salue et remercie chaleureusement l’équipe qui a porté le projet, et toutes les personnes qui y ont participé.