Pourquoi dans les milieux urbains certains végétaux s'assemblent et d’autres non ? Une récente étude réalisée par Anna Kondratyeva et ses collaborateurs apporte un nouvel éclairage sur les mécanismes complexes qui régissent les communautés des plantes urbaines. Des résultats obtenus notamment à partir des données Vigie-Flore collectées en Île-de-France.
Comment avez-vous étudié les effets de l’urbanisation sur les communautés de plantes ?
Imaginons que la ville soit une barrière à franchir, une suite de filtres qui ne vont laisser passer que certaines espèces. Ces filtres sont représentés par des conditions environnementales spécifies des zones urbaines (ilots de chaleur, sol imperméabilisé, etc.) et des espèces déjà présentes sur place. C'est une des questions que je me suis posée durant ma thèse, et plus particulièrement dans cette étude : comment ces filtres urbains opèrent-t-ils ? Pour éclairer cette vaste problématique largement étudié en écologie des communautés nous avons utilisé une nouvelle mesure de la biodiversité : l’originalité des espèces. Une espèce est dite originale si elle est très différente des autres espèces qui l’entourent, de par sa plus grande taille par exemple ou sa dépendance à un pollinisateur très particulier. La mesure de l’originalité a ainsi permis d’identifier les traits qui permettent à certaines plantes de passer les filtres de l’urbanisation et de survivre dans les villes.
Nous avons étudié 586 espèces de plantes herbacées de la région Île-de-France, la plus urbanisée du pays. Une partie provient des relevés des Vigie-Floristes depuis le début du programme (2009-2017), une autre des collègues du Conservatoire Botanique National du Bassin Parisien (CBNBP). Pour chacune de ces espèces, nous avons choisi 11 traits biologiques (des traits fonctionnels) connus pour être impliqués dans la dispersion, l'installation et la reproduction de plantes. Parmi eux, le type de pollinisation, le mode de dispersion de graines, ou encore la période de floraison. A partir de ces traits nous avons comparé les plantes entre elles, et mesuré leur originalité respective. Puis nous avons regardé comment le degré d'urbanisation (la densité du bâti) influence cette originalité.
Qu’avez-vous avez constaté ?
Les données des participants nous ont d’abord confirmé un fait bien établi, que la richesse des espèces est plus importante à mesure que l’on s’approche des villes. En effet les températures y sont plus élevées, les sols plus riches en engrais. Certaines plantes s’échappent également des jardins et viennent se mêler aux sauvages. D’après nos résultats, l'originalité de certaines espèces augmente aussi avec l’urbanisation. Plusieurs explications à cela. A grande échelle, d’abord, celle du paysage, l’urbanisation offre une plus grande diversité d’habitats disponibles, permettant la cohabitation d’espèces variées. Celles-ci vont alors présenter des traits distincts, car adaptés à leur niche, à leur situation. Si on zoome à l’échelle locale, celle de la communauté, on perçoit un phénomène complémentaire : la compétition limite l’installation d’espèces qui se ressemblent trop, donc les moins originales. Tout simplement pour éviter qu'elles ne se marchent dessus, si l’on peut dire, que les unes empiètent sur les ressources des autres.
Quelles sont les caractéristiques de ces plantes originales qui s’épanouissent en ville ?
Grâce à cette étude nous avons identifié les caractéristiques de ces espèces originales qui s’installent en ville, comme les Vergerettes (Erigeron) ou la Passerage des décombres (Lepidium ruderale) (1). Parmi leurs traits originaux, on retrouve ceux des plantes urbanophiles, bien décrits dans de précédentes études : pollinisation par le vent en absence de pollinisateurs animaux, grande taille en raison des sols pollués par l’engrais et une floraison précoce et longue à cause des températures plus élevées.
Même si les espèces plutôt urbanoneutre et généralistes comme le pissenlit (Taraxacum sect. Ruderalia) ou le Paturin annuel (Poa annua) composent la majeure partie du cortège floristique urbain, les espèces urbanophiles et spécialistes des milieux urbains, moins fréquentes, pourraient ainsi potentiellement assurer des fonctions irremplaçables dans les écosystèmes des villes. Cela reste à démontrer. De futures recherches devront justement aider à mieux identifier leur rôle et évaluer leur éventuelle vulnérabilité.