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Sauvages de ma rue : « La base de données permet de répondre à de nombreuses questions scientifiques »

Sciences participatives

 

Depuis 10 ans les noms de plantes s’accumulent dans la base de données. 2700 participants ont rapporté pas moins de 2400 taxons observés sur le chemin du travail, de l’école, en face de la maison, en vacances. Si chercheurs, doctorants et stagiaires travaillent depuis des années sur ces relevés, et après avoir obtenu quelques résultats d’analyses notables, il est temps de faire le point. De savoir où nous en sommes en ce printemps 2022. Que valent vraiment les données ? Que peut-on espérer d’elles dans l’avenir ? Une mission confiée à Nathan Haine, stagiaire en Master 1 Biodiversté Ecologie Evolution à l'université Paris-Saclay. Ce botaniste amateur nous dit tout de cette base unique en son genre et scientifiquement prometteuse.

 

Sauvages de ma rue ©  vigie-nature

Pissenlit en fleur à Paris

 

Vigie-Nature : Tu entreprends un grand « ménage de printemps » de la base de données pour ses dix ans. Pour quelle raison ?

Nathan : Il est important de faire le bilan de tout ce qui a été envoyé depuis 10 ans, pour mieux connaitre cette base foisonnante mais aussi pour savoir ce que nous pouvons exploiter à l’intérieur. Ceci permettra de faciliter le travail des chercheurs. Ils pourront savoir ce qu’il est possible d’analyser en allant directement à l’essentiel. Pour le moment, mon travail consiste, en effet, à faire un gros nettoyage avec le logiciel R studio, un classique des classiques dans le domaine. Les participants ne se rendent pas toujours compte des volumes : dix ans de collecte c’est plus de 100 000 entrées, chacune correspondant à une plante identifiée par un auteur. Cela fait environ 1500 espèces différentes ! Sans compter toutes les autres informations associées (localisation, information sur la rue, etc.) C’est gigantesque. Je ne vous fais pas de dessin, l’interface est aride, rien de très sexy. Imaginez simplement un tableau Excel avec des dizaines de milliers de lignes. Rien de plus. Mais là-dedans se cachent des informations uniques sur la flore de nos rues. Il faut simplement savoir comment et où les extraire.

Qu’est-ce qui rend la base si opaque ?

Il y a un certain nombre de blocages qu’il est indispensable de lever pour analyser correctement les données. Il est par exemple difficile de savoir si une ville remontant un très grand nombre d’espèces possède une réelle richesse spécifique ou si cela est dû à la présence d’un grand nombre d’observateurs, ou encore de quelques observateurs très assidus. C’est le cas de la ville de Roanne, qui détient le record de données enregistrées en France. Une ville rurale avec potentiellement une nature épanouie. Donc rien d’irréaliste a priori. Sauf qu’on s’est rendu compte qu’une association naturaliste très active avec de nombreux participants utilisait le même compte pour transmettre quantité de données. Les « Sauvages du roannais » ont documenté la flore urbaine de manière admirable dans leur ville. Et leurs données sont extrêmement précieuses. Encore faut-il que nous apprenions à les lire correctement. A séparer la diversité et l’abondance liées aux qualités intrinsèques des rues de celles qui dépendent de la pression d’observation.

Maîtriser ces biais liés aux observateurs semble une priorité…

Oui. On manque clairement d’informations sur les participants et leur profil. Je peux chercher qui se cache derrière de grosses séries de données, s’il s’agît d’une association comme à Roanne, d’un botaniste connu dans le milieu en faisant quelques recherches sur internet. En revanche il est impossible de faire ce type de recherches sur tous les petits contributeurs, ceux qui envoient entre 10 et 50 données. On a donc beaucoup de mal à connaître le nombre d’observateurs derrière la plupart des comptes, à avoir une idée de la fréquence d’observation mais aussi le niveau. Le fait qu’il y ait des néophytes et des botanistes expérimentés parmi les participants complique la lecture des données. Ces derniers vont par exemple nous fournir le nom de la sous-espèce d’une plante. C’est intéressant sur le plan de l’inventaire mais à grande échelle on ne peut pas en faire grand-chose, les mentions sont souvent trop rares. Une de mes tâches consiste donc à retirer les sous-espèces qui ne nous intéressent pas (pour l’instant) afin d’y voir plus clair.

sauvages de ma rue carte

Depuis 10 ans, 2700 participants ont rapporté 2400 taxons observés sur le chemin du travail, de l’école, en face de la maison, en vacances.

 

Pour en apprendre davantage sur les observateurs vous leur avez envoyé un formulaire à remplir. Qu’en attendez-vous ?

Ce formulaire à destination des participants permettra de savoir de quelle manière ils contribuent à Sauvages de ma rue. Nous leur avons demandé s’ils participaient au nom d’une association, avec plusieurs personnes ou tout seul ; s’ils rencontraient des difficultés pour identifier certains critères, et pour suivre tout simplement le protocole. Imaginons qu’on apprenne que 20% d’entre eux admettent ne pas faire de relevés exhaustifs de la rue – ce qui est impératif -, cela va nous donner une idée de la quantité de données issues d’un strict suivi du protocole. Nous allons ainsi en apprendre davantage sur la qualité des données. Pour l’instant, difficile de savoir quel est le taux d’erreurs même si des reproductions d’expérience ont montré que certaines espèces sont souvent confondues avec d’autres, comme le pissenlit avec les diverses astéracées à fleurs jaunes. Quelques espèces peuvent même être oubliées, car très discrètes ou difficilement reconnaissables. Ce formulaire va enfin nous aider à savoir ce qui motive réellement les gens. Et le cas échéant, ce qui les conduit à arrêter. Ce qui leur plait, leur déplait. Et le regard qu’ils portent sur la flore urbaine.

Que peut-on attendre de la base de données ?

Insistons sur le fait que j’ai la chance de travailler sur une base de donnée exceptionnelle, unique en son genre, en tout cas à ma connaissance, qui peut potentiellement documenter de multiples phénomènes. Avec dix ans de recul on pourrait suivre l’évolution des rues au cours du temps, en lien avec les différentes gestions, avec les changement plus globaux comme le réchauffement climatique. Or il y a énormément de paramètres qui jouent sur la variation de ces données. Tout l’enjeu est de pouvoir identifier ceux qui nous intéressent sans être gêné par les biais.  Nous avons déjà réussi à identifier des phénomènes intéressants, comme les gradients urbains. Plus on s’approche des centres-villes, moins on retrouve d’espèces différentes, celles qui restent ayant comme caractéristiques de préférer les températures plus élevées. Pour aller plus loin, outre l’exclusion des biais, nous devons diminuer les disparités à travers le pays. Certaines villes, régions sont très échantillonnées par rapport à d’autres. C’est un autre blocage pour l’analyse. Reste que le potentiel est immense. Sauvages de ma rue permet de répondre à des centaines de questions d’écologie, de botanique et même de sciences sociales avec les informations sur les participants. Si la participation augmente et s’homogénéise on peut s’attendre à de belles retombées scientifiques.

As-tu des conseils à donner aux participants ?

J’en ai deux principaux. D’abord ne pas chercher à faire trop au début. Il vaut mieux faire moins mais faire mieux. Si j’échantillonne une rue de 50 mètres, je vais au bout des 50 mètres, quitte à ne faire qu’un des côtés et le préciser. Ce caractère exhaustif des relevés est très important. Trop de participants passent à côté de certaines espèces. Deux : garder le même pseudo pour saisir toutes ses données personnelles. Cela pour éviter les biais. Et enfin, n’hésitez pas à participer en vacances. Il y a des lacunes en juillet et en août qu’il faut combler. Ces sont des mois où il est très facile de participer même s’il y a moins de fleurs. Voici pour les conseils. Je tiens tout de même à féliciter les participants aux non de toute l’équipe qui ont fait un excellent travail pendant une décennie. Et qui m’en ont offert un. Merci à vous !

 

 

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