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Sauvegarde des pollinisateurs : les pouvoirs de la photo

Sciences participatives

 

En se focalisant sur l’abeille domestique, les efforts déployés par la société pour sauver les pollinisateurs sont insuffisants​​. Une « abeille mania » qui en dit long sur notre méconnaissance de ces indispensables insectes. Selon les chercheurs du Muséum, les sciences participatives seraient un bon moyen d’y remédier. 

 

En cette belle journée de printemps, la prairie bouillonne de vie. Abeilles, bourdons, papillons, scarabées : ils sont tous là, virevoltant, bourdonnant entre les hautes berces fleuries. Albert s’avance doucement dans la végétation. L’œil collé à son viseur, il ne doit pas trembler. Le moindre geste brusque et l’animal détalerait en un clin d’œil. Lorsque la bête s’immobilise enfin, Albert presse le bouton… « Je l’ai eue ! » se rassure-t-il devant son petit écran. A quelques mètres, Aline, Juliette et une dizaine de « chasseur » de tous âges s’amusent, comme lui, à tirer des portraits. Tantôt penchés ou accroupis, parfois en équilibre à travers les tiges : pas question de rater un seul insecte ! A la fin de la session, le tableau de chasse photographique est impressionnant : des dizaines de spécimens différents immortalisés… Pour certains d’entre eux, il est encore impossible de leur attribuer un nom.

Ces photographes amateurs se sont réunis le temps d’un week-end pour s’adonner à leur passion : le SPIPOLL, le Suivi Photographique des insectes POLLlinisateurs, un programme de science participative créé en 2010 par le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Dans son jardin, dans un parc, au bord d’une route, le protocole consiste à choisir, n’importe où, une espèce de fleurs et à photographier tous les insectes qui viennent les visiter. Ce, pendant 20 minutes exactement. Une fois publiées sur le site du programme, les images vont alimenter une base de données exploitées par les scientifiques. « Toutes ces données nous permettent de faire des suivis d’espèces dans le temps et à travers l’ensemble du territoire. De plus, à partir d’un protocole simple et ludique, les participants découvrent toute la diversité des insectes pollinisateurs. » explique Colin Fontaine, l'un des chercheurs du Muséum à analyser les miliers de photographies envoyées par les « spipolliens ». 

 « Abeille-mania »

S’il y a bien une espèce qu’Albert, Aline et Juliette reconnaissent immédiatement c’est l’abeille domestique, Apis mellifera. Pas étonnant : nous entretenons avec « la mouche à miel » une proximité depuis la nuit des temps. Mais sa mortalité inquiétante l’a récemment propulsé sur le devant de la scène. Cette année fût particulièrement tragique. Rien qu’en Bretagne « 20.000 colonies d'abeilles sont mortes cet hiver » annonçait l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) au mois de juin dernier lors d’une manifestation appelant le gouvernement à réagir face à ces « mortalités désastreuses ». Et cela ne date pas d’hier. Il y a vingt ans déjà, les apiculteurs alertaient sur le Syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles. Pesticides (néonicotinoïdes), diminution des ressources florales, parasites (Varoas), espèces invasives (Frelon asiatique) : ce cocktail morbide décime encore et toujours les ruches.

Aujourd’hui la société semble avoir pris la mesure de la situation. Relayés par les médias, les associations, jusqu’aux pouvoirs publics, les appels à « sauver les abeilles » se multiplient. Apis mellifera rejoint le cercle symbolique des « espèces porte drapeau » ainsi nomées par les écologues, à l’instar des Panda géants et des éléphants d’Afrique. Des victimes stars en somme, qui incarnent à elles seules la disparition des espèces, et portent sur leurs frêles épaules toute l’attention du public. Partout, des actions de conservation se mettent en place. Dans les métropoles, il n’est pas un bâtiment public, un parc, une ferme urbaine qui ne possède aujourd’hui sa propre colonie d’abeilles. Actuellement plus de 700 ruches trônent sur les toits de Paris. De leur côté les entreprises affichent leur soutien à la cause environnementale en arborant fièrement leurs nouvelles recrues. Du loisir branché au « green washing », l’abeille a fini par devenir malgré elle une véritable caution écolo. Un business. Tout le monde, à sa manière, sincèrement ou opportunément, vole à son secours.

ruches_paris ©  Charlotte DUMAS

Actuellement plus de 700 ruches trônent sur les toits de Paris

L’arbre qui cache la forêt de pollinisateurs

Vouloir sauver les abeilles domestiques, l’intention est louable. Mais au-delà de l’espèce en soi, et d’un secteur professionnel aux abois, c’est souvent le « pollinisateur » qu’on prétend vouloir sauvegarder. Or, de quoi parle-t-on ? Le scientifique Joes Wilson et ses collègues de l’université de Tooele (Utah) sont allés interroger près de 1 500 étudiants américains afin de sonder leur connaissance de ce qu’on appelle « les abeilles ». Résultat, si 99% d’entre eux sont conscients de leur « importance », seulement 14% pouvaient dire à peu près combien il existe d’espèces. Les réponses oscillaient autour de 50 (nombre médian) alors que cet immense pays en contient pas moins de… 4 000 ! En France, on dénombre près de 1000 espèces d'abeilles. La plupart d’entre elles sont sauvages, solitaires et ne produisent pas de miel. « En plus des abeilles, il y a 250 espèces de papillons, et un nombre inconnu mais vraisemblablement très important de papillons de nuits, mouches, guêpes, coléoptères qui visitent les fleurs et contribuent à la pollinisation » ajoute Colin Fontaine. A voir le « rush des ruches » auquel on assiste, tout porte à croire qu’un sondage réalisé en France révèlerait une ignorance similaire dans la population.

D'après les chiffres de l'ONU, sur les 100 espèces végétales qui fournissent 90% de la nourriture dans le monde, 70% dépendent des pollinisateurs. Ce service écologique est en réalité assuré par des milliers d’insectes volants dont l’abeille domestique n’est qu’un représentant parmi d’autres. De plus, les abeilles sauvages auraient une capacité de pollinisation 30 fois supérieure à l’abeille domestique ! « De récentes études ont montré que les pollinisateurs non abeilles (mouches, papillons etc.) contribuent autant à la pollinisation des cultures, précise Colin Fontaine. Ces derniers emportent moins de pollen après passage sur une fleur, mais cela est compensé par un plus grand nombre de visite. »

Or, si Apis melifera tire la langue, les autres ne s’en sortent sûrement pas mieux , en témoigne l’étude allemande de 2017 qui faisait état d’une disparition de 70% des insectes volants en 30 ans. « Globalement tous les pollinisateurs sont affectés par les changements globaux » prévient le chercheur.

Le pouvoir des sciences participatives

Cette méconnaissance de la population explique, selon Wilson, l’écart entre les actions portées exclusivement sur l’abeille domestique et les efforts de conservation dont tous les pollinisateurs devraient profiter. Car aussi bonnes que soient les intentions, l’explosion des ruches pourrait s’avérer sinon insuffisante au pire contreproductive. « Il semblerait que les abeilles domestiques peuvent concurrencer les abeilles sauvages pour l’accession aux ressources alimentaires dans les régions où les ressources florales sont peu abondantes,ou dans celle qui connaissent une forte densité de ruches » admet Colin Fontaine.

L’appel de Wilson à sensibiliser les citoyens à la diversité des pollinisateurs a tout de suite interpellé les scientifiques de ce côté-ci de l’Atlantique. Pour Nicolas Deguines, chercheur au Muséum de Paris, une des réponses se trouverait dans les sciences participatives. En passant à la loupe les pratiques d’Albert, Aline et Juliette et de tous les participants au SPIPOLL, il s’est en effet aperçu que la pratique favorise la reconnaissance des insectes, et ce de manière spectaculaire !

« On demande rarement d’identifier l’espèce, car souvent la photo ne permet pas de le savoir, pour cela nous avons classé les pollinisateurs en 630 groupes taxonomiques différents » précise Nicolas Deguines qui a participé à la conception du protocole. Ainsi, « la progression des spipolliens, même novices, est extrêmement rapide. La probabilité d'identification correcte de l’abeille domestique atteint 95% après 25 photographies postées sur le site. Plus surprenant, pour les mouches, on passe de 67 % lors de l’initiation à près de 90 % au bout de 150 photographies.»

Le secret ? D’abord le processus-même d’identification des insectes. Avec le SPIPOLL, nul recours à une quelconque reconnaissance automatique d’image. Pour chaque photo d’insecte publiée sur le site, il faut passer par un exercice d’observation minutieuse des caractères : forme des ailes, de l’abdomen, couleur etc. Caractères qu’on vous demande de choisir entre une succession de propositions, avant de découvrir, au bout de quelques étapes, le nom tant attendu. Si ce nom est exact, les entomologistes de l’Opie (Office pour les insectes et leur environnement) valident enfin le choix du participant. 

journées_spipoll_2013 © mevanno

les spipolliens en action lors des rencontres nationales

Addiction

« Observer en gros plan tous ces détails, cette complexité pour reconnaître les insectes devient addictif » confie Juliette. Pouvoir mettre un nom sur la petite bête que l’on observe est une récompense qui pousse à recommencer la manip’. La fidélité des participants tient également à cette communauté de « spipolliens », des passionnés qui échangent, discutent, débattent parfois sur un forum interactif. Ils peuvent commenter les choix de leurs coéquipiers, les approuver ou les réfuter. Se crée une émulation qui pousse tout le monde à en connaître davantage. Quel que soit son niveau en entomologie. « Moi-même je continue de découvrir des pollinisateurs, concède Nicolas Deguines. Comme cette Sésie, observé dans une friche récemment. Ce papillon ressemble à s’y méprendre à une guêpe ! »

Résultat des courses : la pratique du Spipoll se ressent dans les pratiques quotidiennes. Albert, par exemple, construit des « hôtel à abeilles sauvage » chez lui en Provence. Tous ont acquis des réflexes dont profitent l’ensemble des pollinisateurs : planter une diversité de plantes dans le jardin, laisser des jachères et des terrains nus pour offrir des nichoirs aux abeilles sauvages… Des ruches ? Ils n’en ont pas. Un constat qui ne surprend pas Colin Fontaine : « une étude a déjà révélé que les participants à un autre programme de science participative « Opération papillon » adoptent de bien meilleurs réflexes de conservation que le reste de la population. » Généralement, il n’y a pas photo.

 

Pour participer au Spipoll et aider la recherche, rendez-vous sur la page de l'observatoire.
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