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Sciences participatives : Comment (ne pas) échouer ?

Sciences participatives

Y a-t-il une recette miracle pour faire en sorte qu’un programme de science participative naisse, se développe et s’épanouisse ? Probablement pas, mais il y a des pièges à éviter. « Citizen Science in Practice :How not to Fail? » ou en français « Sciences participatives : Comment (ne pas) échouer ? » est le titre d’un article qui soulève un aspect peu souvent abordé lorsque l’on parle de sciences participatives.

Pour faire un programme de science participative, de nombreux ingrédients sont nécessaires : un point de départ, souvent une question de recherche, la mobilisation de partenaires, la co-construction d’un protocole, la recherche de financements, la co-conception d’outils de communication, de supports, de modalités de participation, la mise en œuvre du programme, la production de données avec la gestion de bases de données, la valorisation, publication et médiation des résultats auprès de parties prenantes différentes et de la communauté scientifique…. Porter un programme de science participative est loin d’être un long fleuve tranquille et chaque étape demande de faire des choix qui peuvent être remis en cause. Des mauvais choix et des erreurs ? Peut-être mais pas toujours… L’erreur serait de mettre les difficultés sous le tapis et de ne pas tirer de leçons des expériences traversées. Les auteur·ices de l’article se sont attelés à la tâche. Au-delà de choix non éclairés, se dessine une autre lecture : les difficultés rencontrées sont bien souvent inhérentes à ce type de programme et les écueils transitoires sont porteurs de transformations.

Laure Turcati, ingénieure de recherche à Sorbonne Université sur les sciences et recherches participatives, et première autrice de la publication, se présente comme portant « 2 grandes casquettes ». Elle  coordonne PartiCitaE, un observatoire participatif de l'environnement urbain, et co-anime avec Alexandra Villarroel-Parada du Muséum national d’Histoire naturelle, Science Ensemble, un réseau qui rassemble les porteurs et porteuses de projets de sciences et recherches participatives de l'Alliance Sorbonne Université. Elle répond à nos questions.

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Laure Turcati

Le titre de l’article traduit une forme de fragilité, de difficulté à ne pas « échouer » pour un programme de science participative. Il est rare de rendre compte des écueils et d’en faire une publication, comment l’idée d’écrire cet article est-elle née ?

L'idée de cet article vient, je pense, de la rencontre de ces 2 casquettes ! Le portail Science Ensemble présente les projets du réseau et a vu le jour fin 2019. Alexandra et moi avons choisi de proposer des ateliers réguliers d’échanges de pratiques pour animer le réseau.  Le premier s’est déroulé la semaine avant le confinement et nous avons fait le point sur ce qui ressortait de toutes les réunions qui avaient préfigurées à la naissance de ce portail. Ces réunions avaient permis à des personnes de disciplines diverses de se rencontrer et de réaliser qu’au-delà des différences entre les projets, nous avions des problématiques communes et que l’on se confrontait à des questions similaires. Il y avait donc quelque chose à creuser pour s'aider les uns les autres et faire face aux difficultés que l’on rencontre.  Nous avions envie d’aller plus loin mais d’éviter que l'atelier ne se transforme en groupe de parole alors nous avons pensé à un écrit. Un écrit que l’on aurait aimé avoir pu lire avant de se lancer dans nos projets, construit à partir de nos expériences et qui puisse prévenir des écueils.
Nous avons commencé à travailler pendant le confinement en explorant les difficultés rencontrées par chacune et chacun. D'autres thématiques sont venues, en particulier la question de l’évaluation des projets. On rencontre bien souvent des difficultés parce que nos projets sont mal compris et donc mal évalués, lorsque l’on répond à un appel à projet pour obtenir des financements. Par exemple nous avions besoin de pourvoir un poste à temps plein pour un projet afin d'animer une communauté de participant·es en raison de la technicité du protocole qui impliquait l’usage de capteurs. Il fallait pouvoir leur apprendre à s’en servir, gérer des ressources supplémentaires en cas de pannes etc. Le retour que j’ai eu était qu’un mi-temps serait suffisant et que les scientifiques impliqués pouvaient s’occuper du reste... Ce qui n’est pas du tout évident !  
Les évaluations sont aussi réductrices lorsqu’elles se basent sur « combien il y a de participants et combien de données sont produites ? » avec l’idée de « le plus c’est le mieux ». C’est sûr que cela indique des choses mais cela dépend vraiment des programmes ! Par exemple pour l’observatoire Vigie-Ciel, une météorite qui est recueillie après sa chute, c'est une seule donnée mais elle va produire énormément de connaissances scientifiques et c'est un événement majeur pour le programme. En termes de nombre de données pour l’évaluation, il n’y en a eu que 3 depuis le début. Ce chiffre ne reflète pas du tout l’importance de ce qui a été obtenu grâce à ce programme.
Donc nous avons beaucoup travaillé sur l’évaluation tous et toutes ensemble et puis nous avons constitué un groupe plus restreint avec les personnes motivées pour nous recentrer sur les difficultés rencontrées en dehors de l’évaluation, à partir de 11 projets qui sont cités en exemple dans l’article.

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Une séance de travail. De gauche à droite, Alice Millour, Renaud Debailly et Asma Steinhausser. © Laure Turcati

Quelles sont les grands types de difficultés rencontrées par les porteuses et porteurs de projet ?

L’exploration des difficultés rencontrées sur les différents programmes nous a conduit à en dégager 3 grands types : celles qui viennent d’erreurs, celles qui sont inhérentes aux projets de sciences et recherches participatives et celles qui appellent à transformer le projet. Les erreurs, ça va être par exemple d’ouvrir des pages sur tous les réseaux sociaux dès le lancement du programme pour se faire connaître sans avoir les ressources humaines derrière : ça ne sert à rien parce que personne ne regarde une page qui n’est pas active et cela génère du stress pour la personne qui est supposée le faire parce qu'elle n’a pas le temps.

Ensuite il y a les difficultés qui sont inhérentes à ce type de programme, qui vont advenir quoi qu'il arrive même si l’on s'est préparé. Elles viennent du fait que les projets de sciences participatives sont évolutifs et plastiques, et que quand on les lance, on a toujours des présupposés. On est obligé de faire des hypothèses comme « Les personnes qui vont s'impliquer vont aimer faire ci ou ça » ou alors « tel réseau social c'est la meilleure façon de toucher le public qui sera intéressé ». Et puis en fait cela s'avère être faux. Ou alors on pense que le protocole (consignes pour participer, ndlr) était clair mais non, il faut le revoir. Ce type de difficultés se présentent forcément et demandent de rebondir. Et puis après, il y a des volontaires qui se lassent, ou des partenaires qui partent ou qui ne peuvent plus assurer l’animation car ils ont moins de financement. D’autres qui arrivent. Tous les projets sont dynamiques, il n’y a rien de figé et toujours besoin de s'ajuster, et parfois ce sont des moments difficiles pour le projet. Il faut être souple et être attentif aux nouvelles opportunités qui se présentent, être toujours en dialogue avec les partenaires et les participant·e·s.

Le troisième type de difficulté regroupe celles qui ont changé le projet, complètement ou non, mais qui ont ouvert de nouveaux horizons. Par exemple, un projet en linguistique qui s’appelait « recettes de grammaire » porté par Alice Millour pendant sa thèse, consistait à ce que des volontaires annotent des textes en alsacien. Elle leur fournissait des corpus mais il s'est avéré qu’il y avait plus de subtilités orthographiques et de régionalisme à l'intérieur de l'Alsace, donc les volontaires étaient un peu déroutés car ils et elles étaient face à des dialectes qui ne correspondaient pas à ceux qu’ils et elles connaissaient. Elle a donc changé le procédé en leur demandant d’écrire leurs propres recettes avec leur propre dialecte.  

L’article met en évidence un aspect des sciences participatives qui est peu abordé par ailleurs. Quelle pourrait-être la suite, est-ce qu’il y existe des espaces de discussion pour les porteuses et porteurs de projets qui leur permettent d’échanger sur leurs difficultés ?   

Dans la conclusion, nous revendiquons ce droit à l'erreur qui provient du caractère très dynamique et plastique des projets. Des fois il faut revoir le projet et ceci ne constitue pas un échec. Nous invitons les autres porteurs et porteuses à partager leurs difficultés parce que plus nous nous sentirons libres d’en parler hors d’un cercle restreint, plus il y aura d’échanges autour de solutions. Parler de ses difficultés et de comment on les a résolues aidera les autres. Il n'existe pas de plateforme pour ce type d’échange mais l’article, publié sous forme d’essai, est un appel à ce que d’autres personnes écrivent leurs expériences pour partager. L’écriture d’un article étant engageant, cela peut-être partagé dans d’autres espaces comme les colloques, séminaires, des évènements qui rassemblent des acteurs des sciences participatives. J’avais par exemple présenté nos réflexions à l’ECSA (European Citizen Science Association). En 2023, nous avions animé un atelier avec Anne Dozières aux Rencontres nationales Sciences Participatives Biodiversité. Avec Woolclap, les participant·e·s pouvaient partager anonymement leurs difficultés et témoigner s’ils le voulaient. Cela avait bien marché et beaucoup plu !

 

HD
 
Pour aller plus loin :
L’article, publié dans la revue Citizen Science, theory and practice, est en libre accès ici :  Citizen Science in Practice: How (not) to Fail?

Les 11 projets desquels ont été tirés les expériences : Recettes de grammaire, Vigie-Terre, Vigie-Ciel, Spipoll, Opération Papillons, Vigie-Nature École, OAB (suivi vers de terre), 50 000 observations pour la forêt, HOH, Lichens Go.

L’article met en exergue des idées reçues sur les sciences participatives qui y sont invalidées.
- Simplifier la manière de récolter les données va permettre une grande participation.
- Investir dans le contrôle d’erreurs garantie la qualité des données.
- Un programme de science participative se résume à des interactions entre volontaires et scientifiques.
- Partager les mêmes objectifs avec les parties prenantes est une condition nécessaire et suffisante pour une collaboration fructueuse.
- La mise en œuvre d'un projet de sciences participatives peut s'effectuer sur le même laps de temps qu'un projet de recherche universitaire.
- La question de l'obsolescence des outils sera résolue au fur et à mesure de l'avancement du projet.
- Dans les sciences participatives, les experts sont remplacés par des citoyens.
- Les sciences participatives se font à moindre coût.

 

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