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Se mettre à l'écoute de la pluralité des existences

Sciences participatives

Mélodie Faury est arrivée au Muséum national d'Histoire naturelle en février dernier pour occuper la chaire « Recherche sur les sciences participatives : rôles et modalités transformatrices ». Pour mieux comprendre son travail, une petite présentation s’impose !

Tout d’abord, commençons par un texte. Un extrait de celui qu’elle a écrit pour le magazine « Savoir(s) » 1 de l’Université de Strasbourg, avant de quitter cette université pour venir au MNHN.  

« Faire partie du monde : de l'écoute à la relation. 
Se mettre à l'écoute. 
Le 18 janvier, Janvier 2024 dans sa conférence inaugurale au Collège de France pour la chaire annuelle Biodiversité et écosystèmes, Emmanuelle Porcher nous parle de l'extinction de l'expérience, plus spécifiquement au sujet des oiseaux : « Nous les voyons, nous les entendons, mais nous ne les regardons et nous ne les écoutons plus ». Elle soutient les sciences participatives menées par vigie Nature en tant que dispositif relationnel où il est possible de se reconnecter au vivant, par l'émotion et la transformation des individus, au contact de l'environnement qui les entoure. Ces pratiques de coconstruction de connaissances pour l'évaluation des différentes réponses de la biodiversité aux changements globaux, sur l'ensemble du territoire contribuent à nos connaissances et perspectives en termes d'action à entreprendre, si tant est que les pouvoirs publics se mettent à l'écoute des données obtenues.
Toujours au sujet de notre relation aux oiseaux, Vinciane Despret nous confie dans Habiter en oiseaux (2019) comment elle se met à l'écoute du chant du merle, elle se rend disponible aux importances qui tissent l'existence d'un autre être – d’un autre être : elle le fait compter, se laisse toucher, affecter, met son existence un instant - ou plus durablement en alliance avec la sienne. Elle se prête à une expérience sensible où ce ne sont plus seulement ses attachements à elle qui priment. Si elle se rend attentive autrement, quels récits, quels savoirs deviennent possibles ? L'interdépendance qui nous constitue comme vivants, dans l'infraordinaire comme dans le systémique, est investie par Vinciane Despret comme une relation à laquelle se rendre présente. L'interdépendance passe à travers nous, elle nous agit et nous pouvons choisir de la considérer, d'entrer en conversation avec ce qui nous constitue. De changer de mode relationnel.
 »

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Mélodie Faury © MNHN - J. Dalgaard

 

Après ce préambule, mettons-nous à l’écoute de Mélodie. Quel cheminement t’a conduit à cette chaire ?  

J’ai été formée en biologie moléculaire et cellulaire puis en sciences humaines et sociales. Ma thèse partait d’une question : « que signifie être scientifique ? », et j'ai accompagné ces cinq dernières années le développement des sciences participatives à l'Université de Strasbourg. J'ai été chercheuse aux archives Henri Poincaré en lien avec mes recherches liées à la réflexivité et aux questions sciences-société. Ce qui m'intéresse, c'est d'aller voir au plus près des pratiques dans le quotidien, ce qui nous agit en situation, comment sont mobilisés des rapports au savoir et aux sciences, comment nous rentrons en relation dans le contexte de la production ou de la mise en circulation de connaissances. Peut-être connaissez-vous différentes formes de vulgarisation, de médiation des sciences, par l'écrit ou par l'oral : nous pouvons penser à Ma thèse en 180 secondes par exemple, à des expositions... Il y a une multitude de manières de mobiliser les connaissances scientifiques pour faire lien avec les publics, les parties prenantes, les contributeurs – selon la manière dont nous choisissons de la nommer, mais aussi une multitude de manières de faire lien avec les sciences. Chacun de ces dispositifs crée un mode relationnel particulier. Et la question que je me pose c’est notamment celle du type de rapport aux sciences et aux savoirs que l’on propose à travers ces dispositifs.

Entre 2012 et 2018, j'ai aussi dirigé une structure qui s'appelle la Maison pour la science en Alsace, en partenariat avec l'Académie des sciences et la fondation La main à la pâte. Il s'agissait de créer les conditions de collaboration pour des enseignants et des chercheurs au bénéfice de l’enseignement des sciences à l'école. « Comment peut-on rendre les élèves actifs de leur apprentissage par la démarche d'investigation ? » Dans cette expérience-là, nous avons appris à construire un projet en commun et à prendre soin en commun de quelque chose. En l’occurrence du projet, et de sa manière de faire sens pour chacune et chacun. Nous y tenions toutes et tous pour des raisons et selon des engagements différents, qui permettaient au projet de tenir et de se développer. Et cela devient pour moi une question centrale « A quoi tenons-nous ? De quoi prenons-nous soin collectivement ? De quel bien commun ? ».  

Quelle est la question de recherche centrale que tu souhaites développer dans cette chaire ?

Une question centrale est celle de la transformation : « à quelles conditions est-on transformé par les sciences participatives ? ». Le « on » se réfère à toutes les parties prenantes. Autrement dit, dans un collectif composé de singularités, comment créons-nous la possibilité de prendre soin en commun de quelque chose ? C’est une manière d’interroger les pratiques de recherches participatives à partir de la question des biens communs 2.

Dans le cadre de la mise en place du Labo Citoyen à Strasbourg, nous avons beaucoup réfléchi aux conditions de la rencontre autour d'un projet qui n'est pas pensé a priori seulement par les scientifiques ou seulement par la société civile. Peut-on créer un lieu tiers pour la rencontre et pour la co-élaboration d’un projet qui soit le projet de toutes et tous, et non seulement des uns ou des autres. Peut-on faire d’un projet un bien commun et l’objet de collaboration à chacune de ses étapes ? Inspirées et formées à la démarche des Nouveaux commanditaires soutenue par la Fondation de France, et grâce à l’accompagnement de la coopérative de recherche l’Atelier des jours à venir, nous avons porté notre attention sur les conditions d’émergence des projets, les manières de se rencontrer, de formuler la question, de manière qu’elle reste une question commune à toutes les étapes, et ne devienne pas « qu’une question scientifique » ou « qu’une question sociale ». Cela demande du temps, des conditions matérielles favorables, notamment via des lieux de rencontres, et une méthodologie adaptée à chaque étape jusqu’à l’atterrissage. Et une attention à la singularité de chaque collectif composite.

 

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Les grande étapes d'un projet de sciences participative (collectif Science Ensemble) : Où est-ce qu’il y a quelque chose dont il s’agit de prendre soin en commun dans nos recherches participatives, et comment cela nous transforme-t-il ?

Ainsi il y a des conditions à explorer au niveau du dispositif de science participative pour qu’il soit et reste de l’ordre du commun. Qu’en est-il des transformations ?    

Selon moi nous devons travailler à changer nos paradigmes de communication, pour sortir du modèle déficitaire dans la médiation des savoirs 3 , qui suppose (tacitement ou non) que les savoirs scientifiques priment en valeurs sur d’autres registres de savoirs, voir que les savoirs préalables des publics n’existent pas. Changer de mode relationnel passe notamment par la reconnaissance de ces savoirs, dans leur intérêt et leur dignité, et par le dialogue entre différents registres de savoir.

Un projet de sciences participatives ne tire pas sa valeur uniquement de son registre scientifique. Il intègre aussi ce qui importe aux parties prenantes concernés par d’autres enjeux (sociaux, éthiques, professionnels, etc.). La science participative n’est pas centrée sur la production de publications, ce n’est pas son principal enjeu à l’échelle collective et systémique : il s’agit de contribuer à une réponse à ce qui nous arrive, qui passe notamment par la recherche académique, mais pas uniquement. Nous visons des transformations pour mieux protéger la biodiversité, répondre aux changements environnementaux, prévenir des crises sanitaires, etc. Nous cherchons des transformations via ces pratiques participatives, et elles transforment en même temps nos pratiques de recherche, voire nos rapports aux sciences.

Derrière cette question de transformation, il y a la question de l'empowerment (liée à la puissance d'agir et à l’agency) : a-t-on nourri notre capacité de réponse collective ? A-t-on mobilisé des ressources pour répondre à la problématique ayant initié la recherche participative ? A-t-on répondu à notre préoccupation de départ, ancrée dans des enjeux scientifiques, politiques, sociaux, économiques ? L’intention de départ, c’est ce dont il s’agit de prendre soin, reliée aux motivations à l’engagement des parties prenantes, ce qui mobilise l’envie de se rejoindre, de faire ensemble, dans un espace tiers et commun. Il y a un enjeu central à maintenir l’objectif de transformation systémique d’un bout à l’autre du projet de sciences participatives. 

Prendre soin de l’intention de départ est donc une condition pour qu’il y ait transformation. En expliquant ta question de recherche, tu parlais des singularités, peux-tu développer ce sujet ?

Nous confondons souvent le « bien commun », avec « ce que nous avons en commun » - comme un « dénominateur commun ».  Pour moi, et suivant le travail d’Elinor Ostrom, Christian Laval et de Maria Puig della Bellacasa, il s’agit de « ce dont nous prenons soin en commun ». C’est une définition plus dynamique qui part de nos singularités et nos situations respectives, nos manières de nous relier au monde, nos attachements. Pour Christian Laval qui a travaillé sur les communs (au sens des commons), la façon moderne de « faire communauté » ne vise pas à, je cite, réactiver la communauté close fondée sur l'identité des semblables, nostalgie à la source de toutes les révolutions conservatrices, mais à réactualiser la conception d'une société de coopérateurs citoyens, fondée sur la mise en commun des singularités. Pour moi c'est central. Nous sommes toutes et tous à des « coordonnées » différentes, pour reprendre une expression de Marc Jahjah. Chacune et chacun habite le monde depuis un lieu précis, à partir d’un vécu, d’intersections et de lignes. A partir de là, comment le soin d’un bien commun nous permet-il de nous rejoindre, de faire collectif à partir de nos singularités situées ?
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas parfois se relier à partir d’expériences communes, pour les nommer, reprendre confiance dans les savoirs issus de l’expérience. L’approche croisée du care et des commons nous ouvre des horizons pour répondre à ce qui nous arrive collectivement. Les approches focalisées sur l’identité, les frontières et la cristallisation des différences viennent renforcer à mon sens l’importance de partir des localités pour nous rejoindre et prendre soin en commun de ce qui importe pour une terre habitable. Les travaux d'Elinor Ostrom, qui ont donné lieu à un prix Nobel en 2009, montrent comment des gouvernances particulières et locales, aux règles précises et dynamiques, peuvent entretenir les biens communs.
Les expériences participatives tentent de mobiliser des ressources au service du bien commun et en mobilisant les savoirs comme des biens communs au service de la transformation, pour retrouver une puissance d’agir. Il s’agit à mon sens de ne pas oublier cet horizon en cours de route du fait des pressions et des contraintes qui pèsent parfois sur la mise en œuvre concrète de ces pratiques (évaluation de la recherche, conditions matérielles, compétition pour l’obtentions des financements, temporalités des projets, choix des indicateurs, etc) .

HD et Mélodie Faury

Notes

1 – Retrouvez le texte en intégralité dans la revue Savoir(s)  ou sur Hypothèses, avec un autre développement : Rhapsodies – Appartenir au tissu du monde, en rejoindre les chants

2 – le concept des biens communs sur Wikipedia. Dans le texte, ils réfèrent au sens donné par Elinor Ostrom : https://blog.mondediplo.net/2012-06-15-Elinor-Ostrom-ou-la-reinvention-des-biens-communs

3 – BROSSARD et LEWENSTEIN (2010) rapportent que le modèle déficitaire (alias le deficit model, encore appelé public understanding of science model) s’est progressivement élaboré depuis le XIX° siècle, sur la base d’un présupposé : le grand public manque cruellement de connaissances en matière de science. Cette inculture scientifique quasi généralisée poserait problème puisque, dans les démocraties techniques, la science est vue à la fois comme facteur de développement et outil d’émancipation intellectuel (W EIGOLD, 2001).
Définition du modèle déficitaire tiré de Les modèles de communication publique des sciences : paradigmes, problèmes, enjeux, Guillaume Laigle https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00949571v1/file/Laigle_Guillaume_-_Les_modeles_de_communication_publique_des_sciences.pdf

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