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Serge, compteur d'oiseaux

Sciences participatives

 

Pour le comptage national des oiseaux des jardins, je me suis rendu chez Serge, un participant amateur. Reconnaissance en plein vol, mémoire d'éléphant, remarquable coup de crayon : ce passionné m'a bluffé durant toute l'heure de comptage
 
 
"Là ! Un accenteur mouchet qui sort du rosier ! C'est un prudent, regarde, il s'approche de la mangeoire au sol comme une souris craintive." Après un instant d'attente, en voilà un, puis quatre, puis cinq ! Ca y est, ils se lancent enfin les uns après les autres. "Les oiseaux arrivent souvent en rafale, comme ça, me lance Serge. Maintenant à nous d'être attentifs". Puis, je distingue un sourir se dessiner sur son visage, les yeux toujours collés à ses petites jumelles : " Voilà des chardonnerets ! Ce n'est pas tous les jours, quel cadeau!
 

Tour de contrôle

 
Nous sommes chez Serge, dans une petite maison d'un quartier pavillonnaire de Meaux en Seine-et-Marne. Il fait une dizaine de degrés dehors ; le ciel est gris. Cela fait dix minutes maintenant qu'il a démarré son comptage, au chaud devant la fenêtre de son bureau. Nous pouvons ainsi admirer le ballet des oiseaux en toute discrétion : une "tour de contrôle" idéale pour cet ancien steward à la retraite. Ce week-end, le dernier de janvier, a lieu comme chaque année le comptage national des oiseaux des jardins, un rendez-vous que mon hôte n'aurait manqué pour aucun prétexte. Le principe est simple : pendant une heure, il faut compter tous les oiseaux qui se présentent dans son jardin, avant d'entrer ses chiffres, par espèces, sur le site de l'observatoire "Oiseaux des jardins". Les données permettent aux chercheurs du Muséum national d'Histoire naturelle de suivre les populations d'oiseaux partout en France. Ce samedi midi, malgré un thermomètre relativement clément, les volatiles, en quête de calories pour l'hiver, sont au rendez-vous. Serge répond à mes questions tout en maintenant l'oeil rivé sur la scène de repas qui se déroule à quelques mètres de nous. Visiblement, il ne veut en rater aucun. 
 
oiseaux_jardins © hugo_struna
 
Serge en plein comptage dans sa "tour de contrôle"
 
 
 
Ailes d'acier contre ailes de plume
 
Il y a deux ans, après avoir quitté son poste chez Air France, le tout jeune retraité s'est pris de passion pour les oiseaux. "J'ai toujours été attiré par tout ce qui vole. Aujourd'hui, j'ai troqué des ailes d'acier contre des ailes de plume" me confie-t-il. Comme ses avions naguère, il retrouve ses oiseaux le matin, les quitte le soir. Ses journées sont rythmées par de fréquents coups d'oeil sur son petit coin de jardin où il a soigneusement installé quelques "pistes d'atterrissage" : deux mangeoires et quatre boules suspendues à un sureau. Autour, un épais rosier grimpant sur la courbure d'une arche en bois. Un endroit idéal et manifestement très apprécié des passereaux du coin. Outre les deux grands comptages annuels - l'un en janvier, l'autre au mois de mai - le programme Oiseaux des jardins permet de faire autant de comptages qu'on le souhaite, en choisissant la durée et cela tout au long de l'année. "Il y a deux ans, lorsque j'ai commencé à compter les oiseaux, je ne connaissais presque rien, m'avoue-t-il. Je comptais les mésanges bleues, les charbonnières, les rouge-gorges, c'est à peu près tout." Il commence alors à s'imposer un rythme : deux comptages par semaine d'une demi-heure, en fin de matinée, ou en fin de journée où l'activité est la plus forte. 
 
Reconnaissance en plein vol
 
Mais une fois tombée dedans, le passe-temps se transforme en hobby. Et même davantage : " Rapidement, je me suis mis à m'informer sur internet, c'est ainsi que j'ai découvert le site Oiseaux de France. Puis on m'a offert mon premier livre. Tout doucement, crescendo, c'est devenu une véritable passion." Aujourd'hui, ses oiseaux, ils les connaît par coeur ; plus besoin de réfléchir, ni de se référer aux plaquettes pédagogiques mises à disposition par Oiseaux des jardins. " Je me rends encore beaucoup sur la page du site pour regarder les photos que publient les autres participants. Cela habitue mon œil aux différents oiseaux. Et puis j'enregistre. Le serin cini, par exemple, je ne l'ai jamais vu. Mais le jour où il arrive dans mon jardin, je peux l'identifier très rapidement ; je l'ai dans la tête !" La pratique lui a permis, non seulement de reconnaître presque tous les oiseaux qui se présentent sur ses mangeoires, mais de les reconnaître... au vol ! "Certes, avant qu'ils se posent, je ne fais pas encore la différence entre un pinson mâle et un pinson femelle, entre une mésange bleue et une mésange charbonnière. Mais selon leur façon d'arriver dans mon jardin, j'arrive en général à déterminer l'espèce." Certains comportements sont, en effet, très typiques : il y a les "rase- pelouses" - pinsons, accenteurs, grimpereaux - qui picorent les graines restées au sol. D'autres sont plus "aériens", et atterrissent directement sur les mangeoires ou les boules de graisse comme les mésanges. Chacun sa route, chacun son chemin.
 
oiseaux_jardins © hugo_struna
 
Un chardonneret élégant 
 
 
"Je compte tout de tête"
 
Cela fait déjà une demi-heure que nous comptons les oiseaux qui affluent maintenant en nombre. Serge garde les mains sur ses jumelles, les portes parfois à ses yeux pour identifier l'espèce ou simplement profiter du spectacle de plus près. Mais au fait, où en sommes-nous ? "J'ai compté pour l'instant 4 mésanges charbonnières, 4 mésanges bleues, 2 pinsons, 6 chardonnerets et un accenteur m'annonce-t-il."  Du tac au tac ! Pourtant, ni crayons, ni carnet de notes... Les six premiers mois, il faisait des petite barres sur une feuille pour chaque individus. "Aujourd'hui, je n'ai plus besoin de support, me répond-il fièrement. Je compte tout de tête ". C'est dans cette concentration que Serge va tirer tous les bénéfices personnels du comptage d'oiseaux. "Je coupe le téléphone, j'éteints mon ordinateur, et je me plonge dans le comptage : cela m'apporte un grand calme, une certaine sérénité. J'évacue ainsi la totalité de mes soucis." Qu'en pense Brigitte, sa femme, qui nous a rejoint discrètement ? Sans partager la passion de son mari, elle dit la respecter. Mais difficile d'y rester complètement hermétique. "J'arrive, maintenant, à reconnaître les différents oiseaux à force d'en entendre parler, avoue-t-elle tout sourire avant de s'éclipser.
 
Coup de crayon
 
Au bout d'une heure, s'achève l'exercice. Serge quitte le bureau et revient avec un petit cahier dans les mains. C'est ici que se poursuit sa passion, dans quelque chose de plus personnel. "Après chaque comptage ou sortie, je prends une heure pour remplir ce cahier. J'y reporte mes chiffres. J'y ajoute aussi des informations sur la météo du jour, le tout accompagné d'un dessin d'oiseau qui m'a marqué." Chaque page est soigneusement annotée, les croquis dans la marge apportent vie et couleurs : un vrai petit "carnet de terrain" qui n'a rien à envier à celui d'un naturaliste. Après incursion dans son "jardin personnel", comme il le nomme, il rallume son ordinateur et saisit les chiffres du comptage. Un très bon jour ! Tout le monde était au rendez-vous. Et cerise sur le gâteau : chardonnerets, mésanges à longues queues ont partagé le repas du jour, ce qui aux dires de Serges est assez rare. À croire qu'elles ont été averties de ma venue... 
 
oiseaux_jardins © hugo_struna

Son petit carnet de terrain où il note ses observations et dessine une espèce 

 
 
Mésange, hulotte et merle à plastron
 
Cette année, Serge ne fait plus qu'un seul comptage hebdomadaire. Mais avec une régularité de métronome. Une rigueur qui lui permet de suivre les espèces de son jardin. Il connaît les habitués, qui ont leur "rond de serviette" à la mangeoire : mésanges, rouges gorges, sittelles, moineaux, verdiers... "Je peux dire en revanche, que je n'ai jamais vu de gros-becs alors qu'ils foisonnent en ce moment dans les jardins. Quant aux moineaux, ils sont en train de disparaître..." Il faut dire que le jardin de Serge à été, lui aussi, victime d'aménagements qui réduisent tristement les habitats des oiseaux "Nous avions un bois dernière chez nous. Il y avait des petites chouettes hulottes que nous entendions toutes les nuits. Un hibou, également, vivait là. Un jour, pour des raisons de sol instable, ils ont tout rasé. Et depuis : plus rien." Seuls, se montrent parfois quelques oiseaux forestiers, geais, grimpereaux, pics verts, mais qui n'osent s'aventurer dans sa zone de comptage, de l'autre côté de la maison, trop proche pour eux de la route et des maisons. Heureusement, il lui arrive d'avoir de belles surprises au hasard d'un comptage. L'année dernière, un merle s'est posé dans son jardin avec une étrange tâche blanche. Du jamais-vu. "Je suis allé faire une sortie ornithologique quelques jours plus tard et lorsque j'ai montré la photo de l'oiseau aux encadrants, ils m'ont appris que c'était un merle à plastron, un migrateur originaire des montagnes. Il est probablement venu se reposer dans mon jardin avant de repartir."
 
"On passe du petit au plus gros"
 
Desormais notre amateur participe, en plus de ses comptages, à des sorties dans une zone marécageuse à Meaux. "On va faire du nettoyage dans les roselières, on coupe les aulnes et les saules pour maintenir les habitats des oiseaux, pour qu'ils continuent à nicher". Comme il le dit lui-même "on passe du petit au plus gros" : une fois qu'on connaît les oiseaux de son jardin, on a envie d'aller plus loin, de s'investir davantage. Si les activité de comptage des Oiseaux des jardins lui ont fait découvrir un monde fascinant, Serge me confie être un peu frustré, parfois, de ne pas pouvoir échanger avec d'autres particpants. "On ne se connaît pas vraiment, c'est dommage". Il partage tout de même sa passion avec ses quatre petits enfants. "Au départ, lorsqu'ils me voyaient compter les oiseaux, ils se demandaient ce que je pouvais bien faire... Aujourd'hui, le plus grand, celui de 9 ans, m'aide à compter et commence même à reconnaître les espèces." Il le sait, cette petite expérience qu'il leur offre peut faire germer un intérêt et une sensibilité pour la nature. 
 
Les oiseaux s'enfuient à une vitesse éclair au moment où je pose le pied dehors. Je quitte ainsi Serge, qui s'en retourne à ses dessins. Avec un comptage aussi riche, les idées ne manqueront pas. Sûrement un moyen aussi, pour cet ancien steward, de poursuivre ses voyages. 
 
Hugo.
 
 
Comme Serge, comptez les oiseaux avec le programme Oiseaux des jardin, porté par le Muséum et la LPO. Plus d'information ICI.
 
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