Est-ce que poser des micros sur le territoire pourrait constituer un nouveau mode de suivi de la biodiversité ? Captant de nombreuses informations, qui sont analysées par des algorithmes toujours plus performants, ce moyen permettrait d’établir des cartes de diversité et d’acquérir des données sur la pollution sonore. C’est le pari de Sonosylva, qui a intégré Vigie-Nature et est présenté dans cet article.
Suivre la biodiversité terrestre dans les forêts protégées
Le suivi de la biodiversité est l’objet même des observatoires participatifs de Vigie-Nature. Si les inventaires sont utiles pour répertorier les espèces, les suivis permettent quant à eux d’estimer si les populations déclinent, sont stables ou augmentent, à quel rythme, et de réaliser des études sur les facteurs à l’origine de ces fluctuations.
De nombreux programmes de Vigie-Nature sont aujourd’hui intégrés dans le schéma directeur de la surveillance de la biodiversité terrestre, élaboré par l’Office Français de la Biodiversité et publié au Bulletin officiel du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires en janvier dernier. Ce schéma s’inscrit dans le cadre de la mise en place d’un programme national de surveillance de la biodiversité terrestre, prévu par le ministère et pour la mise en œuvre de la Stratégie nationale pour la biodiversité.
Sonosylva est né avec la constitution du schéma directeur : fruit de longues recherches en éco-acoustique menées par l’équipe de Jérôme Sueur (page de l'équipe), ce programme est le déploiement sur tout le territoire d’un suivi acoustique précédemment mis en œuvre dans le Haut-Jura. Un des avantages des suivis acoustiques est qu’ils sont non invasifs ; hormis la pose de micros et le moment de récupérer les enregistrements, ces suivis n’occasionnent pas de dérangement pour la faune sauvage. Ciblant les forêts protégées, Sonosylva s’adresse aux gestionnaires d’espace naturels. Aujourd’hui, plus de cent forêts protégées sont équipées d’un micro, installé en zone cœur à au moins quatre cent mètres de la lisière. Ils enregistrent une minute toutes les quinze minutes, un jour sur deux, de mars à fin septembre. Les données représentent ainsi une image globale lors de la période la plus active de la faune. Vous pouvez d’ores et déjà écoutez des enregistrements Sonosylva publiés par le Parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine.
Créer des référentiels de paysages sonores
Comme Vigie-chiro et le SON, Sonosylva est un suivi acoustique, mais celui-ci n’est pas centré sur un groupe d’espèces en particulier. Ici, il s’agit d’abord de capter la diversité des espèces, à travers tous les sons émis par celles qui habitent les forêts, regroupés sous le terme de « biophonie ». Aujourd’hui, si les algorithmes de reconnaissance ne sont pas encore aptes à identifier toutes les espèces susceptibles d’être enregistrées, plus le spectre des fréquences est large sur l’enregistrement, plus la diversité spécifique est importante. En effet, selon les travaux de Bernie Krause, les espèces occuperaient chacune des canaux de communication propres, à des fréquences différentes, pour que les messages soient entendus sans brouiller les signaux des autres. « Les données pourront être utilisées pour mieux connaître la diversité des espèces, leurs périodes d’activités dans la journée, dans les différents types de forêts et selon leurs localisations géographiques. Les enregistrements permettront d’améliorer la classification automatique des sons. Et pour celles qui sont reconnues, cela offre de grandes possibilités, il sera possible de travailler à l’échelle de l’espèce, de la communauté ou du paysage » explique Ludovic Crochard, coordinateur du programme.
Au-delà de la biophonie, d’autres catégories permettront de figurer le paysage sonore des sites enregistrés : la « géophonie » pour les sons naturels non organiques (vent, pluie..), la technophonie pour les sons produits par des machines (avion, voitures…), et l’anthropophonie qui sont les voix humaines. Ces catégories peuvent avoir une influence sur les espèces, et « on va pouvoir voir à quel point il y a de la pollution sonore dans les espaces protégés, cela n’a jamais encore été étudié » précise Ludovic. Les animaux préviennent de leur présence pour s’accoupler, pour alerter lorsqu’il y a un prédateur, pour préserver leur territoire, pour indiquer où trouver des ressources à ses congénères, et se dire bien d’autres choses que l’on ignore. Outre l’augmentation du stress qu’induit certains sons, la pollution sonore peut venir entraver la possibilité de se délivrer des messages cruciaux pour la survie et la reproduction.
Les indices calculés pour chacune des catégories permettront d’établir des cartes sonores pour les différentes forêts : ces paysages sonores constitueront les premiers référentiels en la matière et serviront de base au suivi. Il sera également possible d’analyser, avec les données climatiques fournies par Météo France, comment le changement climatique affecte les espèces de ces milieux.
En attendant la version du protocole ouverte à tous…
Une version du protocole, qui ne serait pas cantonnée aux espaces protégés et réalisable par tout le monde, est en cours d’élaboration. En attendant, aiguisez vos oreilles !
Rendez-vous sur la sonothèque du Muséum national d'histoire naturelle. Par exemple, avez-vous déjà entendu un écureuil roux ? c'est ici. Ou le brame du cerf (c’est la saison !) ? C'est là.
Pour les oiseaux, vous pouvez aussi vous rendre sur Acoustoc et Acoushoc les sites conçus pour apprendre à reconnaitre les oiseaux communs à l’écoute : le premier pour les oiseaux nicheurs et le second pour les oiseaux hivernants.
Mais surtout, rien ne remplace l’expérience ! Délaissez écouteurs et écrans pour vous rendre sur le terrain, en forêt par exemple ! Violette Zgraja, étudiante à l’école Estienne, a concocté un petit jeu Sonosylva pour représenter votre l’environnement sonore : Arrêtez-vous quelque part et plongez-vous dans l’écoute. Un oiseau chante ? Marquez d’où provient le son sur le support en y dessinant un sonoglyphe oiseau. Le but est de s’entrainer à situer les sons que vous entendez et de représenter leurs sources sur un support. Pensez pour les enfants, l'exercice est très apprécié par les adultes ! Déclinez les sonoglyphes à votre guise selon vos connaissances naturalistes, votre environnement sonore, essayez dans différents lieux ! Une suggestion : Faites-le à plusieurs pour partager vos paysages sonores.
HD.
Pour aller plus loin :
Se rendre sur le site internet Sonosylva
Lire un article du CNRS sur le programme
Si vous vous intéressez à la communication animale, un documentaire à trouver en replay : A l’écoute de la nature : Les trésors de la communication animale réalisé par Jacques Mitsch / Gedeon programme.