Grâce aux photos des participants au spipoll, nous avons découvert que la plupart des pollinisateurs hivernaux n’étaient autre que… des mouches. Un mécanisme de lutte contre le froid a aussi été identifié. Surprenant.
Les photos de notre programme spipoll prises pendant les vacances de Noël l’attestent : les insectes pollinisateurs volent aussi en hiver. Ils sont certes moins nombreux à fendre l’air froid, étant donnés la rareté des ressources en fleurs et l’état de diapose (hivernation) dans laquelle plonge la plupart des individus adultes à cette période. Malgré tout, une journée douce et ensoleillée peut tout à fait encourager quelques insectes à quitter leur état léthargique pour s’en aller butiner une hellébore, une fleur de noisetier ou encore celle d’un cerisier hâtif.
Abeilles domestiques, sauvages, bourdons, papillons… en hiver, tous les groupes de pollinisateurs peuvent apparaître dans la base de donnée de l’observatoire. Même si, à y regarder de plus près, la majorité d’entre eux ne possède qu’une paire d’ailes… Les mouches dominent nettement. « En décembre et janvier c'est plus d’un insecte sur deux qui appartient à ce groupe au sein des collections » explique Grégoire Loïs qui analyse à Vigie-Nature les données spipoll.
Pour Christophe Daugeron, spécialiste des diptères au Muséum, que les mouches soient les plus actives l’hiver n’a rien d’étonnant : « Pour les insectes sociaux comme de nombreux hyménoptère il n’est pas question de consommer de l’énergie en butinant le peu de ressource disponible à l’extérieur, en revanche les mouches, plus solitaires, ont pu acquérir des stratégies d’adaptation au froid. C’est aussi pour cela que les pollinisateurs d’altitude sont principalement des diptères. » Pas étonnant, non plus, que le seul insecte retrouvé en Antarctique soit… une mouche (Belgica antarctica). Reste que pour le chercheur cette tolérance au froid a probablement plusieurs causes encore mal identifiées.
Le syrphe ceinturé change de couleur
Une de ces stratégies d’adaptation vient d’être observé chez le plus fréquent des diptères à cette période : le syrphe ceinturé. « La prévalence du syrphe ceinturé n'est jamais aussi haute qu'en hiver, précise Grégoire Loïs se basant sur les données spipoll. Alors que les autres insectes se font rares, lui reste là à fréquenter les rares fleurs. »
Peu connus du grand public, les syrphes – il y a plusieurs espèces, plus de 500 en France, dont le ceinturé - sont pourtant très communs. En particulier les syrphes ceinturés ou portes plumes parmi les plus fréquents sur les fleurs. Un corps effilé, un abdomen entouré de rayures brunes et jaunes, ces derniers pourraient se confondre avec de petites guêpes. Au repos seulement. Car ce qui les distingues c’est cette incroyable vitesse de vol. Une vélocité qui leur permet de visiter un nombre considérable de fleurs en un temps record et de polliniser par conséquent de manière très efficace. Lorsqu’ils ne fusent pas à travers la végétation, les syrphes adoptent souvent un vol stationnaire, presque immobile au-dessus du sol : un autre comportement très singulier au milieu des incessantes valses des guêpes et autres abeilles.
Guidé par une intuition, Grégoire a voulu comparer les photos de syrphes ceinturés prises en ce moment avec celles de la période estivale. En effet, de précédents travaux (1) ont montré que des larves de syrphes ceinturés élevées en laboratoire dans le froid produisaient des adultes plus foncés que lorsque celles-ci évoluaient dans un milieu tempéré. Un changement de couleur que les spipolliens avisés peuvent constater sur le terrain : les générations d'été sont généralement plus claires que les autres. Ces dernières incluant également tous les syrphes migrateurs ayant passé l'hiver plus au sud.
Qu’en disent justement les données du spipoll ? « Si l’on compare les 10 premières photos des syrphes ceinturés prises au mois de juillet avec les 10 premières du mois de décembre, cela saute aux yeux : certes la teinte des parties claires fonce, mais c’est surtout la partie de noir qui augmente. » Ainsi, les syrphes endosseraient un habit plus sombre l’hiver venu. On imagine facilement la raison : les couleurs foncées absorbant davantage le soleil l’animal peut ainsi se réchauffer plus rapidement. Un phénomène qui concernerait de nombreuses espèces de syrphes appartenant aux eristales ou epeodes.
Les mécanismes en jeu attendent néanmoins d’être éclairés. De même qu’il sera intéressant de voir quelles autres espèces ou familles de diptères partagent avec les syrphes ceinturés le nectar hivernal. Pour y parvenir, n’hésitez pas à sortir l’appareil photo avant la belle saison ! preuve avec ces analyses, les données d’hiver sont d’une grande utilité. Et même si les relations fleurs/insectes se font plus discrètes et marginales à cette saison, voilà une occasion unique de découvrir les diptères sous un nouveau jour.
(1), Britain's Hoverflies: A Field Guide - Revised and Updated Second Edition De Stuart Ball, Roger Morris (p.30)