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Spipoll : « J’ai appris à ne plus avoir peur des insectes »

Sciences participatives

 

L’un est connu sous le pseudonyme Steed, en référence à l’agent secret du film Chapeau melon et bottes de cuir. L’autre, Fabienne, participe à découvert. Leur point commun : l’amour des insectes pollinisateurs et de l’image. Nous avons rencontré un peu par hasard ces deux participants au Spipoll lors du Congrès mondial de la nature à Marseille. Discussion improvisée sur le stand de Vigie-Nature.

 

Spipolliens

Steed et Fabienne sur le stand de Vigie-Nature

 

Vos noms semblent avoir toujours été associés au programme. Quand et comment êtes-vous tombés dans la marmite du Spipoll ?

-Steed : Ma première collection remonte à novembre 2010. J’avais entendu parler du Spipoll à la télé. On cherchait des bénévoles. Je me suis dit : pourquoi pas ! Mes premiers pas ont été difficiles, j’étais même un peu déçu, pour la simple raison que je ne possédais pas d’appareil adéquat. Tout a changé lorsque j’ai eu mon premier reflex. La participation m’a très vite fait l’effet d’une drogue. Je ne pouvais plus m’en passer. Aujourd’hui, j’ai toujours mon appareil à portée de main. Je réalise des collections absolument partout, à commencer par chez moi à Signes dans le Var. J’ai coutume de dire que le Spipoll est devenu mon métier, ça m’a aidé à passer la retraite.

-Fabienne : J’avais l’habitude de me rendre à des conférences au Muséum national d’Histoire naturelle, habitant relativement proche de Paris, à Montreuil. C’est lors d’une de ces conférences, en 2012-2013 que j’ai découvert le Spipoll. Cela tombait bien : j’étais à la retraite et avec mon mari et nous venions d’acheter une ruche en poterie. On commençait à regarder les abeilles. Puis les autres insectes. Le protocole m’a donc attiré. Nous avions là l’occasion d’aller plus loin dans notre découverte du monde des pollinisateurs.

Quels sont vos lieux de prédilection pour réaliser des collections ?

-Steed : J’aime beaucoup les lieux insolites. Je suis notamment devenu un spécialiste des rondpoints. J’en ai échantillonnés de tous types, même à Paris. Y accéder demande parfois un peu de témérité, mais ça change des zones habituelles. Et ça fait réagir dans la communauté ! A Signes, en juillet 2013, je me rappelle avoir réalisé une collection sur un rondpoint pendant le Tour de France. Les cyclistes sont passés à côté de moi. Ils ont dû se demander ce que je faisais à braquer mon objectif vers le sol…

-Fabienne : Ni rondpoint ni autoroute pour moi… Je me focalise sur quelques milieux autour de chez moi. Certains ne manquent pas d’originalité comme les murs à pêches, ces cultures très célèbres à Montreuil. Je me rends aussi sur des parcelles en friches, comme celles du fort de Rosny sous-bois. Il y a beaucoup de lierre, d’aubépine : c’est un très bon spot !

Vous avez deux approches différentes : élargir au maximum sa couverture territoriale d’un côté, se focaliser sur quelques spots de l’autre…

-Steed : Il est vrai que j’adore explorer de nouveaux spots. J’ai longtemps travaillé dans la communication, je tenais des stands un peu partout en France, j'en profitais. Aujourd’hui je regarde la carte de participation, et lorsqu’une commune du Var se trouve dénuée de point, je m’y rends de suite. Et je ne me limite pas à la France. Même si ce n’est pas recommandé ni utile pour les suivis, j’ai partagé des collections faites aux Canaries, au Costa Rica. Mes principaux critères : des fleurs peu observées, un nouveau point. La présence des insectes est presque secondaire. Lorsque je ne vois rien pendant 20 minutes, et ça arrive, je publie quand même. Je pense aux chercheurs qui sont aussi friands de ce genre de données.

-Fabienne : De mon côté je me laisse plutôt porter par mon emploi du temps. Ma démarche est assez différente. J’essaye de voir où se nourrissent mes abeilles autour de chez moi. Souvent je les suis jusqu’à une espèce de fleur et j’en profite pour faire une collection. Mais comme Steed j’emporte toujours mon appareil lors de mes déplacements. Au cas où. Je parviens à faire à peu près 6 à 10 sessions par mois, en variant les végétaux.

Vous avez un autre point commun : l’amour des animaux et de la photo, qui vous a conduit à l’observatoire. Qu’est-ce que vous recherchez dans la pratique du Spipoll ?

-Fabienne : Les animaux m’ont toujours fasciné. Et j’aime la photo, pour pouvoir regarder en gros une petite bête. C’est magnifique ! Lorsque je commence une session, je me vide la tête complètement. Il n’y a que le Spipoll qui me procure cette sensation. Il y a aussi l’envie de rencontrer une nouvelle bestiole, même si malheureusement ce n’est plus très fréquent autour de chez moi… D’un point de vue collectif, les relations avec spipolliens et avec les chercheurs, lors des journées de rencontre notamment, m’ont beaucoup apporté. On peut échanger, partager des expériences, avoir des retours sur l’utilisation de nos données. Car le fait de savoir que les chercheurs travaillent à partir de nos photos est gratifiant. Le Spipoll est un bon remède pour sortir de la déprime face à tous les problèmes environnementaux.

-Steed : J’ai également toujours aimé à la fois les animaux et la photo. Le Spipoll a pu réunir ces deux passions. Pendant 20 minutes on est seul, on ne pense plus à rien. On rentre en communion avec le milieu. Et gare à celui ou celle qui voudra nous déranger ! Ça fait un bien fou pour la santé. Pas étonnant qu’on ne puisse plus s’arrêter. Je me souviens des premières rencontres nationales. Lorsque nous nous sommes présentés à tour de rôle, on a quasiment tous avoué notre addiction. On se sentait moins seul. L’attente de l’insecte jamais vu, c’est aussi ce qui me motive. Lorsque l’un d’entre nous poste une nouvelle espèce sur le site, cela ne passe pas inaperçu. Il y a plein de commentaires du type : « Ah moi je ne l’ai jamais vu ! » Enfin la photo est très importante pour moi. Je mets un point d’honneur à faire des clichés de qualité, à choisir le bon angle. D’autant que je publie aussi sur Instagram maintenant !

Spipoll

Steed, session hivernale sur des chrysanthèmes à Signes 

Steed vous habitez dans le Sud de la France, Fabienne dans le quart Nord. Comment votre pratique évolue au fil des saisons ?

-Steed : Je jouis d’un climat favorable dans le Var, je l’admets. J’ai des fleurs toute l’année. Je peux donc faire des collections toute l’année, même si le printemps reste l’idéal. Ce que j’aime c’est que nos parties de Spipoll suivent les floraisons. Lorsque je me jette sur les cistes roses au printemps, je sais que les fleurs ne dureront pas plus d’un mois. Il faut se dépêcher. Idem pour les insectes. Il y a ceux qu’on voit toute l’année comme le bourdon. Il y a ceux qu’on voit seulement en automne comme la collète du lierre [une abeille solitaire, NDLR]. Et maintenant il faut composer avec le réchauffement climatique et l'apparition de certaines espèces invasives comme le frelon asiatique.

-Fabienne : Je participe surtout au printemps et en été. L’hiver j’ai un peu de jasmin, mais je consacre surtout cette période à la création des collections. A l’identification des insectes capturés durant l’année. Je fais même exprès de ne pas publier toutes mes photos l’été pour en garder sous la main en hiver. Concernant les évolutions depuis que je participe, je peux noter une diminution des coléoptères, excepté le drap mortuaire. Participer au Spipoll c’est aussi être témoin du caractère cyclique des variations. Un bon exemple : le morosphinx, que je voyais tout le temps il y a quelques années dans les valérianes. Ensuite il déserté, avant de revenir… Cette année, pour la première fois une écaille chinée s’est invitée dans mon jardin.

Qu’avez-vous appris au cours de ces dix années de participations ? 

-Fabienne : A connaître les insectes, à les admirer. Sur le plan esthétique, les mouches, lorsqu’on les agrandit sur les photos, sont magnifiques. Je pense en particulier aux mouches tephridites dans ma rue sur la bryone. Les mouches ont vraiment des gueules particulières, des ailes parfois tachetées. Mais j’ai un faible pour les abeilles sauvages. Quand j’ai débuté l’apiculture, j’observais chez mon voisin des nuages d’abeilles qui volaient au sol. Je ne savais pas ce que c’était. Aujourd’hui j’en reconnais certaines à leur manière de se déplacer, à leur comportement. Les mégachiles avec leur abdomen relevé sont très caractéristiques. J’ai aussi appris à laisser mon jardin un peu en chantier. Ce qui ne plait pas toujours à mon mari…

-Steed : J’ai le même problème avec mon épouse… De mon côté j’ai arrêté de planter des espèces qui consomment beaucoup d’eau. Je privilégie le romarin, le thym, les cistes, des plantes peu consommatrices attirant les pollinisateurs. En général je privilégie les espèces qui poussent de façon sauvage autour de chez moi, elles demandent moins d’intervention. Je remarque aussi que cela suscite beaucoup d’incompréhension. Les gens voient des zones « à l’abandon » à côté de chez eux, c’est suspect. Tout comme peut l’être le Spipoll d’ailleurs : on s’est déjà demandé si je ne faisais pas des repérages pour un vol ! Alors que je cherche des fleurs…

Autre chose : j’ai appris à ne plus avoir peur des insectes. J’avais une certaine appréhension depuis la fois où, alors que je marchais dans mon jardin, mon pied s’est enfoncé dans un nid de guêpe… Je suis rentré chez moi en courant. J’y suis retourné un peu plus tard : le nid était gros comme un ballon de football. Je l’ai échappée belle. Mais à force de les côtoyer, de les connaître je suis moins méfiant : je laisse les guêpes ou les abeilles se poser sur mon bras. C’est un plaisir.

Nous sommes au forum mondial de la biodiversité à Marseille. L’un des grands enjeux de ces rencontres est de trouver des solutions pour enrayer le déclin du vivant. Pensez-vous que le Spipoll joue un rôle dans cette perspective ?

-Fabienne : Si on veut que les gens se mobilisent, il faut montrer que le contact avec la biodiversité est un plaisir, qu’on est bien dans nature. Car lorsqu’on éprouve du plaisir dans un domaine on a envie d’avancer. Le plaisir mais aussi la compréhension. En apprenant, les gens se sentent tout de suite concernés. En expliquant que grâce à la pollinisation on peut manger des fruits, que grâce aux mouche on ne vit pas sous les excréments, on a envie de protéger les insectes. Pour moi les leviers sont là. Après sur le constat, c’est évidemment dramatique : j’ai grandi en pleine campagne, aujourd’hui quand je m’y promène je ne la reconnais plus. 

-Steed : Je pense que nous jouons tous un rôle important, ne serait-ce que pour interpeller les uns et les autres. Mon fils, lorsqu’il voyait un insecte, son premier réflexe était souvent de l’écraser. Aujourd’hui, il prend une photo et l’envoie à INPN Espèce pour connaître le nom de l’espèce. Il faut remettre la nature au centre, car nous l’avons perdu de vue pendant longtemps. Les sciences participatives y contribuent. Mais ce que le Spipoll a de plus c’est la dimension sociale. On vient tous de différents milieux, de différentes catégories sociales. On se parle, on échange, on se rencontre quand on peut (vivement les prochaines rencontres nationales !). Nous sommes tous unis par une même passion, celle des fleurs, des insectes et de la photo. 

 

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