Grâce à une nouvelle fonctionnalité du site, les participants au Spipoll jouent un rôle encore plus prépondérant dans l'observatoire : ce sont eux, désormais, qui participent à la validation des identifications d'insectes
Comme l’hiver dernier, Jean-Marie a rangé son appareil photo pour quelques mois. Pour autant, ce participant de la première heure contribue encore activement au programme. Depuis son ordinateur. « En cette saison, je participe de deux façons différentes. Il arrive que d’autres spipolliens publient de nouvelles collections sur le site. Dans ce cas, lorsque je peux, je valide les identifications ou, en cas de désaccord, je fais des propositions. Sinon, il m’arrive aussi de filtrer d’anciennes photos par taxons d’un même groupe et de les vérifier une par une. Je suis sur les pucerons en ce moment. Passer en revue 100 - 200 photos du même taxon permet d’apprendre à l’identifier très rapidement. »
Avec la sortie du nouveau site internet du Spipoll en 2019, tous les participants peuvent en effet donner leur avis sur les identifications d’insectes accompagnant chaque photographie. En plus de valider ou d’invalider une proposition, il est possible de laisser un commentaire, de faire une suggestion, d’interpeller sur tel ou tel caractère déterminant. Un taxon (espèce ou groupe d’espèces) est considéré comme identifié dans la base de donnée après trois validations. Cette nouvelle fonctionnalité offre deux avantages, et pas des moindres. « Avant, une dizaine d’experts validaient toutes les identifications des participants, des entomologistes super compétents cooptés entre eux, explique Grégoire Loïs, codirecteur de Vigie-Nature. Mais le volume de photos est vite devenu trop important, ils se sont retrouvés complètement débordés ! »
En 2018, une étude menée par Nicolas Deguines (détaillée ici) mettait en évidence la spectaculaire progression des participants. Ces derniers deviennent rapidement, au fil des identifications, de véritables experts dans la reconnaissance. De ce constat, et compte tenu de la volonté palpable de certains spipolliens d’étendre leur contribution, l’équipe a conçu ce système de validation collaborative. Aujourd’hui, les participants ne se contentent plus d’identifier leurs propres photos. Certains, comme Jean-Marie, en profitent pour se spécialiser dans certains groupes taxonomiques, et plus généralement pour gagner en rapidité et efficacité dans la reconnaissance des insectes. Après avoir validé lui-même près de 80 000 photos depuis un an et demi, celui-ci est maintenant capable de démasquer de nombreuses spécimens par leur « habitus », c’est-à-dire leur aspect général. Et ce en un coup d’œil, de façon presque automatique. A la manière des naturalistes de haut niveau.
Si le cas de Jean-Marie ne représente qu’une petite fraction des participants, les plus aguerris, ils ne sont pas les seuls à bénéficier du système de validation collaborative. « Au départ, les valideurs m’ont beaucoup aidé, reconnaît Amandine qui a démarré le SPIPOLL en mars dernier en plein confinement. On a beau suivre scrupuleusement la clé d’identification, il nous reste parfois à choisir entre deux ou trois groupes. Il m’est donc arrivé d’identifier un peu au hasard… Heureusement lorsque je me trompais, d’autres participants plus expérimentés donnaient leur avis et ont pris le temps de me donner des conseils.» Les "experts" guident les nouveaux, les rassurent, apportent des précisions sur des clichés problématiques : une vraie émulation s'est installée dans la communauté. « Cela m’a permis de progresser super rapidement ! » se réjouit Amandine. A tel point qu’aujourd’hui, après seulement quelques mois de pratique, elle a rejoint le petit groupe des « supervalideurs » qui déterminent 90% de l’ensemble des photos du Spipoll. « Je ne suis pas encore une experte, loin de là. J’utilise des filtres pour ne valider que les insectes que j’ai appris à reconnaître, comme les papillons par exemple. C’est en tout cas très addictif. Il y a un côté chasse au trésor qui me rend complètement accro. »
Aujourd’hui 480 000 photos sont stockées dans la basse de données du Spipoll. Grâce aux participants comme Amandine et Jean-Marie, le nombre d’identification validées augmente. Les trois quarts des insectes pollinisateurs le sont désormais, contre moins de la moitié avant 2019. Ce qui fait d’autant plus de données exploitables scientifiquement par les chercheurs. Mais nous n’en sommes qu’au début. L’équipe du Spipoll voit plus loin. « Nous réfléchissons à un système algorithmique qui permettra d’accélérer et d’améliorer encore le processus de validation », annonce Iandry Rakotoniaina, ingénieur en recherche et développement informatique missionné par le Muséum et l’Université de Rennes pour définir les contours de ce projet. « En sachant avec quels taxons le participant a le plus d'affinité, nous pourrions lui proposer des validations personnalisées, adaptées à son niveau. »
A la différence d’un système d’intelligence artificielle pur, qui apporterait au participant le nom de l’espèce automatiquement, par apprentissage profond, il s’agît de miser sur l’intelligence collective. Les algorithmes permettent ici d’améliorer l’apprentissage de la machine mais aussi, et surtout, celui de l’humain, à savoir des participants. « Nous essayons de tirer au maximum les gens vers le haut. De les challenger. C’est la clé de leur motivation » conclut Grégoire Loïs.