L’année dernière, Josquin est venu au CESCO pour un stage de césure. Il s’installe ce mois-ci dans le bureau des doctorants. La question qu’il va explorer pendant les trois prochaines années est : « Quel est le lien entre la stabilité des communautés et le déclin de la biodiversité ? » Une question de recherche fondamentale, essentielle pour mieux comprendre le monde qui nous entoure, anticiper les changements actuels et pouvoir faire des préconisations en vue de conserver la biodiversité.
Le parcours de Josquin, ou comment en est-il arrivé à cette question…
C’est d’abord le développement d’outils informatiques qui a conduit Josquin Guerber jusqu’ici : « Quand j'étais au lycée, je voulais faire développeur de jeux vidéo, j’ai toujours été dans la culture des outils informatiques, et c’est le fait de pouvoir appliquer et pouvoir faire ça au quotidien sur des projets en écologie qui m'a motivé à continuer en écologie. Je me suis spécialisé en écologie des communautés en Master 2 EBE, à Montpellier, où j’ai fait mon stage à l’ISEM, avec Sonia Kefi : c'était de l'analyse d'images à partir de photos aériennes de végétation dans les écosystèmes arides. On a travaillé à montrer que quand le milieu est vraiment très aride, ça se voit sur la manière dont la végétation s'organise dans l’espace : on peut alors créer des indicateurs d'état de dégradation des écosystèmes liés à l'aridité et au pâturage à partir des photos. Si nos indicateurs basés sur les photos correspondent bien à la réalité, cela permettrait de faire une cartographie à l'échelle de la planète, sans avoir besoin d'aller sur le terrain pour faire des mesures afin de qualifier l'état des écosystèmes soumis à ces pressions. Une publication devrait paraître bientôt.
A l’origine, je m’orientais plutôt vers l'écologie évolutive et mais dans ce projet-là, il y avait vraiment beaucoup d'outils informatiques à développer et un gros jeu de données à traiter. Ce sont des choses que j'aime faire et qui m’ont motivé à travailler sur les communautés. »
Lorsque l’écologie des communautés rencontre la biologie de la conservation
En écologie, une « communauté » désigne un ensemble de populations d’espèces qui interagissent entre elles à un endroit donné. La stabilité d’une communauté, c'est la capacité de cet ensemble à se maintenir dans le temps face aux fluctuations de son environnement : maintien de sa composition (les espèces qui la composent), de l’abondance (le nombre d’individus) et de ses fonctions dans l’écosystème. Les fonctions les plus connues sont perçues à travers les services écosystémiques, c’est à dire les bénéfices qu’elles occasionnent pour la vie humaine (production de matières, recyclage de matière organique, régulation de maladies, etc.). Par exemple, une communauté d’oiseaux insectivores en milieu agricole fournit un moyen de lutte contre des populations de ravageurs en se nourrissant, et sa stabilité est une assurance pour la production agricole.
De nombreuses études en écologie des communautés montrent que généralement, la diversité des communautés stabilise le fonctionnement des écosystèmes. Ces études, qu’elles soient théoriques, expérimentales ou empiriques, ont un point commun : à chaque fois, les communautés sont elles-mêmes à l’équilibre, fixes, stables. Bien qu’elles mettent à jour l’importance de la diversité pour favoriser la stabilité des écosystèmes, ces études restent limitées pour appréhender la situation actuelle de la biodiversité, puisque le déclin de cette dernière peut bouleverser les communautés : leurs compositions et les abondances des populations qui les composent ne sont pas fixes mais soumises à des variations du fait des activités humaines (telles que l’intensification de l’agriculture, l’urbanisation, les changements climatiques). On entre ici dans le champ d’une autre spécialisation de l’écologie scientifique, celle de la biologie de la conservation, qui se concentre en particulier sur les dynamiques de populations. Il s’agit donc d’étudier le lien entre les tendances des populations et la stabilité des communautés, afin de relier les connaissances développées dans ces différents champs et de pouvoir les mobiliser pour des actions de conservation.
Des données de Vigie-Nature pour étudier la stabilité des communautés
La stabilité des communautés est favorisée par la diversité des communautés, mais que se passe-t-il quand cette diversité est elle-même dynamique ?
Josquin me résume avec enthousiasme son sujet : « Ce qu’on peut dire, c’est qu’en écologie des communautés, la relation positive entre biodiversité et stabilité a été établie dans des environnements très contrôlés (comme des champs cultivés) ou dans des modèles. Et là, on veut appréhender le concept dans un cadre de conservation de la biodiversité, où justement, il y a des fluctuations dans les populations, certaines déclinent, plus ou moins fortement, d’autres peuvent augmenter, provoquant des variations d’abondance. Et où les changements de composition en espèces sont susceptibles d’affecter les fonctions de la communauté… Est-ce que les espèces qui déclinent se ressemblent, conduisant à une perte de fonction, ou est-ce que l'effet de déclin est compensé par la présence et l’augmentation d’autres espèces ? Et pour étudier ces questions là, c'est idéal d'être co-encadré par Elisa Thébault, de l'équipe EERI de l'Institut d'écologie et de sciences de l'environnement de Sorbonne Université, et Colin Fontaine, qui est au Centre d’Ecologie et des Sciences de la Conservation du Muséum national d’Histoire naturelle.
Pour mesurer la stabilité d’une communauté, la technique qui est utilisée c’est de calculer la moyenne de l'abondance de la communauté et les écart-types (valeurs représentant l'intensité des variations autour de la moyenne) à partir des observations qui sont faites chaque année. Ensuite, ce qu’on appelle coefficient de variation, c’est le rapport entre l’écart-type et la moyenne. Et ce coefficient est inversement relié à la stabilité… Parce que quand on est plus variable on est moins stable !
Du coup, comme on s'intéresse à des communautés, soit un ensemble de populations à un endroit donné, on a un besoin d'avoir un suivi dans le temps, et suffisamment régulier. Et donc c'est là que c'est top parce qu'il y a plein de protocoles à Vigie-Nature qui font ce type de suivis, le STOC et Vigie-flore par exemple. C'est vraiment super en écologie des communautés d’avoir ces données-là, on est sûr qu'elles ont été relevées au même endroit et sur une échelle de temps assez longue. C'est ça que je vais commencer à regarder dans les prochains mois : avec quels jeux de données je peux travailler, en regardant combien de points ont été suivis, sur combien de temps, pour voir lesquels sont exploitables pour ma thèse. »
On a hâte de connaître les résultats... mais il va falloir patienter un peu ! Et cet article est une nouvelle occasion de rappeler à tous les participants des programmes de Vigie-Nature la valeur de leur apport, celui des observations qu'ils fournissent aux chercheurs, le pouvoir de l'effort collectif qui permet d'avoir suffisamment de données pour faire des traitements statistiques fiables. Si les protocoles d'observation contiennent quelques contraintes, une manière précise de faire les observations, comme un temps à respecter ou des lieux attribués sur lesquels retourner chaque année, c'est ce qui fonde la qualité des données et donc celle des études qui sont menées... toujours dans l'objectif de contribuer à la conservation de la biodiversité.
HD.