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La valse Paris-province des corneilles noires

Sciences participatives

 

 

Grâce à une thèse menée au Muséum et à Paris-Saclay, on en sait un peu plus sur les curieux déplacements des corvidés qui abondent dans les parcs parisiens. De quoi repenser nos manières de cohabiter avec eux.

 

corneille © peupleloup(flickr)

Certaines corneilles parisiennes peuvent effectuer jusqu’à 127km par jour

 

Jadis oiseaux de mauvais augure, les corvidés pâtissent toujours d’une mauvaise réputation. Les corneilles tout particulièrement, s'imposant dans les parcs et jardins urbains. Mais depuis quelques années, des voix s’élèvent. On les accuse de toutes les nuisances : d’arracher les pelouses, de répandre des déchets sur les trottoirs ou encore de croasser à tue-tête au grand dam des promeneurs et des riverains. Pire : il arrive au charognard de s’en prendre à des petits pigeons, à des canetons…

« Les corneilles ont commencé à augmenter dans les années 90 car ces oiseaux opportunistes ont sur trouver dans les villes en pleine expansion de la nourriture accessible et des parcs tranquilles sans prédateurs. Leur régime omnivore leur a permis de bien s’adapter aux nouvelles ressources. Mais elles ont vite commencé à poser des problèmes, notamment lors qu’elles s’en sont pris aux sacs transparents installés dans les poubelles publiques à la suite des attentats » explique Perrine, qui démarre une thèse (Muséum/Paris-Saclay) sur la cohabitation de l’Homme et de l’oiseau noir.

Pour l’instant les mesures de réduction des nuisances n’ont guère brillé par leur efficacité. Les piégeages de régulation entrepris dans la capitale n’auraient qu’un effet local très limité. « Une corneille tuée sera vite remplacée par une autre venue d’ailleurs tant qu’elle trouvera à manger » est-il précisé dans un rapport de suivi des corneilles entrepris par le Muséum et la ville de Paris.

Melting pot

Depuis 2015, plus de sept cents corneilles ont été capturées au Jardin des Plantes, baguées puis relâchées. Au grand public et aux scientifiques de localiser ensuite les oiseaux aux quatre coins de la capitale, ceci en transmettant sur une plateforme le code à trois chiffres inscrit sur les bagues de couleur entourant les pattes de l’animal.

A partir de cette base de données, Perrine a pu modéliser certains déplacements réguliers comme des allers-retours entre les parcs parisiens. Au Jardin des Plantes, les individus bagués et non bagués se mélangent sans cesse : « Ce qui ressort surtout, c’est que les corneilles du Jardin des Plantes ne sont pas une seule population, mais plutôt une métapopulation, qui regroupe des oiseaux résidents du Jardin des Plantes, et d’autres qui sont juste de passage, sûrement des jeunes, à la recherche de nourriture » explique la chercheuse.

Ce melting-pot entre générations est en réalité le fruit de nombreux échanges entre Paris et sa périphérie, comme le montrent les suivis GPS effectués ces deux dernières années, une méthode plus précise que le baguage permettant de suivre des individus en continu et à plus grande échelle. Entre 2020 et 2021, une quarantaine de juvéniles probablement nés dans la capitale ont été suivis : « Au printemps, après que les corneilles ont passé l’hiver sur leur lieu de naissance avec les parents, on voit qu’elles commencent à s’émanciper pour explorer de nouveaux territoires, détaille Perrine. Jusqu’à sortir de la ville. » Avant de revenir le soir même ou un peu plus tard dans la saison passer la nuit dans leurs dortoirs parisiens. Le Jardin des Plantes, avec ses arbres hauts et l’absence d’éclairage nocturne fait figure de gîte collectif idéal. Des atouts dont dispose également le Bois de Vincennes : « Le soir venu, on peut assister à un cœur de croassements, les oiseaux font de grands cercles dans le ciel. C’est très impressionnant ! »

 

Corneille © Frédéric_Jiguet

Corneille munie d'une balise GPS et d'une bague au Jardin des Plantes de Paris

 

Solutions adaptées

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’entre deux nuits paisibles ces jeunes corneilles osent s’aventurer bien loin du nid originel. D’après les signaux GPS, si toutes ne déplacent pas autant, les plus téméraires ont parcouru jusqu’à 127km par jour. L’une d’entre elles a atteint Amiens, à plus de 150 km de Paris. Même si de tels périples étaient connus des scientifiques, notamment par le biais de chasseurs ayant tué des corneilles baguées – l’une à Saint Saturnin sur Loire (Maine-et-Loire), à 263 Km du Jardin des plantes ! - c’est bien la première fois qu’on assiste à ce phénomène en temps réel.

Reste que cette valse Paris-province renferme encore quelques mystères. Outre la quête de nourriture, qu’est-ce qui pousse ces individus à s’élancer vers des territoires inconnus ? On pense par ailleurs que certains s’implantent en dehors de leur lieu de naissance pour s’y reproduire. Mais dans quelle proportion ? A quel moment de leur vie ? Et quid des populations qui feraient le déplacement inverse : les « provinciales » qui rejoignent les parisiennes pour se mélanger avec elles ? Les prochains travaux coordonnés par le chercheur Frédéric Jiguet au Muséum tenteront d’y voir plus clair. Les premiers résultats de Perrine apportent en tout cas les preuves formelles de la grande mobilité des populations de corneilles parisiennes. On parle désormais de métapopulations interconnectées.

Pas étonnant donc, que les abattages locaux dans les parcs ou les campagnes s’apparentent à des coups d’épée dans l’eau. Le cas échéant, d’autres individus de Paris ou d’ailleurs remplaceront les précédents. « N’oublions pas que c’est un animal malin, rappelle Perrine, il aura toujours un temps d’avance pour trouver de la nourriture. A nous de trouver des solutions adaptées à ces populations très mobiles et interconnectées. » Dans un autre volet de sa thèse, la jeune chercheuse montre que le simple fait de laisser l’herbe pousser diminue de moitié les déracinements par les corneilles. Elle confie d’autres idées frappées du coin du bon sens comme protéger les sacs poubelles ou installer des filets au-dessus des plantations.

 

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