Back to top
sciences participatives

Vigie-Nature : de la science crédible

Sciences participatives

 

Si Vigie-Nature a su, avec le temps, convaincre le monde scientifque de son intérêt en termes de recherche sur la biodiversité, il arrive encore d'entendre ici ou là quelques critiques de fond. Remise en cause de la "qualité des données", "instrumentalisation des participants" sont les deux plus fréquentes. Mais peu justifiables désormais...  

Les sciences participatives ont le vent en poupe. Dans toutes les disciplines, de la santé à l’astronomie en passant par l’informatique ou la sociologie, les scientifiques proposent aux citoyens de faire avancer la recherche. Mais ce sont les études sur la biodiversité qui y ont le plus recours. Pionnières dans le domaine- depuis près d’un siècle les naturalistes bénévoles inventorient les oiseaux aux Etats-Unis ; et notre programme STOC a 30 ans cette année ! – elles ont également vu leurs afficionados croître de manière insolente ces dernières années. Selon le bilan du Collectif national Sciences participatives-Biodiversité et de la LPO, les « citoyens-naturalistes » auraient plus que doublé entre 2011 et 2017, passant de 21 143 à 53 732 sur 71 programmes liés à la biodiversité. Une augmentation très nette qui, de surcroît, ne prend pas en compte tous les programmes qui se lancent chaque année. Open, nouvelle plateforme recensant toutes les initiatives de sciences participatives compte déjà 140 observatoires répartis dans toute la France, du comptage d’oiseaux des jardins à l’inventaire de la flore urbaine. Trois décennies après sa création Vigie-Nature a fait des petits.  

Sous le feu des critiques

Pourtant au démarrage le pari était loin d’être gagné : « On a subi différentes attaques », se souvient Colin Fontaine, écologue au Muséum qui a commencé à travailler sur les données du SPIPOLL à son lancement il y a 9 ans. « Le monde naturaliste nous reprochait de faire croire aux potentiels participants qu’ils seraient capables de reconnaitre tous seuls des insectes et plus encore de contribuer à leur connaissance. Et d’autre part celui de dire aux financeurs que ces programmes pourraient générer de la connaissance sur les pollinisateurs » En effet, de nombreuses critiques ont accompagné l’émergence des programmes de sciences participatives, celles-ci émanant principalement du monde académique et naturaliste. Dans un article paru dans le magazine La recherche en 2011, un entomologiste décoche ses flèches à l’endroit du SPIPOLL (et de l’Observatoire des Bourdons) : « On trompe le public en faisant croire que ses efforts à recueillir des données pourront être utilisés.» Ce dernier pointe le « manque de rigueur » de ces méthodes « complètement inadaptées ».

Guerre de chapelles entre scientifiques ? Jalousie due à l’allocation de « fonds considérables » à certains programmes ? Toujours est-il que ces critiques ont marqué les chercheurs de Vigie-Nature. Outre la mise en cause de la qualité des données récoltées par les amateurs, notre programme subit un second reproche récurrent : l’« instrumentalisation » prétendue des participants par les chercheurs. Si ces critiques ont pu – et peuvent – s’avérer constructives à certains égards, force est de reconnaître qu’elles n’ont désormais plus beaucoup de crédit.

spipoll

Une collection de photos d'un particpant au programme SPIPOLL

 

Fiabilité des données

Un indicateur pertinent de la crédibilité acquise par ces initiatives participatives est leur présence dans des publications scientifiques validées par des pairs. Depuis le début des années 2000, les articles scientifiques s’appuyant sur les données de sciences participatives ont explosé. Selon un récent article paru dans la revue Nature, Le Global Biodiversity Information Facility, gigantesque base de données internationale qui regroupe toutes les informations sur la biodiversité affirme « qu’il tire la moitié de ses milliards de points de données de sources non spécialisées. » Les responsables estiment avoir « fourni des données pour plus de 2 500 articles examinés par des pairs au cours des dix dernières années ». Un des plus gros programme américain, iNaturalist, réseau social contenant des photographies de flore et de faune recensées par les bénévoles, compte lui plus de 150 articles publiés depuis son lancement en 2008. Vigie-Nature n’a pas à rougir devant son partenaire transatlantique puisque la centaine de publications dans des revues internationales a été atteinte il y a déjà trois ans ! Cette installation massive dans le milieu académique n’étonne guère : pour suivre la dynamique des espèces communes dans le temps et l’espace il n’existe pas d’alternative aussi efficace. Raison pour laquelle nombres de chercheurs ont fini par se rendre à l’évidence. « Nous assistons à un retournement de situation, maintenant les chercheurs d’autres laboratoires, d’autres universités nous demandent les données ! » se réjouit Colin Fontaine.

L’intérêt croissant des données de Vigie-Nature et des autres programmes liés à la biodiversité tient à l’efficacité du principe de standardisation de la collecte de données. Des instructions d’observation rigoureuses permettent de comparer une information recueillie à un point A avec celle d’un point B : la durée et la méthode d’observation étant les mêmes quels que soient l’endroit ou l’observateur. La fiabilité des données repose donc sur le respect scrupuleux du protocole. « On en est jamais certain, mais le fait que la participation soit bénévole fournit une forme de gage : à partir du moment où le moteur est la réalisation même du protocole, les observateurs font tout pour suivre à la lettre les consignes » avance Grégoire Loïs, co-directeur de Vigie-Nature. « A contrario lorsque le moteur est le devoir (dans le cadre professionnel), ou la compétition, la mise en œuvre du protocole peut être affectée par la négligence, la lassitude ou, dans le cas de la compétition, le désir d'augmenter la quantité au détriment de la qualité. Dans les sciences participatives telles que pratiquées à Vigie-Nature, il ne subsiste que des risques de mauvaises interprétation du protocole comme facteur pouvant affecter la fiabilité des données ». Il y a quelques années, suite à une enquête auprès des participants, le taux d’erreur d’identification moyen avait été évalué à 5% pour l’Opération papillons. Une marge d’erreur qui, compte tenu de la masse statistique croissante, reste marginale. Enfin les protocoles, pensés avec le concours des participants eux-mêmes, sont régulièrement perfectionnés, adaptés, affinés par les chercheurs.

inaturalist © bioblitz - MNHN

iNaturalist, réseau social permettant de référencer la flore et la faune via son smartphone 

"Instrumentalisation" des participants ?

Venons-en à la seconde critique : l’« instrumentalisation » supposée des participants par les chercheurs. Ces derniers profiteraient d’une « main d’œuvre bon marché » pour récolter des données nécessaires à leurs travaux. C’est d’abord faire peu de cas du caractère délibéré de la participation. Personne ne contraint quiconque à observer la nature. « De plus, l'objectif affiché est public et connu. Les participants savent ce qu'on souhaite faire des données et ils participent en pleine conscience, exerçant alors leur libre arbitre » ajoute Grégoire Loïs. La volonté de se sentir « utile » et de s’engager pour répondre à des problématiques locales ou globales – l’érosion de la biodiversité notamment - est une source de motivation manifeste. Sans oublier le plaisir que procure l’observation de son environnement ; celui de sortir regarder plus attentivement la faune ou la flore qui nous entoure. « Je me demande même si nos programmes ne sont pas instrumentalisés par nos participants pour y trouver du plaisir » ironise Grégoire.

La pratique dépasse souvent le simple passe-temps comme en témoignent les spipolliens, des participants au SPIPOLL à l’origine d’une véritable communauté de passionnés. Au-delà de l’émulation qui règne dans ce groupe de néophytes, on retrouve même chez certains une forme d’addiction saine comme nous le racontions ici. Et que dire des « supercontributeurs » à Oiseaux des jardins qui consacrent des heures tous les jours à observer les oiseaux, à l’instar d’Eric que nous avions rencontré dans son jardin du Pas-de-Calais. Les milliers d’inscrits à Vigie-Nature, débutants ou confirmés, tous ont une bonne raison de s’investir – que ce soit personnel ou d’intérêt général. Mieux : « certains béotiens sont devenus des experts de l’identification des abeilles*, ce qui était réputé impossible. explique Colin Fontaine. Quand on discute avec eux ils soulèvent des questions sur l’analyse des données, nous font part de leurs attentes. »

Face à la qualité des observations, devant la soif de contribution, le nouveau défi de Vigie-Nature consiste à impliquer les participants dans les différentes phases de la recherche scientifique, plus seulement dans la récolte de données. Une co-construction de connaissance déjà en œuvre dans les programmes destinés aux naturalistes. Dans le cadre du STOC, le Suivi Temporel des Oiseaux Communs, des programmes de recherche sont parfois initiés par les participants eux-mêmes.

Connaissez-vous "la charte des sciences participatives" ?

« Paradoxalement, ces critiques reviennent très régulièrement. Un peu comme si chaque nouvelle personne se penchant sur les sciences participatives passait par les mêmes étapes de questionnement » admet Grégoire. Néanmoins ces critiques n’ont pas eu que des aspects négatifs comme le reconnaît Colin Fontaine « Etre sous le feu de ces deux types de critiques est assez constructif car cela nous amène à changer nos visions et nos pratiques en tant que chercheurs. » Elles poussent en effet à rester vigilants, à réinterroger constamment les protocoles, à interagir continuellement avec les participants.

Nous avons également pris des engagements plus formels comme la signature, il y a deux ans, de la charte des sciences participatives qui faisait suite au rapport Houllier (2016). Principes déontologiques, valeurs d’intégrité scientifique et de conditions de réussite : des exigences qui portent haut les ambitions des sciences participatives. Cette charte signée par une trentaine d’établissements dont le Muséum, « permet d’assurer la qualité scientifique des travaux menés, la fiabilité et la reproductibilité des données. »

Hugo

 

*selon les groupes taxonomiques du spipoll

Vous aimerez aussi

Sciences participatives
forest-tom_pixabay.jpg
3 Octobre 2024

Sonosylva, le projet à l’écoute des forêts

Sciences participatives
couverture Coquilles et mucus.png
19 Septembre 2024

L'irrésistible "Coquilles et mucus"

Sciences participatives
simon_portrait.jpg
12 Septembre 2024

L’écologie est une opportunité pour l’enseignement

Fond de carte