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« En ville les espèces qui nous embêtent sont minoritaires ! »

Sciences participatives

 

Auteur, conférencier, médiateur, formateur sur les questions de biodiversité, François Lasserre publie un inventaire personnel des petites bêtes des villes. Il a choisi 100 spécimens, communs et plus inattendus, vivants tout autour de nous, des grands centres urbains aux petits villages. Une invitation à aiguiser notre regard.

 

François Lasserre ©francois_lasserre.jpg

 

 

Bruit, lumière nocturne, pollution… à première vue les villes paraissent hostiles à la faune sauvage. Pourtant, comme en témoigne votre livre, cette dernière y est omniprésente. Comment l’expliquer ?

La ville possède de nombreux atouts. Il y fait un peu plus chaud, les prédateurs ne courent pas les rues. On y trouve des parcs, des ruisseaux, des mares, des toits végétalisés et toutes sortes de micro-milieux et d’habitats variés. C’est souvent plus riche que dans la Beauce ! Les Hirondelles et les Martinet nichent dans les bâtiments qui leur rappellent les falaises d’où ils sont originaires. L’abondance de tilleuls a fait du sphinx du tilleul un papillon de nuit assez commun dans les milieux urbains. Les Pies bavardes – bien qu’elles diminuent en campagne -, le rouge-queue noir, quelques abeilles sauvages comme l’osmie cornue font parties de ces espèces qui se sont plutôt bien accommodées, adaptées aux contraintes de la ville. Certes la biodiversité y est relativement homogène d’une ville à l’autre ; ce sont souvent les mêmes animaux que l’on croise quotidiennement. Elle n’en reste pas moins riche ! De nombreuses espèces vivent la nuit, se cachent dans les hauteurs, les arbres, dans les appartements. Qui a déjà croisé un soir dans la capitale une pipistrelle commune, petite chauve-souris assez fréquente, ou un immense papillon paon de nuit ? Certainement peu de parisiens.

Vous faites la part-belle à tous les « indésirables » que sont les rats, les araignées, les pigeons… D’où vient cette aversion pour ces animaux ?

Nous avons de vrais problèmes avec beaucoup d’animaux en ville. Nous en avons peur ou bien ils nous rebutent un peu. Pour des raisons pas très rationnelles, liées à la culture ambiante surtout. Cela concerne les insectes, en particulier ceux originaires des pays chauds, comme les blattes, qui se sont installées dans les maisons et les appartements chauffés. D’autres animaux dits exotiques comme les tortues de Floride ou les perruches à collier suscitent des craintes injustifiées. Or parmi toutes celles que nous regardons d’un œil inquiet, les espèces qui nous embêtent réellement sont très minoritaires, y compris les individus ! Je pense que l’on peut tenter de se détendre un peu, que l’on peut arrêter de tuer sur un coup de tête le moindre insecte ou la moindre souris.  Il faut pour cela se déculturer. Avant de foncer chez un vendeur de pièges, avant d’asperger mon plancher de produits toxiques, je dois me poser la question : est-ce vraiment nécessaire ? Est-il impossible d’accueillir vingt fourmis chez moi pendant quelques jours ? Et une fois qu’on est détendu du frelon, du rat ou de la Pie, on le devient pour presque tous les autres. C’est pour cela que j’ai insisté sur les « mal-aimés » : ce sont les plus difficiles à faire aimer et donc à protéger.

Pour quelles raisons doit-on accueillir toute cette biodiversité en ville selon vous ?

D’abord les petites bêtes des villes égayent l’espace. Peut-on imaginer une ville sans chants d’oiseaux ? Pas facile. La présence des non-humains fait plaisir, elle caresse notre désir de compagnie et notre altruisme. On accepte ces autres et on peut s’y intéresser. Après il y a la dimension fonctionnelle, que je mets au second plan. Elle existe néanmoins. Les insectes pollinisateurs permettent aux plantes - à nos cultures notamment - d’être fécondées. Moins connu : les rats, les souris, les mouches domestiques nettoient les déchets. Selon certains chiffres (à vérifier car il y a peu d’études), les rats consommeraient 800 tonnes de déchets alimentaires par jour à Paris ! Au Japon, on récompense même des corneilles qui ramassent des mégots par terre. Les araignées régulent les blattes, les guêpes et les frelons sont prédateurs et nourrissent leurs larves avec des petits insectes. Des insecticides gratuits ! Tout être vivant peut être un inconvénient pour nous mais aussi un bénéfice. Le très décrié frelon à pattes jaunes (« asiatique ») s’en prend aux abeilles domestiques mais il mange aussi les guêpes qui nous embêtent pendant les pique-niques. De l’autre côté, si les mésanges charbonnières consomment les chenilles processionnaires pour notre plus grand plaisir elles peuvent s’avérer agressives voire problématique pour d’autres oiseaux plus petits.

Vous consacrez une page au poisson rouge…

Oui et d’ailleurs ils participent aussi à la régulation des insectes comme les moustiques dans les bassins des centres-villes. Ces espèces domestiquées font partie intégrante des milieux urbains. Je pense d'ailleurs que cette distinction entre sauvage et semi-domestique n’a pas vraiment de sens en ville. Certaines espèces s’émancipent - car relâchées-, ou interagissent avec les autres espèces. Un chat, ce grand prédateur, a parfois plus d’impact qu’une fouine la nuit ! C’est comme la distinction entre espèce exotique et indigène. Pratiquement toutes les espèces en ville ont des ancêtres exotiques. Le chat ? Il est originaire d’Asie et d’Afrique. Quant au lapin de garenne il a été introduit depuis la péninsule ibérique. Tout comme le ragondin. Certaines espèces végétales exotiques favorisent aussi une certaine faune. Un bon exemple est celui de l’arbre à papillons, le Buddleia, qui nourrit les pollinisateurs, mais divise du fait de son caractère un peu envahissant à notre goût.

Comment favoriser l’accueil de ces petites bêtes des villes ?

Il y a plusieurs façons de rendre nos villes plus accueillantes. Arrêter de tailler tout le temps, tout ce qui dépasse dans les jardins, les balcons. La biodiversité a besoin de petits recoins naturels. On peut construire des nichoirs. Pour les oiseaux, mais aussi pour les hérissons, les chauves-souris, les insectes. Y compris pour les bêtes « infréquentables », comme en Allemagne où certaines villes disposent de nichoirs à frelons !  A une autre échelle, il serait utile que tout bâtiment construit abrite dans sa structure des nichoirs. Des dispositifs encore rares, mais qui commencent à arriver. Généralisons les toits végétalisés là où c’est possible, laissons pousser des fleurs sauvages, et, encore une fois, levons le pied sur la gestion. Parfois, de petits changements peuvent avoir de grandes conséquences. Les études montrent l’importance des actions individuelles très influentes socialement. Nos amis, notre famille nous voient faire des choses. On incarne notre discours. Ça a beaucoup plus d’importance qu’on le croit. 

Vous connaissez bien le Spipoll, notre programme co-piloté par l’Opie (Office pour les insectes et leur environnement) dont vous êtes le vice-président. Quel regard portez-vous sur les sciences participatives ? Quel rôle peuvent-elles jouer dans la prise en compte de la biodiversité urbaine ?

J’utilise beaucoup les sciences participatives, dont le Spipoll, comme un outil pour l’éducation à l’environnement. C’est pour moi une bonne façon de faire de la sensibilisation, cela peut servir de fil rouge dans les animations. C’est cadré, la participation facile, et cela intéresse aussi bien les novices que les plus « compétents ». Tout en aidant les scientifiques ! Comme mon livre, ce sont des outils qui permettent d’aiguiser les regards. Si on ne fait pas attention à ce qui nous entoure, on a l’impression de voir toujours la même chose. Lorsque je fais des sorties dans le Parc de Bercy, certains me disent : « On connaissait le quartier mais on n’avait rien vu de tout ça ! » On donne alors quelques conseils, quelques clés pour savoir où, quand, quoi regarder. Tout commence par le regard. Pour respecter, il est souvent utile de savoir que cela existe ou pourrait exister !

 

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