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Vous avez dit « crise de la pollinisation » ?

Sciences participatives

 

Pour conclure cette semaine de présentation du Spipoll, nous vous parlerons dans ce billet, rédigé par Nicolas DEGUINES, de la crise de la pollinisation.

 

Dans un premier, temps, lorsqu'on parle de crise de la pollinisation, de quoi parle-t-on ? Que sous-entend exactement cette expression (la ‘global pollination crisis’ comme disent les anglais) ?

La « crise de la pollinisation » fait référence aux conséquences qu’aurait un déclin des pollinisateurs sur la production agricole, et donc notre approvisionnement en nourriture. Dans l’expression anglo-saxonne, il y a la dimension globale de la crise, c’est-à-dire qu’elle s’étendrait sur l’ensemble du globe.

Dans ce billet seront détaillés les besoins de notre agriculture en pollinisateurs et un point sera fait sur ce que l’on sait de l’état de santé de nos pollinisateurs.

 

La dépendance de notre agriculture envers les pollinisateurs.

Parmi les plantes que nous cultivons pour nourrir les Hommes, certaines le sont pour leurs feuilles, d'autres pour leurs racines, ou encore leur fruits. Selon la partie que nous consommons et selon le mode de reproduction de la plante, la production de cette culture est dépendante ou non des pollinisateurs. Parmi les 57 plantes les plus cultivées au monde et destinées à notre consommation, 70% sont dépendantes des pollinisateurs [1]. En termes de volume de production, ces cultures représentent 35% du volume total produit.

Il est important de préciser qu’il y a différent degrés de dépendance aux pollinisateurs : on dit qu’une culture est dépendante à X% des pollinisateurs si leur absence réduit de X% sa production[1] (nombre de fruits, poids et/ou qualité des fruits, nombre et/ou qualité des graines). Les haricots par exemple (Phaseolus spp.) sont peu dépendants des pollinisateurs (culture 0-10% dépendante) alors que les pollinisateurs sont essentiels à la production des aubergines (Solanum melongena) (culture >90% dépendante) [1]. En prenant en compte ces différences de dépendances, il apparaît qu’entre 3% et 8% de la production mondiale pourrait être perdue en l’absence de pollinisateurs [2].

 

Les pollinisateurs sont-ils en déclins ?

            Les pollinisateurs correspondent aux insectes floricoles qui, se déplaçant de fleurs en fleurs, transportent du pollen et permettent la pollinisation. Dans les écosystèmes naturels, cela comprend de très nombreux insectes : des abeilles aux mouches, en passant par les coléoptères et les papillons [3, 4]. Tous ne pollinisent pas toutes les plantes et n’ont pas la même efficacité pour l’ensemble de la flore. Parmi ces insectes, l’abeille domestique (Apis mellifera Linnaeus 1758, aussi appelée abeille mellifère) est bien connue puisqu’elle permet aux apiculteurs de produire du miel. Les ruches d’abeilles domestiques sont déplacées aux abords des cultures pour en augmenter la production, notamment aux Etats-Unis [5].

            En ce qui concerne cette dernière, des déclins ont été enregistrées aux Etats-Unis [5]et en Europe [6]. Les causes de déclins observées dans l’hémisphère nord sont multiples et incluent l’utilisation de pesticides [7], la présence de pathogènes dans les ruches [8, 9], ainsi que le déclin des apiculteurs [6]. Cependant, mondialement, le nombre de colonies a augmenté d’environ 45% au cours de la 2nde moitié du 20ème siècle et la tendance reste à l’augmentation [10].

            Dans le cas des pollinisateurs sauvages, une étude a montré que la diversité en abeilles sauvages a diminué en Angleterre et aux Pays-Bas [11]. Cette même étude ne trouvait pas de déclin similaire chez les syrphes, une famille de mouche. Aux Etats-Unis, parmi 8 espèces de bourdons étudiées, 4 espèces ont vu leur abondance décliner et leur aire de répartition se réduire, entre les périodes 1990-1999 et 2007-2009 [12].

            Il y a donc bien des preuves de déclins des pollinisateurs mais elles restent limitées à certains pollinisateurs et à certaines localisations. Ces déclins sont néanmoins inquiétants car il pourrait être similaire pour l’ensemble des pollinisateurs. Toutefois, rien ne permet aujourd’hui de dire que l’ensemble des pollinisateurs décline mondialement et des données sont nécessaires pour le découvrir. C’est d’ailleurs pour apporter ces données pour la France métropolitaine que le Spipoll a été lancé !

 

Notre agriculture manque-elle de pollinisateurs ?

La question est donc de savoir si les pollinisateurs sont suffisants, en champs cultivés, pour permettre une production agricole. Mondialement, la surface agricole totale allouée aux cultures dépendantes en pollinisateurs a augmenté plus vite que le nombre de colonies d’abeilles domestiques [10]. Autrement dit, même si les ruches d’abeilles étaient réparties de manière optimale autour des cultures dépendantes en pollinisateurs, cela ne suffirait pas à obtenir une production maximale de ces cultures [10].

Par ailleurs, en déclin temporel ou non, la diversité des pollinisateurs (abeilles sauvages et syrphes en particulier) diminue avec l’intensification agricole [13, 14]. En conséquence, la production agricole des cultures dépendantes en pollinisateurs diminue elle aussi [15], et ce indépendamment de la présence d’abeille domestique [15, 16].

Une perspective peu réjouissante de cette baisse de productivité est une augmentation de la surface agricole dédiée aux cultures dépendantes en pollinisateurs au détriment des milieux semi-naturels, source de pollinisateurs. On entre donc dans un cercle vicieux car cela accentuera la baisse de productivité des cultures nécessitant des pollinisateurs.

 

En résumé :

●     Notre alimentation dépend en partie des pollinisateurs mais leur absence ne provoquerait pas un arrêt total de la production agricole.

●         Un déclin global des pollinisateurs n’est pas avéré.

●         Des déclins régionaux ont été observés  pour certaines espèces ou groupes d’espèces.

●         Notre agriculture dépend de plus en plus des pollinisateurs.

 

 

 

 

Références citées dans cet article :

1.            Klein, A.-M., Vaissière, B. E., Cane, J. H., Steffan-Dewenter, I., Cunningham, S. A., Kremen, C., and Tscharntke, T. (2007). Importance of pollinators in changing landscapes for world crops. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 274, 303 –313.

2.            Aizen, M. A., Garibaldi, L. A., Cunningham, S. A., and Klein, A. M. (2009). How much does agriculture depend on pollinators? Lessons from long-term trends in crop production. Annals of Botany 103, 1579 –1588.

3.            Vazquez, D. P., Morris, W. F., and Jordano, P. (2005). Interaction frequency as a surrogate for the total effect of animal mutualists on plants. Ecology Letters 8, 1088–1094.

4.            Dupont, Y. L., and Olesen, J. M. (2009). Ecological modules and roles of species in heathland plant-insect flower visitor networks. J. Anim. Ecol. 78, 346–353.

5.            National Research Council (2007). Status of Pollinators in North America (Washington, D.C.: The National Academies Press).

6.            Potts, S., Roberts, S., Dean, R., Marris, G., Brown, M., Jones, R., Neumann, P., and Settele, J. (2010). Declines of managed honey bees and beekeepers in Europe. J. of Api. Res 49, 15.

7.            Henry, M., Beguin, M., Requier, F., Rollin, O., Odoux, J.-F., Aupinel, P., Aptel, J., Tchamitchian, S., and Decourtye, A. (2012). A Common Pesticide Decreases Foraging Success and Survival in Honey Bees. Science. Available at: http://www.sciencemag.org.gate1.inist.fr/content/early/2012/03/28/scienc... [Accessed April 11, 2012].

8.            Evison, S. E. F., Roberts, K. E., Laurenson, L., Pietravalle, S., Hui, J., Biesmeijer, J. C., Smith, J. E., Budge, G., and Hughes, W. O. H. (2012). Pervasiveness of Parasites in Pollinators. PLoS ONE 7, e30641.

9.            vanEngelsdorp, D., Evans, J. D., Saegerman, C., Mullin, C., Haubruge, E., Nguyen, B. K., Frazier, M., Frazier, J., Cox-Foster, D., Chen, Y., et al. (2009). Colony Collapse Disorder: A Descriptive Study. PLoS ONE 4, e6481.

10.          Aizen, M. A., and Harder, L. D. (2009). The global stock of domesticated honey bees is growing slower than agricultural demand for pollination. Current Biology 19, 915–918.

11.          Biesmeijer, J. C., Roberts, S. P. M., Reemer, M., Ohlemuller, R., Edwards, M., Peeters, T., Schaffers, A. P., Potts, S. G., Kleukers, R., Thomas, C. D., et al. (2006). Parallel declines in pollinators and insect-pollinated plants in Britain and the Netherlands. Science 313, 351–354.

12.          Cameron, S. A., Lozier, J. D., Strange, J. P., Koch, J. B., Cordes, N., Solter, L. F., and Griswold, T. L. (2011). Patterns of widespread decline in North American bumble bees. Proc. Natl. Acad. Sci. U. S. A. 108, 662–667.

13.          Albrecht, M., Duelli, P., Müller, C., Kleijn, D., and Schmid, B. (2007). The Swiss agri‐environment scheme enhances pollinator diversity and plant reproductive success in nearby intensively managed farmland. Journal of Applied Ecology 44, 813–822.

14.          Hendrickx, F., Maelfait, J. P., Van Wingerden, W., Schweiger, O., Speelmans, M., Aviron, S., Augenstein, I., Billeter, R., Bailey, D., Bukacek, R., et al. (2007). How landscape structure, land-use intensity and habitat diversity affect components of total arthropod diversity in agricultural landscapes. Journal of Applied Ecology 44, 340–351.

15.          Garibaldi, L. A., Steffan‐Dewenter, I., Kremen, C., Morales, J. M., Bommarco, R., Cunningham, S. A., Carvalheiro, L. G., Chacoff, N. P., Dudenhöffer, J. H., Greenleaf, S. S., et al. (2011). Stability of pollination services decreases with isolation from natural areas despite honey bee visits. Ecology Letters 14, 1062–1072.

16.          Breeze, T. D., Bailey, A. P., Balcombe, K. G., and Potts, S. G. (2011). Pollination services in the UK: How important are honeybees? Agriculture, Ecosystems & Environment In Press, Corrected Proof. Available at: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0167880911001046 [Accessed August 9, 2011].

 

[1] Production définie, selon les cultures, comme le nombre de fruits, le poids et/ou la qualité des fruits, le nombre et/ou la qualité des graines.

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