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Les voyageurs nocturnes

Sciences participatives

Si on vous parle des oiseaux nocturnes, vous pensez peut-être aux chouettes et hiboux, ou encore au rossignol ou à l’engoulevent ? Mais savez-vous que certaines nuits, des centaines ou milliers d’oiseaux traversent le ciel étoilé alors que vous dormez paisiblement ?

 

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Laridés en vol nocturne © Manon Billard et Lucas Mugnier

La migration des oiseaux

Tout le monde a entendu parler de la migration des oiseaux, et beaucoup d’entre nous remarquent les vols de grues qui passent au-dessus de nos têtes en automne ou l’arrivée des hirondelles au début du printemps. La migration diurne est largement documentée et suivie à l’aide de différentes méthodes, le baguage étant la plus commune. Des suivis de migration sont aussi réalisés par le comptage à vue lors des passages migratoires au printemps et à l’automne, saisons durant lesquelles des bénévoles passent des journées entières et identifient les oiseaux qui passent.

Cependant, plus de la moitié des espèces d’oiseaux qui migrent en France métropolitaine peuvent migrer de nuit ; c’est le cas par exemple de la plupart des espèces de passereaux (pouillots, fauvettes, grives, gobemouches, rougegorge), de limicoles (bécasseaux, chevaliers, gravelots) et d’ardéidés (hérons, aigrettes). Il devient dès lors beaucoup plus difficile d’étudier leurs déplacements. Heureusement pour les ornithologues, une partie de ces oiseaux en migration nocturne émettent des cris de vol et chaque espèce a un répertoire qui lui est propre, permettant ainsi son identification.

Héron pourpré en vol nocturne

Héron pourpré en vol de nuit © Nicolas Beraud

 

L’utilisation de l’acoustique en suivi de la biodiversité

L’utilisation des nouvelles technologies, et notamment de l’acoustique passive qui utilise des enregistreurs autonomes, permet de couvrir une large échelle géographique et temporelle. Les enregistreurs sont programmables selon le protocole désiré, recueillant ainsi un grand volume de données dans des lieux ou périodes temporelles autrement inaccessibles.  

enregistreur - pic du midi

Enregistreur déployé sur le Pic du Midi © Louis Sallé

Une fois les périodes souhaitées enregistrées, les enregistrements sont récupérés, et c’est un monde inexploré qui s’offre alors aux bioacousticien.ne.s : le paysage sonore nocturne. Celui-ci peut être défini comme l’ensemble des sons qui peuplent l’environnement à un instant et un lieu donné. Il comporte trois composantes :
- La biophonie : ensemble des sons produits par le vivant non-humain, comme les chants d’oiseaux et les bourdonnements d’insectes,
- La géophonie : ensemble des sons attribués au non-vivant, comme la pluie et le vent,
- L’anthropophonie : ensemble des sons d’origine anthropique, comme la circulation routière ou les voix humaines.

Une grande partie de l’année, le paysage sonore nocturne est ainsi enrichi par les vocalises des oiseaux migrateurs qui viennent rompre le silence de la nuit.

L’analyse des enregistrements sonores repose sur la connaissance des cris de migration nocturnes des oiseaux et permet leur identification à la fois par le son et par la vue, en observant la forme de la vocalisation sur le spectrogramme (transcription du son en image). L’utilisation du spectrogramme permet d’accéder une représentation visuelle du son, nécessaire à la détermination de l’espèce observée.

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Spectrogramme d’un cri de migration nocturne de Chevalier guignette (Actitis hypoleucos)

 

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Spectrogramme d’un cri de migration nocturne de Merle à plastron (Turdus torquatus)

 

Le programme Vol de Nuit

Fruit d’une coopération entre la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), Vigie-Nature (Muséum National d’Histoire Naturelle, Office Français de la Biodiversité), Biophonia et Trektellen, le programme de sciences participatives Vol de Nuit a vu le jour en janvier 2024 et vise à étudier la migration nocturne des oiseaux en France par le suivi acoustique passif.
Depuis quelques années, la baisse du coût du matériel d’enregistrement a rendu cette méthode accessible au grand public. Actuellement, une centaine d’ornithologues confirmé.e.s participent au programme partout en France hexagonale. Iels posent un enregistreur dans leur jardin ou sur leur balcon quelques nuits par semaine et épluchent ensuite les enregistrements à la recherche des cris émis par les oiseaux en vol sur le spectrogramme.
Le programme Vol de Nuit repose aussi sur des enquêtes flash animées par la LPO et qui mettent en lumière certains groupes d’oiseaux et proposent aux participants de concentrer leurs efforts en enregistrant pendant plusieurs nuits d’affilée sur une période courte. En 2024, c’était le cas des Turdidés (grives et merles) en début d’année, puis du Bruant ortolan à l’automne. En ce début d’année 2025, ce sont les canards qui sont à l’honneur. Ces enquêtes flashs permettent d’apporter des connaissances sur les dynamiques migratoires de ces espèces, et notamment de préciser les dates et les lieux de leurs déplacements nocturnes.

 

Zoom sur une enquête flash

L’étude du Bruant ortolan par exemple a permis de souligner l’intérêt de l’écoacoustique pour l’étude des espèces discrètes : sur une même période, 5 fois plus d’individus ont été détectés grâce à Vol de Nuit par rapport aux observations recensées sur le portail Faune-France (observations opportunistes par des naturalistes). Ces données opportunistes (source : Faune France, n=509 recueillies entre le 1er aout 2024 et le 30 septembre 2024, corrigées par rapport au volume quotidien de données collectées) concernant le Bruant ortolan semblent montrer une migration étalée sur 20 jours puisqu’environ 75 % du passage se situe entre le 20 aout et le 9 septembre. La variabilité de l'effort d'observation propre à ce jeu de données est souvent source d'erreurs d'interprétations. Le suivi standardisé de Vol de Nuit permet corriger le biais dû à cette variabilité de la collecte en utilisant le nombre de cris de migration par heure d'enregistrement exploitable. On constate ainsi qu'en réalité le gros de la migration est bien plus resserré avec 80 % du passage entre le 31 août et le 9 septembre.

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Bruant ortolan © Pierre Dalous - wikimedia - CC BY SA 3.0

A long terme, le programme pourrait permettre de révéler des changements temporels dans les comportements de migration en lien avec le changement climatique.

 

Pauline Guinet, avec la participation de Paul Coiffard et Grégoire Loïs

 

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