Des zones humides scandinaves au sud de l'Espagne, les Grues cendrées traversent les cieux de la France métropolitaine de la Lorraine vers les Pyrénées depuis le mois de septembre. Avec leur cri caractéristique (ici), elles réussissent à nous extirper de nos pensées, à nous faire lever les yeux au ciel... Qu'est-ce qui nous émerveille le plus ? Leur liberté ? Leur long voyage ? Ou est-ce l'événement relativement unique qui rompt le quotidien céleste ?
Des populations croissantes
Les Grues cendrées ne sont plus en régression. « Au contraire » nous dit Alain Salvi, le spécialiste en la matière, enseignant à l'Université de Lorraine. Alain suit ces grands échassiers depuis les années 1970. « Leur population montre une croissance exponentielle ».
Un suivi au jour le jour
L'année dernière, en 2014, 206 000 grues étaient comptabilisées simultanément le matin du 11 novembre aux abords du Lac du Der, lieu renommé de leur halte migratoire. « Un record ! » s'est exclamé Alain. « Cela n’a duré qu’une seule journée puisqu'une une part importante de ces grues a repris sa migration vers le Sud-Ouest dans la journée mais il en est resté beaucoup malgré tout. » Pour le moment, rien de tel. Ici le site de la LPO Champagne-Ardennes qui les recense au jour le jour en France. D'ailleurs si vous souhaitez envoyer vos observations, lisez cette page.
D'année en année, si la migration commence à peu près toujours au même moment et parfois un peu plus tôt comme cette année, elle s’étale en revanche de plus en plus dans le temps, quelque fois jusqu’à la fin janvier. Les raisons ? « L’abondance alimentaire et les modifications climatiques » m'a expliqué Alain. « Un gel fort et prolongé avec de la neige contrarie la recherche alimentaire des Grues. » Les hivers doux qui s’installent depuis les années 1980 facilitent aussi l'hivernage des échassiers dans des régions situées plus au nord de leurs anciens lieux d'hivernage localisés en Espagne, au Maghreb.
Grues cendrées, parc du Marquenterre © Benoit Henrion | Bétails de min coin
Au lieu d'aller jusqu'en Espagne, elles restent en Allemagne
« Certaines grues passent désormais l'hiver en Allemagne. Jusque dans les années 1995, les grues hivernantes ne dépassaient pas 250 individus. Depuis les années 2000, leur nombre n'a cessé d'augmenter. De 2006 à 2010, elles ont été plus de 8000 à rester chez nos voisins d'outre-Rhin. » Dans cet article (ici), il est même reporté qu'en 2012, elles étaient 10 000 à hiverner au nord de l'Allemagne.
Evolution du nombre de grues hivernantes en Lorraine © Alain Salvi
En France...
« En France, nous observons le même phénomène d’une ampleur encore plus grande. Nous voyons aussi se développer un nouveau couloir de migration à partir d'Europe centrale. Certaines grues venant probablement de Pologne traversent l'Autriche, l'Italie pour se rendre en Camargue où se développe un lieu d'hivernage significatif depuis une douzaine d’années. »
Au printemps, elles reviennent aussi plus tôt
La conséquence logique est que la migration pré-nuptiale printanière est aussi plus précoce. Au cours des trente dernières années, les grues s'observent beaucoup plus souvent au mois de février. Alors qu'auparavant, on les revoyait venir dans nos cieux au mois de Mars.
Nombre de grues observées en février et mars © Alain Salvi
Des températures clémentes et à manger !
Inféodées aux milieux humides, les grues sont aussi le reflet de notre agriculture. Lors de leur migration et de leur hivernage, elles se nourrissent de céréales, et notamment de restes de maïs. Pour Alain, la simplification des espaces ruraux et le développement des monocultures ont fortement contribué à faciliter l'accueil des grues qui bénéficient en France d'une protection depuis 1967. Cette augmentation du nombre de grues hivernantes n'est pas sans parfois poser problèmes aux agriculteurs. A ce sujet, vous trouverez ici le rapport « Grues cendrées et agriculture » effectué par Alain Salvi en 2014 pour la DREAL Lorraine.
Grues cendrées © Serguei_30 | Flickr
De l'élégance chic au SHOC
Heureusement que les grues ne sont pas les seules à être observées en hiver ! Le 1er décembre, c'est la date d'ouverture de la saison SHOC, le Suivi hivernal des oiseaux communs. Elles peuvent aussi être l'occasion de jolies rencontres !
Rencontre du Hibou des marais en grande culture, vallée de la Haute Somme © Benoit Henrion
À vos jumelles ! Pour raconter de belles histoires comme celle des grues, il faut des chiffres, les vôtres !
________________________________________________________________________________
Lisa Garnier, le lundi 23 novembre 2015
Pour s'abonner au blog, cliquer sur lgarnier@mnhn.fr
! La photographie d'ouverture de ce post nous a été généreusement fournie par le photographe professionnel Matt Latham. On le remercie beaucoup. Voici son site mattlathamphotography.com
Info +
En rédigeant ce post, j'ai découvert qu'il existe une population résidente de Grues cendrées au Royaume-Uni depuis 1979 et qu'un projet de réintroduction est en cours The great Crane project. Alain Salvi me l'a confirmé en ajoutant « L’Angleterre a longtemps été la seule concernée mais il y a même à présent un couple installé en Ecosse ! Et en Lorraine depuis 1995. »