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« J’aimerais que cette beauté soit une motivation pour les sauvegarder »

Sciences participatives

 

Monique Mus a immortalisé pendant 20 ans ses rencontres avec les papillons de son jardin et de son département, le Lot-et-Garonne. Elle nous livre un atlas magnifiquement illustré, agrémenté d’informations passionnantes sur plus de 600 espèces diurnes et nocturnes, très communes ou beaucoup plus rares. Ce livre sonne aussi comme un appel à ouvrir l’œil, un encouragement à découvrir ce monde fascinant qui nous entoure, quotidiennement, tout autour de nous. De l’autre côté de la fenêtre. Nous nous sommes entretenus avec cette observatrice hors pair, naturaliste autodidacte, qui voue un culte à ces insectes extraordinaires.

 

papillons © Monique_Mus

Un robert le diable (à gauche) en compagnie d'un argus bleu

 

Vigie-Nature : Pourquoi les papillons vous fascinent-ils autant ?

Monique Mus : Parce qu’ils sont extraordinaires de beauté, de diversité. Leurs couleurs sont souvent magnifiques.  On ne le voit pas toujours bien en photo mais certaines espèces montrent des reflets de cuivre, d’or, d’argent, de métal. Il y a aussi ce contraste entre la chenille, souvent répulsive, et ce papillon, splendide, qui a toujours fasciné l’Homme. Depuis la nuit des temps, partout, il nourrit des légendes, prend des significations particulières. La diversité des noms vernaculaires pour chaque espèce, les adages qui composent notre langue – « papillonner », « l’effet papillon » … tout cela témoigne de notre grande proximité avec les papillons. Ce n’est pas pour rien qu’on les retrouve sur de nombreux objets du quotidien : vêtements, tasses, assiettes etc. C’est un magnifique symbole de légèreté, de gaité.

Comment est née votre passion pour les papillons ?

Je me suis d’abord passionnée pour le jardinage et les plantes du jardin. J’ai ouvert un forum sur internet, et même contribué à une revue sur le sujet. Petit à petit, les insectes que je délogeais de mes cultures en arrosant, en jardinant, ont attiré ma curiosité. Je les ai observés, pris en photo. J’ai fini par accumuler une grande quantité d’images, que je me suis décidée à partager. Surtout les papillons. C’était pour moi la plus belle voie pour faire découvrir les insectes à mes lecteurs et les faire apprécier. J’ai moi-même dû me former : après chaque photo, je recherchais le nom du spécimen. Ça n’a pas été facile, d’autant que mon jardin s’est enrichi au fil du temps. Ma méthode fut relativement simple. J’ai regardé attentivement ce que mangent les chenilles et où se posent les papillons tout autour de chez moi. Puis j’ai reproduit ces écosystèmes. En 20 ans j’ai compilé pas moins de 80 000 photos.

C’est un monde très accessible, comme vous le notez dans votre livre. Il suffit d’ouvrir l’œil… Dans quelle direction ?

Chaque plante, chaque plantule peut cacher un papillon, ou futur papillon. Jusque sous nos fenêtres ! Ce monde fascinant est à notre portée, pour peu qu'on leur fournisse quelques plantes locales et d’un minimum de fleurs nectarifères. Ensuite il faut bien ouvrir l’œil et prendre son temps. Et ne pas seulement regarder en l’air ! Il m’arrive de passer trois heures autour de mes plantes fétiches à suivre les indices de présence des chenilles, façon inspecteur gadget : une feuille grignotée, repliée, des excréments… Les chenilles méritent le détour, et leur lenteur dans les déplacements les rendent parfois plus faciles à identifier que les papillons adultes. Plus rare, on peut aussi tomber sur une chrysalide, bien qu'elles soient souvent bien cachées, sous terre, protégées par de la soie ou du lichen.

Comment savoir à quel papillon est associé une chenille ?

Il n’y a généralement aucune ressemblance entre la chenille et le papillon adulte. Certains papillons comme l’azuré ou l’argus, dont le mâle attire l’œil par ses couleurs bleues éclatantes, proviennent d’une petite chenille insignifiante. On dirait une larve de mouche. A l’inverse, la chenille du paon du jour est aussi belle que le papillon, mais de couleur non pas multicolore comme ce dernier mais noire à points blanc. Quelques chenilles, comme celle du machaon, arborent des couleurs identiques à l’imago. En plus de ces irrégularités, la chenille change parfois de couleurs, de motifs, de pilosité au cours de ses mues successives, en général cinq. Pour connaître l’espèce, il vaut mieux s’intéresser à la plante hôte. Si c’est du fenouil, il y a de fortes chances que vous ayez affaire au machaon. De plus, sa chenille, lorsqu’elle se sent en danger, exhibe des cornes, et dégage alors une odeur entre amande et punaise censée faire fuir les prédateurs – odeur que je trouve assez agréable pour ma part… 

 Chenille © Monique_mus

Chenille du Machaon

 

Si les chenilles rivalisent d’ingéniosité pour effrayer les prédateurs, les papillons aussi. Vous expliquez que leurs couleurs souvent vives seraient également une ruse…

Oui c’est un de leurs nombreux coups de bluff ! Les ailes colorées évoquent en effet la toxicité. Les ocelles, également, dessinent des formes répulsives. Voyez le paon du jour dont on imaginerait sur les ailes déployées un regard de mammifère ou de grands yeux de hibou… Mais il y a encore mieux. Certaines espèces présentent une sorte de crinière, des poils qui viennent atténuer l’écholocation des chauves-souris, redoutables prédatrices pour les papillons nocturnes. Pour les éviter, d’autres comme les noctuelles se laissent tomber au sol… pour simuler la mort. Sans parler de systèmes de camouflages extrêmement ingénieux, acquis au cours de l’évolution. Les ailes et le corps de l’Habrosyne semblent littéralement déchirés, comme après une attaque d’oiseau ; quant aux sésies elles ressemblent à s’y méprendre à un bourdon, un frelon… tout sauf à un papillon ! Autant de moyens de décourager les prédateurs, qui nous surprennent toujours pendant l’observation !

On prend la mesure de cette formidable diversité en lisant votre livre. Surtout chez les papillons de nuit. Vous avez des exemples ?

On n’imagine pas ! Il y a des espèces dont les femelles n’ont pas d’ailes, d’autres qui dépendent des fourmis pour maintenir leur cycle. Au cours de ces 20 ans d’observation, j’ai observé des spécimens plus variés les uns que les autres. En particulier chez les papillons de nuit qui sont, et de loin, les plus nombreux. J’avoue avoir un faible pour les micro-papillons, de vrais petits bijoux de quelques millimètres que je découvre parfois posés sur une fleur, ou en plein vol. Leurs chenilles minuscules se trouvent souvent à l’intérieur d’une feuille, d’une tige ou d’une racine. Inversement j’ai découvert sur le mur de mon garage le grand paon de nuit (voir photo, ndlr), reconnu comme le plus grand papillon d’Europe. Cette espèce peut attendre les 18-19 centimètres d’envergure !  Mais les papillons de jour m’impressionnent aussi toujours. Je me souviens, la première fois que j’ai aperçu un Robert le diable, avec ses ailes déchirées, je me suis dit : « Qu’est-ce que c’est que ça ! » J’étais fascinée.

Quel est le meilleur moment pour observer les papillons ?

A partir du printemps, il faut se rendre dans une prairie fleurie, le matin, quand il fait encore frais. On les trouve souvent en train de faire le plein d’énergie au soleil. Ils peuvent parfois rester 20 minutes en haut d’une plante avant de décoller. On peut alors les approcher, les toucher tant qu’ils ont encore froid. C’est l’instant idéal pour les observer et les prendre en photo. Sinon, en pleine journée ensoleillée, on les verra un peu partout butiner de fleur en fleur jusqu’au soir. Ils laisseront ensuite la place aux papillons de nuit que l’on peut voir, eux, toute l’année en fonction des espèces. Les meilleurs moments restent les soirs d’été, à la fin du dîner. Attirés par la lumière extérieure, ils se posent autour de nous, sur les rideaux du salon. Encore une fois, il suffit d’ouvrir l’œil.

paillons © Monique_mus

Grand paon de nuit, le plus grand papillon d’Europe

 

Vous avez quelques souvenirs à partager ?

Vous imaginez bien qu’en 20 ans j’ai pu faire le plein de souvenirs. Il y a cette rencontre incroyable avec petit mars changeant, autour d’un lac près de chez moi. Cette espèce protégée peut être de couleur noire ou jaune. La première, avec des reflets bleus électrique est splendide, contrairement à sa chenille qui ressemble à une limace. Me reste également en mémoire ce gazé aux ailes transparentes qui perdait ses écailles en fin de saison : on avait l’impression d’être en face d’un vitrail de cathédrale sur pattes ! Et puis la Sylvaine, un papillon qui ne supporte pas que l’on passe à côté de lui… Dès qu’il croise un bourdon, une abeille solitaire, ou d’autres papillons, il les chasse. Il est très territorial et intéressant à regarder. Plus poétique, je ne me lasse pas du zygène bleu. Lorsqu’on rencontre cet être bleu turquoise on se demande tout simplement si on ne rêve pas !

Le climatologue Jean Jouzel qui vous fait l’honneur d’une préface, insiste sur l’impact du réchauffement climatique global sur les populations de papillons. Il rappelle que deux tiers des 35 espèces non migratrices se sont déjà déplacés de 240 km vers le Nord. Avez-vous constaté des changements à votre échelle ?

Je vois certaines espèces remonter depuis les régions méditerranéennes. Je pense au citron de Provence, que je ne voyais pas durant mon enfance. Aujourd’hui on ne voit que lui. En 20 ans, j’ai pu constater des changements que je ne saurais imputer seulement au réchauffement climatique. Autrefois, lorsque je me promenais dans les prairies fleuries autours de chez moi, j’apercevais une centaine de papillons, je dirais une vingtaine aujourd’hui... Le paysage n’a pourtant pas changé. Dans mon jardin, en revanche, c’est l’inverse. J’en vois de plus en plus. Mais il n’y a pas de secret : j’y ai planté des végétaux dont les papillons sont friands, tout en étalant les floraisons pour diversifier les espèces. J’observe ainsi des papillons un peu tout le temps. Et même l’hiver maintenant : certains hivernent dans les fagots de bois, les caves et dès qu’il y a un rayon soleil, ils partent butiner.

Vous faite partie de cette génération qui a eu la chance de côtoyer une biodiversité en bien meilleure santé qu’aujourd’hui. Quel message vous souhaitez faire passer à travers votre ouvrage ?

C’est vrai que j’ai connu cette période où l’on devait laver le pare-brise en voyage, car il était maculé d’insectes écrasés. Plus maintenant. On sait que ce n’est pas en lien avec l’aérodynamisme des nouvelles voitures comme on a voulu nous le faire croire, mais simplement parce qu’il y a moins, beaucoup moins d’insectes. J’aimerais que cette beauté que j’expose dans le livre soit une motivation supplémentaire pour les sauvegarder. Le petit ne saute pas aux yeux, on voit bien une voiture passer, pas une fourmi. Il faut donc faire l’effort d’observer, de rechercher. Et lorsqu’on les connaît, l’effort se transforme en plaisir, en joie.

 

 

 

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Passion papillons par Monique Mus

 

L'ouvrage est accessible sur le site de l'éditeur Yellow Concept de Noyal Châtillon sur Seiche.

 

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